47. Le jaloux tout contrit

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Jonas

Ce matin, je ne m’attarde pas sur l’esplanade, j’ai trop hâte de retrouver Pénélope et de planifier notre weekend. Il faut dire qu’on ne se quitte plus et qu’on passe énormément de temps ensemble depuis qu’on a conclu notre accord. J’ai réussi à la convaincre, sans trop forcer, il faut bien le dire, de passer presque toutes nos soirées ensemble. On s’est tellement vus et on a tellement profité que j’en ai perdu le compte d’orgasmes que l’on s’est procurés l’un, l’autre. C’est incroyable de vivre ça et cela me donne des ailes. Si on continue comme ça, peut-être qu’elle va me supplier de rester ? Ou venir avec moi à Dubaï ? Peut-être qu’on va enfin réellement se remettre ensemble et ne plus se voir que pour du sexe ? Là, c’est pas gagné. J’ai essayé les dîners romantiques, les sorties culturelles, elle n’a pas cédé une seule fois sur ces points. Quand on a mangé, pas de chandelles, pas de musique, juste un petit moment pour reprendre des forces entre deux étreintes. Et pas moyen de l’emmener au théâtre ou à un concert. J’ai pas trouvé la brèche à ce niveau-là et il va encore falloir que je réfléchisse pour optimiser ma stratégie. Quoique, je n’ai pas forcément envie de diminuer mon nombre de jouissances, non plus !

Arrivé dans le bâtiment où sont les bureaux de Swan, je ne peux m’empêcher de siffloter alors que la porte de l’ascenseur se referme et Elise, qui m’accompagne, m’interpelle à ce sujet.

— Eh bien ! Qu’est-ce qui te met de si bonne humeur ?

— C’est le beau temps, voyons ! Les filles sont belles, le soleil brille et je suis en pleine forme. Que demander de plus ?

— Bonne question… Une promotion ? rit-elle. Ah non, tu l’as déjà.

— Eh oui, j’ai tout ce qu’il me faut en ce moment ! souris-je en la laissant passer galamment devant moi pour sortir de l’ascenseur. Bon courage à l’accueil. Le vendredi, les gens qui viennent sont toujours particulièrement stressés. Si quelqu’un t’embête, tu m’appelles, je volerai à ton secours.

— C’est bien aimable, mais je peux me défendre seule, tu sais ?

Je ne réponds pas et continue vers mon bureau, toujours aussi guilleret. L’arrivée de Pénélope quelques minutes plus tard ne fait rien pour faire descendre mon euphorie. Comme d’habitude, sa beauté éclipse celle de toutes les autres et je dois me retenir pour ne pas lui sauter dessus vu comme elle est mignonne avec son jean moulant et son chemisier qui lui fait un décolleté digne de mes fantasmes les plus fous. Dès qu’elle referme la porte, je me précipite et la coince contre le mur pour lui voler un baiser qu’elle me rend d’abord avec autant de gourmandise que moi avant de me repousser, l’air plus agacé qu’autre chose.

— Bonjour jolie partenaire ! Encore une belle journée, n’est-ce pas ? demandé-je sans me formaliser de son geste.

— Pas au boulot, Jonas, soupire-t-elle en déposant ses affaires sur son bureau. Un peu de tenue !

— Oui, oui, de la tenue, du sérieux et pas de galipettes au travail, je sais, tu me le dis tous les jours ! souris-je en m’installant en face d’elle à son bureau. Pour ce soir, je pensais que ça serait bien qu’on se retrouve chez moi. Je finis plus tôt le vendredi et j’aurai le temps de nous préparer un bon petit repas. Tu aimes toujours les gratins aux carottes, non ?

— Ce soir ? Je… Pas ce soir, non, désolée.

— Comment ça, pas ce soir ? Tu ne vas quand même pas me laisser sur ma faim ? Cette semaine a été parfaite, tu ne trouves pas ? Il faut la finir en apothéose avec un weekend du feu de Dieu !

— Eh bien, on s’est vus tous les soirs cette semaine, je crois que c’est déjà pas mal, non ? On verra pour la suite la semaine prochaine.

— C’est pas mal comme début, oui, mais on est sur une belle lancée, on ne va pas s’arrêter en si bon chemin ! Ou alors… tu sais, même si tu as tes règles, ça ne me dérange pas, on trouvera d’autres moyens de s’amuser et de profiter.

Vu le niveau de satisfaction de nos retrouvailles, il ne peut s’agir que de ça et je comprends qu’elle soit gênée de me l’avouer, mais je suis sincère quand je dis que ça ne me dérange pas. Cependant, je comprends immédiatement que j’ai fait un impair en voyant sa tête.

