IV

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Un bain, un dernier verre et au lit.

Cependant, à la seconde où il referma la porte derrière lui, la présence de Perry lui revint en mémoire. Il regretta de ne pas être resté en bas, quitte à supporter les jérémiades de Lars. Bruit de pas précipités et Perry apparut devant lui.

« Comment vas-tu mon chéri ? Ta journée s’est bien passée ? Comme tu m’as manqué ! », roucoula-t-elle.

Il l’embrassa en effleurant à peine ses lèvres et posa sa veste sur une chaise. La femme ne portait qu’une simple nuisette sexy. Parfois la nuit, le tissu n’arrivait pas à contenir ses énormes seins, ce qui faisait rire silencieusement Donnie au réveil. Des cheveux noirs cascadaient jusqu’à la courbe de ses fesses rebondies. Comme il avait été attirée par ses formes, quelques mois plus tôt.

L’homme se servit un verre de vin et s’appuya au comptoir de la cuisine. Sa compagne s’assit sur un tabouret en hauteur, attendant visiblement qu’il réponde. Son regard balaya le salon qui s’étendait devant lui. L’appartement, moderne et sans réelle personnalité, se trouvait transformé depuis que Perry restait dormir.

Elle laissait traîner ses chaussures au milieu du tapis beige tandis que ses vêtements tapes à l’œil dissimulaient presque entièrement le canapé d’angle en cuir. Des flacons de vernis et autres accessoires pour les ongles recouvraient la table basse en verre. Une odeur de dissolvant flottait dans l’air et lui arracha une grimace. Elle avait également mis des bibelots sur les étagères, autour de la télé, et il les détestait. Manque plus qu’elle accroche des rideaux pour cacher la vue, pensa-t-il.

Pourtant, il savait qu’elle détestait le panorama. Elle avait esquissé une moue dépitée en découvrant l’appartement pour la première fois. « Je m’attendais à mieux » avait-elle marmonné. Une partie du parking s’étendait devant, et juste derrière se trouvait un parc. Pas bien grand, l’homme avait déjà fait le tour en une dizaine de minutes, mais cela suffisait à l’apaiser. De plus à Los Angeles, avoir un petit carré d’herbe verte était chose rare. Perry ne comprenait pas l’importance de ce parc.

Il rajouta ce défaut sur la liste des éléments qui l’agaçaient déjà chez sa petite amie. Pourquoi prendre cette peine alors qu’il avait déjà pris sa décision depuis plusieurs jours ? Il ne craignait pas sa réaction – en réalité il s’en moquait – mais il était épuisé par leurs engueulades interminables, ses geignements stupides. Et la nouvelle dispute qui les attendait n’arrangeait en rien son humeur.

Donnie vida son verre de vin. La sensation familière et douce de l’alcool lui réchauffa la gorge. Sous les interrogations inquiètes de Perry, il s’enferma dans la salle de bain pour prendre une douche. Vu l’heure et la dispute qui l’attendait, autant se dépêcher. L’eau couvrit les protestations de la femme et lui remit les idées en place. Ses muscles, tendus par sa séance de torture, se décontractèrent enfin, et il soupira de plaisir. Ses vêtements iraient à la poubelle, il ne supportait pas l’odeur de la mort.

En sortant de la douche, il noua une serviette autour de sa taille et rejoignit la chambre. Perry l’attendait sur le lit. Elle referma le magazine qu’elle feuilletait, et releva la tête. Ses yeux brillaient de colère. La froideur dont il avait fait preuve en arrivant n’avait pas plu à la femme. Et son retard n’avait pas arrangé les choses. Peut-être que s’il avait ramené des fleurs ou un bijou, elle lui aurait pardonné. A quoi bon lui offrir quoi que ce soit, puisqu’il l’avait déjà exclue de sa vie ?

Donnie soupira et passa une main dans ses cheveux humides.

« Écoute Perry, je suis fatigué, j’ai eu une longue journée.

- Tu aurais pu me téléphoner ! protesta-t-elle. Où étais-tu ?

- Je ne pouvais pas. »

Elle fit une moue boudeuse. Combien de fois lui avait-il dit que les affaires de Rodney ne la concernaient pas ? Toutes ses petites amies se comportaient de la même façon. Elles voulaient toujours être au courant, mais la vérité ne leur plaisait pas. Il avait commis l’erreur de parler d’un de ses jobs, et son ex avait fondu en larmes et refusé de le revoir.

