VI

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Il chancela et trottina maladroitement jusqu’à l’ambulance, menaça plusieurs fois de s’effondrer. Sam l’attrapa par la manche pour le retenir et essayer de comprendre ce changement de comportement, mais Donnie se dégagea avec brusquerie.

Des membres de la criminelle finissaient de ranger leur matériel. Le roux ignora leurs protestations et monta dans le véhicule, suivi par son informateur mécontent. Celui-ci contactait l’Organisation pour signaler cet incident, lui permettait de passer sous le cordon de sécurité, et l’homme de main de Rodney agissait n’importe comment.

Le flic se montra toutefois plus conciliant, car il comprenait que ce comportement ne lui ressemblait pas. Il calma ses collègues et regarda avec attention les gestes du gangster.

Tous les bracelets se ressemblent, c’est stupide, se martela Donnie.

Il se tint pendant d’interminables secondes devant le brancard, le dos courbé dans l’espace restreint, d’où une odeur de viande froide et de terre s’élevait. L’odeur de la mort. Familière, mais qui lui provoqua malgré tout un haut-le-cœur.

Lorsque la tension fut insupportable, il souleva le drap, dévoilant une femme au teint cadavérique. Il devina sans mal la déformation dans sa nuque, où le meurtrier avait frappé. Son attention fut détournée par le reste.

Des cheveux blonds et gras, plus foncés que dans ses souvenirs, s’étalaient autour de son visage carré, où des hématomes dessinaient des cercles bleutés. Large front, marqué de quelques rides, qu’elle avait l’habitude de dissimuler avec une frange. Sourcils épais, autrefois bien épilés. Pas de maquillage, seuls de profonds cernes noirs encerclaient ses yeux clos, aux prunelles qu’il savait brunes. Sa bouche, fine, ne laissait transparaître aucune émotion. Ses grains de beautés ressemblaient à des taches d’encre sur sa peau pâle. Elle ne lui parut pas maigre ou malade. Les sillons au coin de ses paupières lui brisèrent le cœur. Cinq ans.

L’image se grava dans son esprit.

Les doigts tremblants, il approcha sa main de la femme, mais ne la toucha pas. C’était au-dessus de ses forces.

Il se souvint des inscriptions, gravées à même la peau, dont lui avait parlé Sam. Le drap dévoila le haut du buste, où les scarifications sanglantes apparaissaient. Donnie fut incapable de soutenir cette vision et s’éjecta presque de l’ambulance. Il chancela et courut jusqu’à l’arrière de la station essence, le policier sur ses talons, dont les interrogations pressantes ne l’atteignaient pas.

Enfin, il stoppa sa course, s’accroupit et vomit.

Le flic recula pour lui laisser un peu d’intimité.

Depuis combien de temps n’avait-il pas mangé ? Seul un petit flot acide de bile lui brûla la gorge. Il s’assit sur le côté et essaya de garder le contrôle de son corps. Pourtant déjà, des sanglots secouaient sa cage thoracique, et des tremblements incontrôlables agitaient ses doigts.

« Tu la connais ? », osa enfin Sam.

Le roux se contenta de hocher la tête, incapable d’articuler le moindre mot. Le gout acre du vomi lui restait dans la bouche. Chaque déglutition desséchait davantage sa gorge.

« Oh bordel, croassa-t-il. C’est Rebecca. »

Il n’arrivait pas à réaliser ce qu’il se passait. Comment était-ce possible ? Pourquoi était-elle de retour à Los Angeles, et surtout, pourquoi ce quartier miteux de Compton ? Qui lui avait fait subir cette mort atroce ?

« Oh, ta sœur, comprit enfin son interlocuteur. Je croyais qu’elle était déjà euh… décédée.

- Elle est partie il y a quelques années, sans laisser de trace. Et, oui, on croyait tous qu’elle était morte. »

Il savait en prononçant ses mots que jamais il n’avait douté de sa survie.

Sam resta bouche bée pendant un instant, puis passa une main lasse ses joues. Il entrevoyait déjà quels ennuis l’attendaient. Le patron de l’Organisation allait chasser le responsable de ce meurtre et le tuer. Son travail de flic n’en serait pas facilité. Il posa une main compatissante sur l’épaule de Donnie. Malgré le dégoût que cela lui inspira, le roux ne fit aucune remarque.

Il renifla bruyamment et prit une profonde inspiration, qui se bloqua dans sa poitrine. Il ferma les yeux, pour retenir les larmes qui s’agglutinaient déjà. L’image du corps sans vie s’imposa à son esprit, comme collé à sa rétine. Un vide insupportable se forma dans sa poitrine. Il ne cessait de se demander qui avait pu faire ça à Rebecca. Elle n’avait jamais montré le moindre signe de violence. Avait-elle rejoint une secte ou un groupe aux idées extrémistes ? Cela lui semblait démentiel.

Il la considérait comme sa sœur depuis toujours, même s’ils ne partageaient pas le même sang. Rebecca était la fille biologique de Rodney, tandis que Donnie avait été adopté par le patron. Ils avaient grandi ensemble, seulement quatre années les séparaient. Comment allait-il annoncer la nouvelle à son père ?

« Qu’est-ce que vous savez d’autre ?

- Pas grand-chose malheureusement. Personne n’a rien vu ou entendu. On a lancé un appel à témoin et mes collègues ratissent la zone à la recherche de ses vêtements ou de ses papiers d’identité. »

La colère gonfla soudain et il se releva précipitamment.

« Ce n’est pas assez ! Il faut… il faut retrouver le responsable ! », balbutia-t-il en saisissant Sam par le col.

Le policier resta de marbre, en dépit du désespoir qui se peignait sur les traits du roux. Dissimulé derrière le bâtiment, ses collègues ne pouvaient pas intervenir pour l’aider, mais il n’en ressentit pas le besoin. Il prit doucement les mains de son interlocuteur, qui le relâchèrent. Il lui expliqua la procédure, où réclamer le corps pour les obsèques.

« Tu devrais rentrer chez toi et annoncer la nouvelle. Il n’y a rien de plus que tu puisses faire. Nous allons faire tout notre possible », promit-il.

Donnie recula en secouant la tête. Il connaissait l’efficacité de la police dans cette foutue ville. Le ressentiment se mélangea à la colère. Il serra les poings et contracta la mâchoire.

Il lança un dernier regard en direction de l’ambulance, où les agents de la criminelle fermaient les portes. Les moindres détails du visage de sa sœur s’étaient gravés dans sa mémoire. Rebecca, la fille la plus douce et gentille qu’il avait connu. Comment avait-elle fini dans cet état ?

« Ce n’est pas suffisant », souffla-t-il avant de partir.

Il laissa Sam et les autres flics, et rejoignit sa Camaro. Assis dans la voiture, il sortit une clope, mais ses mains tremblaient tant qu’il ne parvint pas à l’allumer. D’un geste rageur, il la jeta par la fenêtre et démarra en trombe.

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