— Il ne t’est pas venu à l’esprit que je pourrais simplement ne pas avoir envie ? Ça fait six jours qu’on baise quotidiennement, je ne suis pas une machine, Jonas. Je peux aussi bien avoir envie d’une soirée tranquille devant la télé, ou d’un apéro avec mes amies, tu vois ?

— Pas envie ? balbutié-je avant de me taire un instant. Oui, d’accord, on verra pour la semaine prochaine alors.

Je me lève assez précipitamment et vais rejoindre ma place derrière mon ordinateur. Pénélope s’est murée dans un silence pesant et fait mine de se concentrer sur les mails qu’elle lit avec une attention qui témoigne de son désir d’être laissée tranquille. J’avoue que je suis vexé par sa réaction et me demande où j’ai déconné. Hier soir encore, alors qu’on se câlinait sur son canapé où j’avais réussi à l’attirer pour une chevauchée fantastique, elle me disait à quel point notre accord lui apportait du plaisir. Et là, parce qu’elle est mal lunée, elle me jette comme un malpropre ? Elle abuse. Elle pourrait au moins m’expliquer un peu mieux les choses. Comment pourrait-elle ne pas avoir envie de tout ce plaisir mutuel qu’on se donne ? Moi, je sais que je ne peux déjà plus m’en passer. On se retrouve comme au début de notre relation, quand on était ados, et à cette époque-là, c’est elle qui n’était jamais rassasiée. Elle n’a pas pu changer autant que ça en dix ans quand même ? Il doit y avoir autre chose. Peut-être qu’elle a prévu de voir Steven ce weekend et qu’elle se réserve pour lui ? Ou alors, il y a un autre type ? Qui me dit qu’elle n’est pas inscrite sur un site de rencontres et qu’elle a un rendez-vous galant avec un autre ? Bon, il faut que j’arrête de me monter le bourrichon parce que clairement, elle m’a juste dit qu’elle n’avait pas envie. Et ça arrive, non ?

Je reporte un instant mon attention sur les différents mails que j’ai reçus mais rapidement, je suis déconcentré par ma collègue et partenaire sexuelle qui se lève pour aller chercher un dossier dans notre armoire. Elle a des fesses, mamma mia ! Comment fait-elle pour être aussi belle ? Je vais lui faire un compliment mais elle doit sentir que je prépare quelque chose car elle me lance un regard d’avertissement assez froid pour me remettre à ma place. Je me tais et reprends mes ruminations. Elle déconne, là. Je veux bien ne pas lui sauter dessus au boulot et ne pas lui faire de bisous, mais ne pas lui parler ? Bon, d’accord, ce n’était pas relatif au travail mais un compliment, ça fait toujours plaisir. Après, c’est vrai que les termes de notre contrat sont clairs. Au bureau, on reste collègues et puis c’est tout. Il fait chier, ce contrat. Parce qu'on ne s’est pas promis d’être exclusifs non plus et si elle veut passer son weekend avec un autre, qui je suis pour l’en empêcher ? Ma jalousie n’a pas de place dans notre relation. Mais elle est bien là. Quoi que je puisse dire ou faire, elle est présente. Énormément présente… D’ailleurs, ça me donne une idée. Je ne réfléchis pas plus et décroche mon téléphone.

— Salut Suzanne, tu fais quoi demain ? Je sais que j’avais dit que je ne serai pas disponible pour le tennis mais mon weekend s’est dégagé finalement. Je suis totalement libre ! Alors, une petite partie ou deux, ça ne serait pas de refus. Tu en penses quoi ?

— Tiens donc, un revenant ! Je vais bien, merci, au cas où ça t’intéresserait, me charrie-t-elle, un sourire dans la voix. Et toi ?

— Bien sûr que ça m’intéresse ! Tout va bien pour moi, je vis ma meilleure vie. Je te raconterai demain après le tennis si tu es disponible. On retrouvera nos bonnes vieilles habitudes, si tu vois ce que je veux dire.

Je constate avec plaisir que Pénélope ne perd pas une miette de ce que je dis et m’en félicite. Je crois que je vais atteindre mon objectif.

— Bien. Tu t’occupes de réserver un court ? Tu me diras à quelle heure on se retrouve. Pas trop tôt si tu veux bien, je bosse comme une acharnée en ce moment, j’aimerais dormir un peu demain matin.

— On dormira autant que tu le souhaites ! ris-je. A demain.