Alors il avait arrêté de répondre.

Il ouvrit l’armoire pour prendre un tee-shirt et un caleçon propre pour la nuit. A la seconde où il retira la serviette qui entourait sa taille, Perry sauta du lit et l’enlaça par derrière.

« Et si on se détendait ? » proposa-t-elle.

On ne pouvait pas retirer ça à la femme. Ils avaient passé leurs meilleurs moments ensemble au plumard. Donnie s’étonna qu’elle fournisse des efforts, alors qu’il était en tort.

Il arrêta sa main alors qu’elle s’apprêtait à s’emparer de son sexe. Une image horrible s’était imposée à son esprit et coupé toute envie de baiser. Il ferma les yeux un instant pour retenir la bile remontant dans sa gorge. Du sang. Des cris.

Les protestations de la femme le ramenèrent à la réalité.

« Tu me fais mal, lâche-moi ! »

Il la laissa partir et s’habilla rapidement, sans pouvoir articuler un mot. Après une bonne nuit de sommeil, tout irait mieux. Il se répéta cette phrase plusieurs fois, jusqu’à ce que les battements de son cœur se calment.

La femme s’était rassise sur le lit et se massait le poignet.

« Tu peux me parler, assura Perry.

- Tu n’as pas envie de savoir. »

Son inquiétude le toucha, mais il sentit l’agacement le gagner. Il n’avait pas besoin de sa pitié ou de sa pseudo-compassion. Jamais elle ne pourrait imaginer les jobs qu’il faisait pour Rodney. Pourquoi ne pouvait-elle pas comprendre qu’il ne voulait plus penser à son travail ? Lorsqu’il mettait les pieds dans l’appartement, tous les problèmes de la journée restaient sur le palier.

Pourquoi ce soir, il avait du mal ? Donnie ne parvenait pas oublier le visage du Mexicain, la fureur qui avait traversé ses traits, les larmes sur ses joues ou encore le sang, partout. L’odeur d’essence envahit soudain son nez, comme si la douche n’avait pas chassé ces notes agressives et écœurantes.

Il se laissa tomber sur le lit et sortit un paquet de cigarettes de la table de chevet. D’un geste tremblant qu’il essaya de contrôler, Donnie alluma une clope. La fumée chassa la senteur atroce qui paralysait son nez.

Perry râla contre son addiction et prit place à côté de lui.

« Peut-être que si tu me racontais juste quelques trucs…

- Non. »

Parce que si je devais tout te dire, tu serais horrifiée, songea-t-il. Son interlocutrice leva les bras au ciel avec un soupir. Donnie ne lui facilitait pas la tâche, mais le voulait-il seulement ?

« J’ai peur que tu ne rentres pas le soir, que quelque chose te soit arrivé », expliqua-t-elle.

Un terrible doute s’insinua en lui. Perry Ames, vingt-cinq ans, étudiante en droit à l’université de L.A. Trois mois qu’ils couchaient ensemble. Pourquoi tant de sollicitude ? Donnie plissa les paupières, se demandant s’il avait fait une connerie. Était-elle de mèche avec les flics ? Pourquoi insistait-elle autant ?

L’homme prit le cendrier sur la table de nuit à sa droite et y laissa tomber la cendre. La même conversation semblait se répéter encore et encore, et le lassait. La fatigue l’accablait, ses paupières lourdes pesaient une tonne et Perry ne lâchait pas le morceau.

« Peut-être que tu devrais prendre des vacances », suggéra-t-elle.

Il laissa échapper un rire cassant. Que croyait-elle ? Qu’il pouvait poser des congés payés et laisser Rodney gérer l’organisation tout seul ? Donnie ne pouvait pas se permettre de passer pour un lâche ou un faible. Non, elle ne voulait pas seulement qu’il se repose, mais qu’il quitte cette vie. Comme s’il pouvait encore faire demi-tour.

« Je n’ai aucune intention de partir, articula-t-il. Ça t’arrange que je gagne bien ma vie.

- Comment ça ? s’offusqua-t-elle.

