Chapitre 22 : Choc thermique

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Kimi observait le plafond blanc de la chambre de Sky, les bras croisés derrière sa tête. Elle pensa que tout ce qu’il y avait autour était de la même couleur. Bien sûr qu’elle avait fouillé dans sa chambre, mais elle n’y trouva rien de compromettant. C’est comme si cette pièce ne lui appartenait pas réellement, qu’il n’y avait pas laissé sa marque. Elle eut un léger pincement au cœur et se retourna sur le flanc droit, attendant le sommeil. Charles l’avait obligé à regarder un documentaire avant de pouvoir rejoindre la chambre. Elle se sentait fatiguée de sa journée alors qu’il était si tôt. Elle pensait alors à Dossan, à son “chez-elle”, son lit… Qu’est-ce qu’ils pouvaient bien faire tous les deux ? Est-ce qu’i l’avait initié à leur tradition du samedi soir ? Elle ferma les yeux, puis les rouvrit instantanément et accrocha très fort l’oreiller de Sky. La sensation de vide ne partait pas, comment pouvait-il vivre dans une telle maison ?

***

Assis sur la chaise du bureau, Sky observait les photos de Kimi et ses amis. Il les frôlait du bout des doigts, ne voulant pas les abîmer. Il sentait bien qu’elles étaient précieuses. Des petits coups à la porte le sortirent de ses pensées, toutes dirigées sur le fait qu’elle avait plus de copains que de copines. Dossan apparut dans l’entre-porte et s’avança pour s’appuyer contre le bureau.

  • Elle avait beaucoup d’amis dans son ancien lycée ?
  • Tu poses enfin des questions personnelles sur Kimi ? lui renvoya-t-il à la figure. Je plaisante, et oui, un paquet. Elle a toujours su s’intégrer, c’est pour cette raison que je n’ai pas eu peur de l’envoyer à Saint-Clair.

Sky l’écoutait à moitié, une photo en particulier attirant son attention. Le cliché la montrait au milieu des garçons, son pote Mike avait un bras autour de son épaule. Un autre grand blond derrière faisait pareil et Kimi tenait celles d’un petit gars ténébreux.

  • C’est drôle que ce soit celle-ci qui t’interpelle, dit Dossan en passant son doigt sur le plus jeune d’entre eux. Leroy, fit-il en le montrant du doigt, est très attaché à Kimi. Il vit plutôt mal cette séparation…
  • Ah oui ? N’est-ce pas étrange ? s’étonna Sky devant son air triste.
  • Je suis en procédure pour l’adopter, répondit-il tout simplement.
  • Oh…
  • Excuse-moi, je te mets mal à l’aise…
  • Non, non pas du tout, fit-il.

Dossan le regarda d’un air interrogatif, découvrant une facette qu’il ne lui avait pas encore vu.

  • En fait, je me disais qu’il faut vraiment ressentir beaucoup d’amour pour adopter quelqu’un ? dit-il les yeux toujours rivés sur la photo.
  • C’est une bonne réflexion, souffla-t-il en allant s’asseoir au bord du lit. Tu te demandes pourquoi est-ce que j’adopte plutôt que faire le choix d’avoir des enfants, n’est-ce pas ?
  • Oui, et pourquoi… Kimi ? Pourquoi Leroy ?
  • Eh bien, poussa-t-il encore un grand soupir, j’ai toujours voulu des enfants, commença-t-il. Mais j’ai aussi longtemps été célibataire…
  • Et maintenant ? Enfin, c’est peut-être malpoli de demander ?
  • Je suis toujours seul, disons que je n’éprouve pas vraiment le besoin d’avoir une compagne. Mes enfants me suffisent…
  • Alors, tu n’as jamais… connu l’amour ? demanda-t-il d’un air strict.

Pendant de longues secondes, Dossan resta silencieux, ne quittant pas les yeux intéressés qui attendait patiemment une réponse. Pour lui, cette question n’était pas anodine.

