II

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Heureusement pour Donnie, les êtres humains détiennent deux mains. La première ayant été gâchée rapidement, il se reporta sur la seconde.

« Les noms ? »

Seuls des sanglots lui répondirent, et des yeux remplis de haine pure. Oh, il aimait ce regard, surtout pendant un combat. Cependant, il n’avait pas le temps d’affronter Odoacro. Le soleil déclinait déjà dans le ciel, et chaque minute passée ici allongeait le retard de Donnie. Quitte à être en retard, autant en profiter. Perry et lui s’engueulaient presque chaque soir. Cet interrogatoire représentait l’excuse parfaite pour échapper à sa copine et sa crise d’hystérie. Peut-être se ferait-elle du souci s’il ne rentrait pas de la nuit. Pourtant, il savait que la confrontation serait inévitable.

Un nouveau geignement le fit sortir de ses pensées.

« Qu’avez-vous fait d’Amir ? parvint à articuler Odoacro.

- Même dans ton état tu arrives à te préoccuper de ton copain ? Je suis impressionné ! Pourtant, tu devrais vraiment penser à toi, en ce moment. Sinon tu n’auras bientôt plus de doigts », répondit Donnie d’un air embêté.

Il retira l’arme, qui laissa échapper un flot de sang les arrosant tous les deux. Puis, sans attendre, il saisit le petit doigt d’Odoacro, qui se mit à hurler de terreur. Une chevalière ornait le membre, et bientôt, les deux atterrirent au sol, accompagnés des pleurs et vagissements du prisonnier.

Le Mexicain beuglait un charabia incompréhensible, des insultes en espagnol mêlées à des cris de douleur. De la bave coulait de sa bouche, qui dégoûta Donnie. Le tee-shirt bleu et le jean du prisonnier acquirent bientôt une teinte brunâtre écœurante, dont l’odeur les prit à la gorge. Le tortionnaire prenait un malin plaisir à découper les doigts, à rencontrer de la résistance au niveau des articulations, à sectionner le cartilage et arracher les tendons. A chaque membre, il reposait sa question, tel un refrain qui coupait les cris incompréhensibles du prisonnier, mais ses mots se retrouvaient couverts par les vociférations et les sanglots de douleur.

Lorsque la main ne fut plus qu’un moignon sanguinolent, Donnie pressa et enroula une serviette autour, qui s’imbiba instantanément d’hémoglobine. Il essuyait régulièrement son couteau, qui glissait malgré les gants en plastique.

Cette session de torture manquait cruellement d’originalité. Tout son enthousiasme retomba bien vite. Les braillements du Mexicain lui donnaient mal à la tête, et l’absence de réponse le fatiguait également. Donnie ne rêvait plus que d’une chose : un bon verre de whisky et un bain. Si seulement Rodney et lui ne s’étaient pas disputés le matin-même, cette tâche aurait été confiée à un autre. Cela faisait longtemps qu’il ne torturait plus personne, les affrontements ou l’intimidation lui plaisaient davantage.

Donnie aurait pu confier la corvée à un autre larbin, mais Rodney l’aurait su. Parce qu’il connaissait les moindres faits et gestes de tous les hommes sous ses ordres. Il avait ainsi découvert les agissements d’Amir, qui achetait de la drogue à un autre fournisseur et la vendait dans les mêmes quartiers, pour se faire plus d’argent.

« Allez Odocrao. Juste un ou deux noms, ce n’est pas compliqué. Ça vaut le coup de perdre l’usage de ta main et de tes doigts ? Pour ces gars-là ? »

Pendant quelques secondes, il crut que le mexicain allait céder. La haine et la douleur tordaient son visage écarlate. Ses yeux exorbités et rouges semblaient prêts à lui sortir des orbites, et les pleurs continuaient à s’y agglutiner et à dévaler ses joues brunies par le soleil. Ses dents, serrées de manière convulsive, menaçaient de se briser sous la pression qu’il exerçait avec sa mâchoire pour ne pas hurler davantage. Ou comme s’il retenait les mots de sortir de sa bouche. Il allait craquer.

