III

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Donnie rejoignit la scène de crime, beaucoup moins sinistre en plein journée. Garées sous l’auvent, des voitures attendaient que leur propriétaire fasse le plein. Des gamins rentraient dans le magasin pour acheter des bonbons, des adolescents fumaient dans un coin, à l’arrière du bâtiment. Qui aurait pu croire qu’une femme avait été assassinée ici, cinq jours plus tôt ?

Il sortit une carte de la ville, qu’il gardait toujours dans sa boîte à gants. Même s’il séjournait à L.A. depuis plus de vingt ans, il ne connaissait pas tout le dédale de ruelles qui composaient l’agglomération. Et encore moins ce quartier mal famé.

Il commença donc son inspection des alentours et nota une croix sur chaque rue parcourue. Il couvrit un certain périmètre à pied, sans trouver quoi que ce soit. Lorsque les habitants acceptaient de répondre à ses questions, leurs réponses ne l’avançaient pas. Les heures défilèrent à toute vitesse, il retira rapidement sa veste noire, la chaleur épouvantable ne rendait pas ses recherches plus faciles. Il voulait rentrer, se mettre au frais sous la climatisation.

Laissant derrière lui les grandes avenues, il plongea dans le quartier plus résidentiel, où des maisons de plain-pied, identiques, s’alignaient à l’infini. Il montra une photo de Rebecca à ceux qui acceptaient d’ouvrir leur porte. Personne ne l’avait vue.

L’homme fit une pause, au milieu de l’après-midi, au Magic Johnson Park. L’endroit grouillait d’enfants, accompagnés de leurs parents. Il s’acheta une bouteille d’eau au kiosque, et se reposa quelques instants, en observant le plan d’eau artificiel. Les cris des gosses fusaient de toute part, tandis que les adultes se regroupaient à l’ombre, sur des tables de pique-nique.

Il se désaltéra, interrogea toutes les personnes dans le parc, avant de reprendre ses recherches, direction l’ouest. Sa motivation et ses espoirs diminuaient à mesure qu’il parcourait les rues vides. Que cherchait-il exactement ? Des vêtements ? Un tuyau ou une batte de baseball ? Plusieurs fois déjà, il avait fait halte pour fouiller des tas de fringues jetés dans la rue, qui ne correspondaient pas à la taille de sa sœur. Mais comment aurait-il pu savoir que cela appartenait à Rebecca ? Peut-être qu’elle avait été emmenée dans ce quartier et qu’il ne trouverait rien ici. Donnie ne savait pas où chercher, mis à part à Compton.

Au bout du parc, il trouva un motel miteux et tenta sa chance. Le bâtiment ressemblait à un entrepôt, dont les murs jaune et orange irritèrent ses yeux. A l’intérieur, il fut accueilli par un homme rachitique, à l’air ennuyé, qui feuilletait un magazine. Le roux lui montra la photo, sans plus de succès.

Après plus de deux heures, il fit demi-tour et rejoignit la station-essence. Dans le magasin il acheta et engloutit une seconde bouteille d’eau. Puis, il se posta sous la climatisation et attendit que ses joues rougies retrouvent une couleur normale. Cependant, il sentait la chaleur des coups de soleil qui se répandait sur son visage. Il avait gardé sa chemise pour protéger sa peau. Malgré les années à Los Angeles, son épiderme pâle ne supportait toujours pas une exposition trop prolongée au soleil. Il avait défait les boutons, dévoilant un maillot de corps devenu presque transparent à cause de la sueur. Des ampoules douloureuses pulsaient dans ses chaussures et il se maudit pour ne pas avoir pris une autre paire.

Malgré cette pause rafraichissante, il dut retourner affronter la touffeur de fin d’après-midi, et reprit ses recherches, à l’est, cette fois. Il passa devant plusieurs écoles, où les étudiants se rassemblaient pour bavarder avant de rentrer chez eux. Il se présenta à d’autres maisons, toujours identiques. L’accueil était rarement bienveillant, les gens se méfiaient. Peut-être le prenaient-ils pour un témoin de Jéhovah. A la supérette, on le dévisagea avec suspicion, et il quitta les lieux avant que la sécurité ne s’en mêle.

