Quarante ans, et après ?
Un jour, j’ai eu quarante ans.
Juste après avoir dévoré ma trentaine flamboyante, comme on dit dans les romans d’autocars. C’est loin déjà, mais je vais faire un effort pour me rappeler cette période de « crise ». Attraper quarante balais, ça ne m’avait pas fait grand-chose. Je n’avais pas le temps d’y penser. C'est à ce moment de son existence, généralement, qu’ on bosse à construire l’avenir de ses loupiots, on a les soucis des accédants à la propriété, les crédits contractés pour la maison qu’on aimerait leur laisser en héritage, pour qu’un jour, eux aussi puissent vivre une vie pas trop moche... Je faisais des journées doubles, la route le jour, la route la nuit... Je ne voyais plus rien.
J’étais embarqué dans le rafiot de la vie, secoué à une telle cadence que je ne percevais plus les rochers, les écueils de la vie. Je passais à côté des grands moments de l’existence de mes enfants sans m’y attarder, inconscient que plus tard, ils pourraient me le reprocher.
Je crois que c’était peut-être bien ça ma crise de la quarantaine, ou plutôt la crise de ma quarantaine... Vivre comme le sprinter qui ne voit que la ligne d’arrivée, passer à côté des gens et des choses sans tourner la tête. Filer tout droit.
Et puis se réveiller un matin et se demander pourquoi. Pourquoi gâcher ses plus belles années, à courir comme un dératé ? Réaliser qu’il faudrait marquer le pas, ralentir sa cavale, s’asseoir à côté des siens et s’interroger sur ce qui est important.
Un jour, j’ai eu quarante-neuf ans.
Je me suis posé les vraies questions. Est-ce que vraiment ça valait le coup de vivre ainsi ? J’ai garé le camion, ressorti ma guitare, mes cahiers à spirales et mes crayons. Je suis allé revoir les copains, ceux que j’avais gardés depuis l’enfance, les vrais. On a fait la fête, avec nos femmes, qui avaient vieilli et nos gosses qui avaient grandi. La fête ! La nuit et le jour, comme les mômes qu’on était redevenus !
Ma crise de la quarantaine, je l’ai faite comme ça. Juste avant mes cinquante ans.
Pour l’heure, ça va bien. Je surveille mes petits-enfants tout en guettant ma crise de la soixante-dizaine. Elle viendra ou elle ne viendra pas, en tout cas, je l’attends de pied ferme !
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