Ils finissaient tous par craquer.

Donnie aurait pu continuer ainsi longtemps, toute la nuit même, si l’ennui ne l’avait pas déjà envahi. Il avait la technique parfaite pour faire avouer à son prisonnier. Il appréciait commencer par les mains, cela faisait une belle entrée en matière. Cependant, il n’avait pas le temps de le travailler pendant encore des heures. Le temps filait à toute vitesse. Il fallait d’abord fatiguer sa victime, avant de passer à cette étape. En réalité, Donnie aurait préféré ne pas en arriver là.

« Voyons voir comment tu es équipé. Jésus-Marie-Joseph, je déteste faire ça. »

Odoacro s’arrêta soudain de crier et resta abasourdi en voyant son tortionnaire lui défaire la ceinture et ouvrir sa braguette. Puis, la suite des événements monta jusqu’à son cerveau et ses hurlements redoublèrent d’intensité. Il essaya d’assommer Donnie en lui donnant un coup de tête, cependant, celui-ci s’était accroupi devant le Mexicain. Avec ses jambes attachées aux pieds de la chaise, il ne pouvait pas l’atteindre.

« Non, arrête ça ! supplia le captif.

- Donne-moi les noms, et tu pourras partir.

- Je ne peux pas les balancer, expliqua-t-il en désespoir de cause. Ils viendraient se venger !

- Rodney ne leur en donnera pas le temps. »

Donnie poussa un profond soupir, puis avec une grimace de dégoût, il descendit le caleçon du captif.

« Certains pourraient prétendre que je rends service à l’humanité en te privant de ce petit joujou. Mais honnêtement je ne prends aucun plaisir. »

Il avait effectué des recherches sur sa victime. Il songea à Rodney et savait que son père le remercierait de les avoir débarrassé d’un pédé de plus. Le patron faisait la chasse aux homos. Jamais l’un d’entre eux ne pourrait atteindre les hautes sphères de l’Organisation.

La crise d’hystérie du Mexicain le ramena à la réalité. Une veine rouge et gonflée palpitait sur son front dégarni.

« Tu ne crois pas qu’il serait temps de me parler ? »

Ils regardèrent tous les deux le sexe qui pendait lamentablement entre ses cuisses. Donnie brandit le couteau en l’air, ce qui arracha à nouveau de terribles hurlements à Odoacro. Si cela n’avait tenu qu’à lui, l’homme de main aurait assommé le Mexicain juste pour faire taire ses cris de porc égorgé.

« Je ne veux pas te la couper, et tu n’as pas envie qu’elle soit coupée, pas vrai ? Alors donne-moi ces fichus noms ! Bon sang, est-ce que ça vaut vraiment le coup ? »

Donnie savait d’expérience que trop torturer un homme n’était pas bon. Une fois que la douleur était trop forte, elle rendait la victime amorphe et cela ne servait plus à rien de continuer. Cette étape serait la dernière. Si Odoacro ne craquait pas maintenant, alors il tiendrait bon jusqu’à la mort.

Il avait déjà perdu beaucoup de sang. Donnie avait besoin de réponses sur le champ.

« Odoacro. Tu as une chance de t’en sortir. Ils n’auront pas le temps de savoir ce que tu as fait, ils seront morts. Tu souhaites vraiment sacrifier ta vie pour eux ? »

La vision du Mexicain était brouillée par les larmes. La bave avait coulé le long de son menton jusqu’à son tee-shirt. Se rendait-il encore compte de ce que lui disait Donnie ? Ou avait-il déjà atteint ce point de non-retour ?

« Il y a Azariel et Lujan. Je ne sais pas le prénom des autres. Je t’en prie, arrête de me faire du mal, je t’en supplie », sanglota-t-il.

Donnie ne s’arrêta pas pour autant. Il savait que les traîtres étaient plus nombreux que ça. Odoacro ne disait pas toute la vérité. Pensait-il que la moitié suffirait ? Reniflant, l’homme de main de Rodney s’approcha un peu plus de lui. Il fit glisser le couteau le long du sexe de l’homme. Celui-ci geignit lamentablement.