Il savait que ces recherches n’aboutiraient pas, pourtant il poursuivit. Un gout amer de découragement se répandit dans sa bouche sèche. Donnie refusait de repartir bredouille. Il voulait fuir aussi longtemps que possible les responsabilités et tâches qui l’attendaient à l’hôtel. Rodney poserait des questions, et l’absence de réponse le laisserait davantage désemparé et inconsolable. Il savait qu’à peine de retour chez lui, il noierait son incompétence dans l’alcool.

Les larmes lui montèrent aux yeux et il s’arrêta à l’ombre d’un bâtiment. Il hésita à pénétrer dans un magasin de meubles, à sa droite, avant de repousser cette idée. La station essence se trouvait sur un grand boulevard, loin des habitations. En pleine nuit, la plupart des boutiques alentours étaient fermées, et les gens chez eux. Il refusait d’admettre sa défaite, que Rebecca avait été amenée ici après son décès.

Sa tête se mit à pulser, à cause du manque d’eau et des coups de soleil. Malgré ses chevilles ensanglantées à cause des ampoules, il avança. Avec la moiteur, l’encre de la carte avait laissé des traces dans sa main, qui lui laissait une impression de saleté désagréable.

Alors qu’il s’apprêtait à faire demi-tour et rejoindre sa voiture, Donnie aperçu un motel. Ce serait le dernier, décida-t-il.

Dans une autre vie, l’édifice avait été une église, comme en témoignait la croix sur la façade. Sur le côté, s’étendait les chambres louées, où l’on pouvait garer sa voiture directement devant la porte. Pas très populaire ce Doxie Motel. Peut-être que les murs bleus criards n’inspiraient aucune confiance. Il s’épongea le front et franchit la porte d’entrée.

Il pénétra dans un salon plutôt grand, anciennement la nef se dit-il, avec des canapés miteux, et un bar vide. Ses pas furent étouffés par la moquette bleue au sol. Les étroites fenêtres en forme de croisée rappelaient l’église, mais aucun vitrail ne subsistait. Un papier peint fleuri recouvrait les murs, de fausses boiseries camouflaient les colonnes. Quel mauvais goût.

Au fond, une grosse femme l’observait, assise derrière un comptoir. En apercevant l’homme, elle se redressa sur son siège et passa une main dans ses cheveux bouclés. Donnie avait laissé ouvert sa chemise noire, laissant apparaître un maillot de corps lui collant à la peau. Une fine chaine en or pendait autour de son cou. La quinquagénaire s’éventa avec la main, malgré le ventilateur qui rafraichissait son visage bouffi et rougi par la canicule. Le roux s’approcha et offrit son plus beau sourire. Sur la poitrine imposante, il put lire l’étiquette indiquant le nom de la femme.

« Bonjour, Brenda. J’aurai voulu avoir quelques informations, sur l’une de vos clientes.

- Nous ne donnons pas ce genre d’informations, marmonna-t-elle. Nous ne sommes pas…

- Ce genre d’établissement, je sais. Vous respectez la vie privée de vos clients, et c’est tout à fait respectable. Voyez-vous, cependant, je cherche ma pauvre sœur, qui a disparu. »

Il afficha sa mine la plus malheureuse et attendrissante et sortit la photo de sa poche. Elle représentait Rebecca. On voyait seulement son buste, mais il se rappelait sa robe rouge moulante mettant en valeur ses formes harmonieuses. Ils avaient pris ce cliché pour Noël, et pour l’occasion, elle portait un maquillage doré et rouge qui embellissait son visage.

Il posa le cliché sur le comptoir et attendit sa réaction. Pendant ces longues heures à errer dans la rue, durant toute l’après-midi, il avait vu de nombreux comportements, beaucoup d’indifférence, parfois de la compassion. Mais Brenda resta silencieuse. Elle plissa les paupières avant de hocher négativement la tête.