Je raccroche, satisfait de mon petit échange, mais mon sourire ne résiste pas longtemps au regard noir que m’adresse Pénélope. Je crois que je l’ai touchée, ça, au moins, c’est réussi. Mais la tempête est réveillée, on dirait.

— Tu viens vraiment de faire ça ? Sous mon nez en plus ?

— De faire quoi ? Tu n’es pas libre, ce weekend, c’est toi qui me l’as dit. Si tu ne veux pas me voir, d’autres le souhaitent peut-être, c’est tout.

— Et tu es incapable de garder ta queue dans ton pantalon pendant deux ou trois jours ? C’est comme ça que tu es devenu ? Si ton plan A n’est pas dispo, tant pis, une chatte ou une autre, peu importe tant que tu tires ton coup ?

— Et toi, tu vas faire quoi ce weekend sans moi ? Moi, au moins, j’ai l’honnêteté d’afficher les choses. C’est la seule différence, non ?

— La bonne blague… L’honnêteté ? C’est de la cruauté, rien de plus, Jonas. Tu voulais juste me faire réagir, me faire mal en me montrant que je ne suis qu’une nana parmi d’autres prêtes à écarter les cuisses pour le queutard du bureau. Ben tu sais quoi ? Si tu penses que ça me donne envie de t’ouvrir ma porte ce weekend, tu te fourres le doigt dans l'œil. J’ai juste envie de te dire d’aller te faire foutre et de profiter de tes groupies, parce que cette nuit était la dernière fois où je t’ouvrais ma porte et mes cuisses.

Le retour de boomerang est violent, là. Je ne m’attendais pas à cette réaction ni au fait qu’elle se lève et ne me laisse pas le temps de m’excuser ou de m’expliquer. Elle sort comme une furie et me claque la porte au nez. J’hésite entre aller la rejoindre pour qu’elle m’écoute ou la laisser se calmer. Lorsque je me décide à aller voir ce qu’elle fait, Elise m’apprend qu’elle est partie car elle ne se sentait pas bien. J’appelle immédiatement sur son portable mais tombe sur son répondeur. Je réessaie deux fois avant de laisser un message lui disant de me rappeler. J’ai merdé. Grave merdé. Tout ça parce que j’étais jaloux. Ou frustré de la voir se refuser à moi sans que je m’y attende.

Je n’ose pas rappeler et termine ma journée sans vraiment me concentrer sur mon travail. Lorsque je rentre chez moi, je prends mon courage à deux mains et la rappelle. Bien entendu, je tombe à nouveau sur son répondeur mais j’ai eu le temps de réfléchir à ce que j’allais dire.

— Nono, j’ai merdé, tu as raison. Et oui, c’était clairement de la cruauté. Je ne sais pas pourquoi j’ai cru que ça serait une bonne idée d’essayer de te rendre jalouse. Sûrement parce que tu as réussi à le faire en refusant de me voir ce weekend. Je t’ai imaginée avec Steven ou avec un autre, un nouveau alors que tu vas sûrement faire du tricot et du bridge tout le weekend. Je sais que c’est bête mais… en fait, la seule personne avec qui j’ai envie de passer ces prochains jours, c’est toi. S’il te plait, réponds-moi quand je te rappelle dans quinze minutes. Je… je veux juste m’excuser. Rien d’autre. Enfin si, si tu veux m’insulter, tu pourras le faire.

Je regarde les aiguilles de l’horloge bouger lentement. Ces quinze minutes font partie des plus longues de ma vie. Parce que si elle ne me répond pas, je sais que j’ai grillé mes dernières chances. Que c’est une nouvelle fin brutale à une histoire qui recommençait bien. Et je ne sais pas si je peux y survivre. Un peu tremblant, je compose à nouveau son numéro. Les sonneries retentissent. Je crois que c’est mort mais elle finit par décrocher.

— Nono ! m’exclamé-je, soulagé de la voir me donner une chance. Je suis un gros con, pardonne-moi, je t’en supplie. J’ai merdé, j’avoue que je n’ai fait ça que pour te faire réagir et que je m’en fous de Suzanne. La seule chose qu’elle fait mieux que toi, c’est le tennis. Ça, tu ne peux pas le nier, mais je n’ai pas envie de la voir, il n’y a que toi que je veux voir ce weekend. Le reste, c’était juste la pire connerie de ma vie. Ou une des pires, tu dois avoir toute une liste de toutes mes conneries, non ? Allez, parle-moi, engueule-moi, mais… ne me laisse pas dans le silence…

— Tu nous compares vraiment, là ? Elle est meilleure au tennis, mais bon, toi tu fais de meilleures pipes alors ça ne compte pas ?