« Il me faut tous les noms. »

Le mexicain semblait réfléchir à toutes les possibilités, aux conséquences de cette traitrise, mais surtout, il ne pouvait détacher son regard de son pénis. Vivre sans doigts, il pouvait. Mais l’homme ne pouvait imaginer sa vie sans ce membre… Les paroles de Donnie tournaient dans sa tête.

« I-i-il y a mon cousin Bart, haleta l’homme. Les ritals ont conclu un marché avec Amir pour pourrir votre territoire, c’est tout ce que je sais. Arrête je t’en prie ! Ne me fais plus mal, arrête ça ! »

Donnie jeta le couteau par terre et donna une tape amicale sur l’épaule de le mexicain. Il retira un gant et sortit de la poche de son pantalon un petit téléphone à clapet afin d’envoyer un message à Saul. Il indiqua les noms des trafiquants traitres. Vu l’état dans lequel se trouvait Odoacro, Donnie le croyait lorsqu’il disait ne pas connaître l’identité des Italiens. L’intervention d’un clan ennemi ne le rassurait pas.

Il n’aurait admis à personne que bâcler le travail lui importait peu à présent. Que ces noms soient les bons ou non, il voulait juste en finir avec le mexicain.

L’homme sanglotait à présent, la tête basse. La douleur s’était transformée en spasmes qui le secouaient à intervalles réguliers. Une pointe de chagrin traversa le cœur du roux. Les ordres de Rodney lui revinrent en mémoire. Cela ne lui faisait pas plaisir, mais il n’avait pas le choix.

« Merci Odoacro. Tu es libre. »

Le mexicain releva la tête, l’espoir traversa ses traits. Soudain, le rouge déserta son visage, comme s’il retrouvait enfin de la sérénité, malgré ses doigts manquants où un sang épais s’écoulait. Donnie retira son attirail de boucher et le jeta un peu plus loin. Il prit soin de ranger son arme après l’avoir nettoyée et remise dans son costume avec soin. Sans un regard pour son prisonnier, il quitta l’entrepôt avec la valise.

Sa Camaro l’attendait toujours au même endroit. Il déposa le sac dans le coffre et attrapa les bidons d’essence qui s’y trouvaient. Il transporta son fardeau jusqu’à l’intérieur du hangar. Les barils semblaient peser une tonne, et devoir accomplir ce sale boulot ne fit qu’augmenter son agacement. Il espérait que le sort d’Amir, Odoacro et les autres se répandraient parmi les voyous, qui éviteraient de faire n’importe quoi à leur tour.

Le mexicain observa ses gestes avec inquiétude. Ses cris avaient laissé place à des geignements insupportables. Il attendait avec impatience que Donnie le libère, mais son agresseur ne lui prêtait plus attention.

L’homme de main de Rodney vida les bidons d’essence un peu partout. L’odeur se répandit autour d’eux, leur agressant les narines. Puis arrivant au niveau du prisonnier, il le recouvrit également du liquide puant. Le carburant brûla ses plaies le faisant rugir de douleur.

« Tu as dit que j’étais libre ! Laisse-moi partir !

– La mort sera ta libération. Rodney n’a jamais eu l’intention de te sauver la vie », expliqua Donnie sans aucune émotion dans la voix.

Le mexicain l’insulta de toutes les manières possibles et imaginables. Il supplia pour que sa vie soit épargnée mais Donnie n’écoutait pas. Il jeta les barils à côté de la chaise et sortit de l’entrepôt. L’air frais balaya l’odeur de sang et de carburant. Il tira une cigarette de la poche de son pantalon, et l’alluma avec le briquet qu’il laissa tomber dans le hangar. L’essence prit immédiatement feu.

Sans un regard en arrière, Donnie sauta dans sa voiture et mit le plus de distance possible entre Odoacro et lui.

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