- Tu étais complètement fauchée avant de m’avoir. Qui paye tes fringues et ton maquillage de pouffiasse ? »

Perry se redressa vivement, l’air choqué. Chaque soir elle profitait du casino ou de la boîte de nuit pour dépenser sans compter. Bien sûr, tous ces frais étaient couverts par Donnie. Il se fichait qu’elle utilise tout son argent, il en avait trop pour lui seul. La vie d’étudiante à L.A. devait s’avérer compliquée par moment, il pouvait le comprendre, et elle était bien tombée. Alors pourquoi se montrer si ingrate maintenant ?

« Si ça ne te va pas, tu peux partir », reprit-il froidement.

Il écrasa le mégot dans le cendrier en verre, et le reposa. Des larmes de colère remplirent les yeux de sa compagne. Elle s’était redressée et le dévisageait avec un mélange d’incompréhension et de déception.

« C’est comme ça que tu me vois ? », souffla-t-elle entre deux sanglots.

Donnie haussa un sourcil interrogatif. L’agacement lui brouillait les idées, sans compter l’épuisement. Il voulait en finir le plus rapidement possible avec cet échange.

« Une pute. On couche ensemble et en échange tu me paies tout ce que je veux. »

Il se retint de faire un commentaire acerbe. N’était-ce pas un bon résumé de leur relation ?

« Je pensais que tu avais des sentiments pour moi… »

Elle cacha son visage dans ses mains et il entendit des reniflements dégoutants, tandis que ses épaules s’agitaient de soubresauts. L’homme se pinça les lèvres, sans savoir quoi faire. S’il la réconfortait, elle prendrait son geste comme de l’attention. Cependant, il se sentait coupable de la traiter ainsi.

« Je vais aller me prendre une autre chambre, à l’hôtel. Restes dormir ici pour cette nuit.

- Tu me vires ? »

Il se contenta d'esquisser une grimace. Cela lui paraissait être un bon marché. Pourtant, en se levant, chaque muscle de son corps protesta. Deux heures du matin, déjà. Encore un peu de patience, et il pourrait enfin poser sa tête sur un oreiller.

Perry se leva elle aussi, le corps tremblant de fureur.

« Oh je ne voudrais surtout pas abuser de ton hospitalité ! »

Elle ouvrit l’armoire, enfila un jean et un tee-shirt par-dessus sa nuisette, avant de fourrer négligemment ses vêtements dans un sac. Il voulut lui dire que cela pouvait attendre le lendemain, mais elle mettait une telle énergie, qu’il la laissa faire. Des marmonnements indistincts lui parvinrent, parmi lesquels « tous les mêmes », qui esquissa un sourire sur le visage du roux.

« Je comprends pourquoi Rebecca est partie. »

Donnie se figea sur place. Tout le calme dont il avait fait preuve jusqu’à présent laissa place à une fureur difficilement contrôlable. Il n’avait pas entendu ce prénom depuis des années. Personne n’avait le droit de parler de Rebecca. Cela ne concernait que la famille, et pas une étrangère comme Perry. Elle avait dû en entendre parler au bar, les employés relayaient souvent des ragots, et celui-ci était le plus juteux.

« Casse-toi. »

Elle se redressa, surprise par le ton de sa voix. La femme laissa tomber son sac par terre et s’approcha de Donnie, l’air provocant. Un sourire mesquin étira ses traits.

« Oh c’est vrai, on ne doit pas parler de Rebecca ! J’en ai plus rien à foutre maintenant ! »

Donnie s’en voulait de se montrer aussi émotif. Il aurait pu prétexter une trop grande fatigue, mais il savait que c’était un mensonge facile. Mentionner sa sœur disparue ravivait toujours une plaie béante dans son cœur, lui rappelant son incapacité, son aveuglement.

« Peut-être que Rebecca ne s’est pas tirée. Peut-être que vous l’avez tous tués, bande de tarés ! »

Ils restèrent tous les deux pantois. Perry à cause de son courage et de la peur qui se mélangeaient en elle, Donnie parce qu’il n’en revenait pas. Comment osait-elle ? Les joues de l’homme devinrent rouges et ses sourcils se froncèrent. Ses lèvres se retroussèrent, tel un loup prêt à fondre sur sa proie.