Il remarqua un léger mouvement de son bras droit, sous le comptoir. Une arme sûrement. La tenancière savait que cette affaire risquait de lui attirer des ennuis. Il décida de jouer la carte de la sûreté. Même si elle paraissait molle et lente, elle pouvait dégainer un pistolet et le braquer s’il la menaçait.

Néanmoins, l’espoir naquit en Donnie. Avait-il eu raison de persévérer ? Il déglutit avec difficulté et essuya ses mains moites avant de sortir son portefeuille. Il aligna deux billets :

« Est-ce que la mémoire vous revient ? »

Brenda lui lança un regard soupçonneux et récupéra l’argent.

« Elle est arrivée y’a une semaine. A payé en cash, pour une semaine. Enregistrée sous le nom de… »

Elle récupéra les lunettes qui pendait autour de son cou, les mit juste le temps de regarder son registre et les laissa retomber.

« Smith. »

Original.

« Était-elle seule ? »

Pas de réponse. Nouveau billet.

Il essuya la sueur qui coulait sur son front, sans pouvoir différencier si la canicule ou l’angoisse lui provoquait cette bouffée de chaleur.

Coup d’œil alentour : deux caméras. Eteintes.

La réceptionniste représentait sa seule et unique chance d’avoir des informations.

« Oui.

- Est-ce qu’elle a eu de la visite ? »

Il n’hésita pas une seconde de plus et posa encore des dollars devant lui. Son interlocutrice eut un sourire malicieux, qui révéla des dents jaunies par le tabac. Le gangster se força à paraître détendu et s’appuya contre le comptoir. Autant mettre le plus de chances de son côté, même si son comportement le dégoutait. Brenda réajusta sa permanente à la couleur douteuse.

« Deux jours après son arrivée, des hommes sont venus à l’hôtel.

- Combien ? Qu’est-ce qu’ils voulaient ? Vous vous souvenez de leur visage ? Ou d’une caractéristique ? »

Elle soupira et leva les bras au ciel, comme si toutes ses questions la submergeaient. Donnie se sentit envahi par l’agacement, mélangé à la fatigue. Il essaya de garder son calme, de continuer à jouer son rôle. Pourtant, l’excitation dévorait tout le reste, la douleur de ses chevilles ou de ses tempes, sa gorge sèche, l’odeur de sueur qui se dégageait de lui. Enfin une piste ! Il se retint de secouer la femme ou de l’insulter.

Il sortit un billet de cent dollar. Brenda voulut s’en emparer, mais il le retira au dernier moment. Le sourire carnassier se résorba en une moue mécontente.

« Décrivez-les. »

Il secoua le billet sous le nez de la gérante.

« Ils étaient quatre, je crois. Le plus vieux devait avoir soixante ans, et le plus jeune une vingtaine. Ils ont montré une photo de la fille, mais plus récente que la vôtre, pour que je lui dise de descendre. Ils voulaient parler. »

Brenda avait vendu Rebecca à ses assassins. Il contracta la mâchoire tout en se forçant à sourire. Le tout ne fut surement pas convaincant car la femme eut un mouvement de recul.

« Est-ce qu’ils avaient l’air agressif ? »

Elle fronça les sourcils et secoua la tête.

« Non, ils se sont enlacés, avant de sortir. Je ne l’ai plus revue. »

Donnie crut que ses jambes allaient le lâcher. Il se retint au comptoir et prit de profondes inspirations. Tout ceci n’avait aucun sens.

« Quelle heure ?

- Hum… Je ne sais pas, peut-être onze heures ? »

Qu’avaient-ils fait entre onze heures du soir et trois heures du matin ? D’un geste tremblant, il rangea la photo.

« Pourquoi ne rien avoir dit à la police ? Ils sont venus, non ? »

Brenda se contenta de renifler avec mépris. Pas besoin d’en dire plus. Elle devait accueillir nombres d’activités illégales dans son motel, et des questions concernant un meurtre ne devaient pas être bonnes pour les affaires.

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