Purée, j’ai encore merdé. Moi qui voulais la faire un peu sourire, je ne fais que renforcer sa colère et m’enfoncer.

— Ben si, ça compte, justement, me lancé-je ironiquement. Mais s’il n’y avait que ça, ça ne suffirait pas. Tu sais bien que même si je suis maladroit, ce que je veux dire, c’est que toi et moi, ça n’a pas d’équivalent. Que même si je peux être con, c’est toujours parce que je souffre quand je t’imagine loin de moi. Et que si… Et merde, Pénélope, je m’enfonce alors que tu dois être en train de sourire en m’imaginant pleurnicher comme le gros imbécile que je suis. Je suis désolé, mais même si tu ne veux plus me voir… ne me fais pas la gueule, je t’en prie. Je ne le supporterais pas.

— Tu devrais un peu plus réfléchir avant de parler, Marconi. Et arrêter de réagir au quart de tour et de croire que tout est acquis. Ce n’est pas parce que je dis non pour ce soir que je vais voir un autre mec et finir dans son lit. Et mets-toi à ma place une seconde, si je passais le genre d’appel que tu as donné devant moi, tu le vivrais bien ? C’est fourbe, même pour toi.

— Ouais, j’étais tellement désespéré de ne pas te voir alors que je ne m’y attendais pas que j’ai fait la première connerie qui m’est passée par la tête. Je suis pathétique… Mais bon, je ne sais pas si tu vas le croire, mais ce n’était que de la provocation, hein ? Je t’assure que demain, c’est tennis et après, je rentre à la maison. Je vais me morfondre tout le weekend en espérant que lundi, tu m’auras assez pardonné pour me saluer. Je… Tout le monde fait des erreurs, tu sais ? Et là, c’était la connerie de l’année pour moi.

— Hum… J’aurais sans doute pu éviter cette histoire stupide en te disant que je passe le weekend à babysitter chez mon frangin, d’un autre côté… Il emmène sa femme sur la côte pour leur anniversaire de mariage, ils ne rentrent qu’en fin de journée, dimanche. Mais je suis ravie de savoir que tu ne vas faire que du tennis avec la fille du boss.

Je ne peux m’empêcher de sourire à l’idée qu’elle ne va pas voir un autre mec. Et à son ton aussi. Elle m’en veut toujours mais ça semble moins irrémédiable que ça ne l’était avant mon appel.

— Et tu n’as pas besoin d’un clown qui ne dit que des bêtises pour les divertir, ton neveu et ta nièce ? Parce qu’avec moi, tu as un champion du monde, je t’assure. J’ai même un nez rouge caché quelque part.

— Non, je… Merci pour la proposition, mais on a un planning bien chargé, entre Disney, sortie dans un club de trampoline et pizzas maison à faire avec les deux petits monstres. Et puis, c’est pas contre toi, mais mon neveu était plutôt attaché à Steven, c’est un peu compliqué.

Mon cerveau carbure à plein régime et je suis déjà satisfait de voir qu’il ne semble plus y avoir de ressentiment dans ses paroles. On se parle normalement et je tente ma chance.

— Et si je t’invite dimanche soir pour une soirée cocooning ? Massage, petit repas, musique douce. Cela m’aidera à me faire pardonner et à te décontracter après un weekend fatiguant ou j’abuse ?

— J’imagine que c’est faisable, si mon frère et sa femme ne rentrent pas trop tard.

— Même si c’est tard, je peux attendre… Enfin, c’est comme tu veux. J’attendrai sagement que tu te manifestes. Et Nono ? Encore une fois, je m’excuse… Je suis désolé que tu aies conclu un contrat avec un con comme moi.

— Il faut croire que j'aurais dû réfléchir davantage avant de m’engager, mais le délai de rétractation est passé.

— Ça veut dire que tu me pardonnes ? demandé-je en ne réussissant pas à cacher les trémolos dans ma voix.

— Ça veut dire que le massage a intérêt à être du feu de Dieu, dimanche soir.

— Promis, ma Nono. Je ferai tout pour qu’on oublie que je peux être le plus imbécile des idiots de Paris.

Je raccroche, le sourire aux lèvres. Je suis passé au bord de la correctionnelle et je finis avec un rendez-vous non prévu au calendrier avec la femme qui me fait toujours autant fantasmer. Il n’y a pas à dire, je sais y faire avec les femmes. Enfin, c’est ce que je me dis en rigolant avant de me prendre une gifle virtuelle par la Pénélope de mes fantasmes qui lève les yeux au ciel.

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