« Je t’interdis de dire une chose pareille, gronda-t-il.

- Sinon quoi ? Tu vas me tuer ? Tu penses que j’ai peur de toi ? »

Perry avait décelé la faille et s’engouffrait dedans sans penser aux conséquences. Donnie n’était pas sûr de pouvoir se contrôler ou garder son calme. Il enfonça ses ongles dans les paumes de ses mains, pour maîtriser leurs tremblements.

Il refusait de croire que Rebecca soit morte, ou que quelqu’un lui ait fait du mal. Depuis son départ, personne n’avait de nouvelles. Ils avaient perdu sa trace à Phoenix, où elle semblait s’être volatilisée. La femme avait disparu du jour au lendemain, après une dispute avec Rodney. Malgré tous les contacts et l’influence du patron, on ne l’avait jamais retrouvée.

Le couple se dévisagea pendant quelques secondes, durant lesquelles Donnie mit tout en œuvre pour calmer les battements frénétiques de son cœur, qui résonnaient jusqu’à ses tempes douloureuses. Il contracta les mâchoires jusqu’à ce qu’une douleur se propage à travers ses dents.

Aspirer la colère. La refouler.

Perry retenait son souffle. Elle s’attendait à sentir une gifle lui brûler la joue, ou un coup de poing lui couper la respiration. Au lieu de ça, Donnie la poussa sur le côté, sans agressivité, et se dirigea vers l’armoire, où il continua de fourrer les dernières affaires dans le sac, qui dégueulait de tous les côtés. Elle resta immobile à l’observer, sans savoir quoi rajouter. Elle aurait pensé qu’il réagirait à tant d’insolence.

L’homme avait oublié le gout amer de la culpabilité, qui lui revenait soudain. Il avait toujours su que Rebecca détestait l’Organisation. Cependant, il avait pensé qu’elle lui en parlerait, ou qu’elle réagirait d’une façon moins disproportionnée. Il ne pouvait pas se permettre de frapper Perry pour une simple dispute. Sa sœur détestait justement ce genre de comportement, et s’il pouvait éviter ne serait-ce qu’une fois d’être un monstre violent… Était-ce un signe de faiblesse ?

Après une profonde inspiration, Donnie jugea qu’elle pourrait récupérer le reste une autre fois. Il voulait être seul et penser à tout, sauf à la disparition de sa sœur.

Il prit Perry par le bras et la traîna jusqu’à la porte d’entrée sous ses exclamations énervées. Si elle ne voulait pas partir de son plein gré, alors il la dégagerait. Donnie avait voulu être patient, mais parler de Rebecca créait une fureur qui le dévorait de l’intérieur.

« Lâche moi ! », hurla Perry.

Elle se tortilla dans tous les sens, il resserra son étreinte autour du bras, ce qui provoqua davantage de cris. La femme le mordit. Par réflexe, il la poussa à l’opposé, et elle se cogna contre le mur.

« Tu m’as fait mal ! haleta-t-elle. Je peux marcher jusqu’à la porte. »

Il se massa la main, ou les traces de dents apparaissaient déjà. Si elle ne partait pas dans les secondes à venir, il allait vraiment perdre son calme. Ils se dévisagèrent rapidement, Perry hésita à rajouter quelque chose, peut-être une excuse, mais Donnie fut plus rapide.

Il ouvrit le battant, jeta le sac de la femme dans le couloir sombre. Les vêtements s’éparpillèrent sur le sol, dévoilant des strings colorés et exubérants. Elle se précipita pour ramasser les fringues, il claqua la porte derrière lui et ferma à clé.

Des insultes fusèrent, atténués par la séparation entre eux deux. Il ne resta pas là pour l’écouter et rejoignit sa chambre. A peine sa tête posa-t-elle sur l’oreiller, il se rendit compte que la colère avait chassé la fatigue.

Donnie se rendit donc sur le balcon, fuma clopes sur clopes en observant le parc, jusqu’à ce que le sommeil revienne. Il ne songea pas à Perry. Elle l’avait bien distrait, mais comme pour les autres filles avant elle, c’était fini. Ce ne serait pas la première ni la dernière Perry.

Il suffisait de descendre au bar pour en trouver une dizaine comme elle.

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