Chapitre 20 — Emilie : silence pesant pour rouste annoncée

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— Brian, s’te plaît… arrête de me tenir la main aussi fort. Tu me fais mal.

Tête enfoncée dans le cou, yeux de pierre, Brian restait accroché à sa sœur comme un naufragé à une bouée.

— Laisse ton frère petite conne ! T’en as assez fait comme ça.

Hors de portée du corps médical, Laurence pouvait se lâcher. La voiture ronronnait doucement, le panneau indiquait Paris à deux-cent-trente-quatre kilomètres. Soit encore deux-cents bornes et quelques de répit… ce n’était pas tant que ça. Au moins passeraient-ils lentement, on était pris dans un embouteillage qui n’en finissait pas. Laurence allumait cigarette sur cigarette devant l’écran, ayant enclenché la conduite automatique gestion-lenteur. Les intempéries avaient provoqué des bouchons record.

— Dis-toi qu’on serait partis bien avant la tornade si tu t’étais pas foutue à la flotte.

Un énorme cyclone apparu dans la capitale avait dessiné un large tour sur plusieurs autres régions avant de s’éteindre. Les images des infos étaient impressionnantes. Des millions d’eurasos de dégât. Selon un spécialiste ça allait relancer l’économie, Emilie ne comprenait pas pourquoi. Depuis le début du voyage, les chaînes diffusaient en boucle des vidéos amateurs. Presque aucune de vidéosurveillance : tout avait été arraché, les gens avaient filmé depuis leurs fenêtres. Une séquence montrait même un petit corps, qu’on n’avait su identifier, se balader dans les airs. Celle qui repassait le plus souvent.

On parlait de cette fameuse Coralie sur tous les canaux. C’était du jamais-vu depuis un quart de siècle. Paraît que les écolos remontaient déjà dans les sondages-minute, ce qui par définition ne signifiait rien. Ce n’était pourtant pas le premier passage de cyclone dans le pays. Pour une fois qu’il était un peu plus gros et tenace que d’habitude, tout le monde était paniqué ! Coralie avait fini sa course dans un champ de blé. Routes bloquées, accidents… les premières polémiques commençaient. Prévisions erronées des météorologistes, sans-abri emportés à cause de centres sociaux fermés, d’autres tabassés par des voyous ayant tout vandalisé… Une fois de plus, on ne parlait que de la capitale sans s’interroger sur les autres régions. Idem pour la presse étrangère, comme si le pays entier se résumait à cette mégapole laide et sale.

— Une heure à remplir des papiers. Deux heures à attendre qu’on me reçoive. Et une heure et demie à essayer de convaincre ce connard de médecin que t’étais pas une folle !

— C’est que tu devais pas en être convaincue, murmura Emilie.

— Arrête de marmonner. Qu’est-ce que tu dis ?

— Rien.

— Il était prêt à nous coller des psychiatres sur le dos, et à mes frais. Qu’est-ce qui t’a pris de lui raconter cette histoire de… de je sais quelle apparition ?

— Mais j’ai vu quelque chose !

— Je vais finir par croire que tu l’es vraiment, folle. (Bingo). Un ange. Ah bravo. C’est maintenant que je te débarque chez ton père que je vais avoir des vraies vacances tiens. Il va prendre un peu le relais de tes conneries.

— Moi je te crois, chuchota Brian.

C’était la première fois qu’il ouvrait la bouche depuis le départ.

— L’ange était sur une île qui ressemble à Neverland, lui répondit Emilie en chuchotant de même.

— Neverland ! ? Le parc d’attraction aux U.S.A., là, l’ancienne maison de Michael Jackson ?

— Neverland le pays de Peter Pan.

— Ah oui, Peter Pan, le dessin animé…

— Peter Pan le livre ! Je l’ai à la maison. Je te le lirai.

— Et pourquoi il est pas venu te sauver, l’ange ?

— Aucune idée. Je trouverai bien une explication.

— T’essaieras plus de faire ça ?

— T’en fais pas. Tu sais je risquais rien. Il savait que je m’en sortirais, sinon il m’aurait pas laissée.

Elle n’aurait jamais pensé que son petit frère l’aimait tant.

— Taisez-vous tous les deux, vous me fatiguez !

Peut-être Laurence se réjouissait-elle déjà de ce qu’Emilie allait prendre. Sa fille acceptait toujours les roustes de papa. A chaque fois que Laurence avait tenté de son côté, elle avait récolté morsures, griffures et coups de pieds, et quand Emilie s’y mettait elle pouvait être drôlement hargneuse. Emilie estimait que c’était là le rôle du père, rien que du père, et qu’on ne pouvait enfreindre cette règle ancestrale. Elle était contre ces familles modernes où les deux parents battent leurs enfants. Le rôle du père était de battre et celui de la mère de câliner. Seul un sur deux tenait son rôle, c’était toujours ça. Ce n’était pas du gâteau pour autant, papa avait une de ces forces ! De sa main, il pouvait vous envoyer à deux mètres à la ronde. Et ce n’était pas une image ! Une fois elle avait mesuré, entre l’empreinte de la semelle paternelle et la goutte de sang sur le sol sortie de son nez à l’atterrissage. Papa choisissait toujours où frapper. Joues, épaules, tête. Jamais rien de cassé… violence calculée. Peut-être pour l’épargner, peut-être pour éviter les soucis juridiques. Le fait est qu’il n’y avait presque jamais de signe extérieur. Au moins pendant ces moments, si désagréables soient-ils, Emilie existait à ses yeux.

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