La couleur des gens

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Je m’appelle Léo et j’ai sept ans.
Les adultes, c’est bizarre. Ils disent une chose avec leur bouche et une autre avec leur Ombre.

Mon papa, par exemple. Il sourit fort avec ses dents quand il me demande si j’ai rangé ma chambre. Mais derrière lui, son Ombre n’a pas envie de sourire. Elle est marron, comme du cambouis. Elle bouge tout le temps, comme si elle voulait partir. Alors je sais que, même s’il me prend dans ses bras, c’est son Ombre qui dit la vérité. Et son Ombre, elle, a envie de s’en aller.

Hier, Maman a pleuré : elle a cassé son vase préféré. Son Ombre est devenue bleue et transparente, comme de la fumée froide. Quand mon frère Thomas est arrivé, il a dit :
— C’est pas grave, Maman.
Son Ombre à lui brillait blanche, un peu comme la poudre de fée dans les dessins animés. C’est facile de savoir quand Thomas est gentil pour de vrai.

Mais Madame Dubois, la maîtresse, elle, c’est compliqué. À la bibliothèque, elle lit une histoire avec son chignon serré. Les autres enfants l’aiment bien. Moi, je regarde derrière elle : son Ombre est d’un gris sale, pleine de trous noirs. Elle regarde Lucas, celui qui fait tomber les livres, et elle mime qu’elle pince très fort sa joue. L’Ombre de Madame Dubois ne l’aime pas. Elle voudrait qu’il disparaisse.

Les enfants ne mentent pas. C’est ce que dit Maman. Moi, je ne mens jamais. Je vois juste la couleur de la vérité qui flotte derrière les gens. Et je me demande pourquoi les grands ne la voient pas. C’est comme si le monde avait des fenêtres cachées, et que moi seul savais où regarder.

J’ai toujours cru que ces Ombres disparaîtraient en grandissant. Mais elles ont grandi avec moi.

Le docteur Vian prend quelques notes, puis relève la tête.
Ses lunettes rondes reflètent la lumière du bureau, et son Ombre, d’un blanc très calme, sans aucune tache. Je n’en ai jamais vu d’aussi pure.

— Léo, dit-il doucement, cela fait presque dix ans que nous parlons de vos “Ombres”. Vous savez, depuis le temps, j’ai fini par les prendre au sérieux.

Je le fixe, surpris.

— Les descriptions que vous m’avez faites… de certaines personnes croisées ici, dans la salle d’attente, ou même de collègues que vous ne pouviez pas connaître… elles se sont révélées exactes. Troublantes, même.

Il se lève, s’appuie contre le rebord du bureau.
— J’ai cessé de croire qu’il s’agissait d’hallucinations. Ce que vous percevez, c’est autre chose. Une lecture invisible des émotions, des intentions… une vérité que la plupart d’entre nous ont oubliée.

Je baisse les yeux.
— Alors… vous pensez que je ne suis pas fou ?

Il secoue la tête.
— Non. Je crois que vous voyez ce que nous refusons de voir. J’ai un ami policier, à la brigade criminelle. Peut-être que votre don pourrait être utile ailleurs qu’ici.

L’Ombre du docteur devient plus lumineuse encore, dorée sur les bords. La plus belle Ombre que j’aie jamais vue.

Je prends une grande respiration.
— Je crois… que je suis prêt à essayer...

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