  • Durant mes années lycées, j’ai connu le grand amour. Depuis, je n’ai pas vraiment cherché à ressentir à nouveau un tel sentiment, lui expliqua-t-il d’une voix douce. C’est une des raisons qui fait que je suis resté célibataire, mais je voulais des enfants. Il se trouve que les parents de Kimi étaient mes meilleurs amis et quand le drame s’est produit, on m’a annoncé qu’ils souhaitaient qu’en cas de problème, je puisse être celui qui la prendrait à charge.
  • Ils avaient pensé à ça ? demanda-t-il, surpris.
  • Ce que je vais te dire là, je te demanderai de ne pas en parler avec Kimi, mais son père était atteint d’une maladie. La prise de médicaments le rendait petit à petit fou, violent. Malheureusement, s’ils ne les prenaient pas, alors… c’était la mort qui l’attendait, dit-il difficilement. C’est la folie qui l'a poussé à commettre ce qu’il a commis… et Kimi a également failli y passer. C’est aussi une des raisons pour laquelle elle ne supporte pas la vue du sang.
  • Il s’est attaqué à elle aussi ? fronça-t-il les sourcils.
  • Oui, c’est pour ça que j’aimerais que tu gardes ces confidences pour toi. Quand tu m’as dit que tu savais pour l’adoption, ça m’a beaucoup étonné qu’elle l’ai partagé, car c’est un sujet qui la fait souffrir. Finalement, quelqu’un d’autre l’aura fait à sa place, je n’imagine pas ce qu’elle a dû ressentir.
  • Elle ne voulait pas qu’on la prenne en pitié, répondit Sky.
  • Et j’espère que tu ne le fais pas ?
  • Non, mais pourquoi me raconter sa vie ? Je ne suis peut-être pas quelqu’un de confiance ?
  • Je crois que si, sourit-il, et puis c’était le but de cette expérience sociale, non ? Tu m’as demandé pourquoi Kimi ? Eh bien, voilà les raisons, maintenant pourquoi Leroy ? Je ne crois pas qu’il aimerait que je parle de son passé à un inconnu, donc disons que c’est un gamin qui s’est retrouvé en mauvaise posture et sa rencontre avec Kimi lui a permis de se relever. À plusieurs reprises, j’ai dû l’aider moi aussi et finalement, je me suis attaché. Peut-être que tu vas me prendre pour une de ces personnes qui n’arrivent pas à laisser un chaton sur le bord de la route, plaisanta-t-il. Et toi ? Pourquoi est-ce que tu me poses toutes ces questions ? revint-il à l’essentiel.
  • Ils ont de la chance… Moi, mes parents s’en foutent…

À nouveau, Dossan se retrouva sans voix à dévisager le jeune homme fier qui se présentait devant lui. Derrière ce visage plein d’égocentrisme, il y avait simplement un garçon cherchant l’amour de ses parents ? Qu’est-ce qu’il y avait bien pu se passer entre Blear, John-Eric et lui, pour qu’il tente de cacher si vainement sa peine ? Le nom “Richess” traversa tristement son esprit. Croisant les mains, il regarda très sérieusement Sky.

  • Je n’ai aucun droit de t’influencer dans ce que tu penses, et d’avoir vécu à Saint-Clair, je sais qu’un monde où s’étale richesses et puissance peut s’avérer bien cruel. Je sais aussi que des parents qui n’aiment pas leurs enfants, ça existe, dit-il la gorge nouée. Mais je connais aussi des parents qui ne savent pas comment s’y prendre face à leur ados et des jeunes gens comme toi qui n’arrives pas à communiquer avec les adultes. Si tu y réfléchis à deux fois avant de parler, peux-tu vraiment m’affirmer que tes parents ne t’aiment pas ?

Ses pupilles tremblaient, fixant celle de Dossan avec peu de conviction. Il baissa la tête, et la secoua légèrement, confus.

  • C’est juste que quand je compare avec ici… Kimi a l’air aimer et…
  • Pendant longtemps, il y a eu des hauts et des bas, des époques où elle ne m’adressait même pas la parole. Et Kimi n’est pas ma vraie fille, les liens que nous avons créés sont forts, car ils sont nés de situations extrêmement difficiles. Les familles “normales”, liés par le sang, ont souvent plus de mal à se rendre compte de ce qu’elles ont sous le nez.

Toujours les yeux rivés sur ses genoux, il ne trouva rien à redire, se mordant la lèvre.

  • Sky, fit-il en s’appuyant sur ses cuisses pour se relever, ne t’inquiète pas, les jeunes ont tendance en général à se confier à moi, et je ne dirais rien, ajouta-t-il en le décoiffant gentiment. Revenons sur une touche plus joyeuse, ça te dit de regarder un film ?
  • Maintenant ? fit-il en regardant l’heure sur son téléphone.
  • C’est un rituel avec Kimi, on se regarde un film presque tous les samedis soir. Alors ça te tente ?
  • Ouais, carrément, lui sourit-il en guise de réponse.

***

La journée du dimanche, malgré le fait qu’ils vivaient dans des maisons que tout opposait, ne fut pas si différente pour Kimi et Sky. La première avait pu se lever plus tard et profiter encore une fois d’un délicieux petit-déjeuner. Celui-ci lui sembla pourtant moins bon que le premier. Elle passa le restant de sa journée à étudier, puis à attendre que les heures passent devant le grand écran plat du salon. Il faisait si calme, quand ce calvaire finirait-il ? Du côté des Dan’s, Sky paraissait en forme et Dossan l’avait initié à la préparation de crêpes pour son premier repas de la journée. Les quelques corvées qui suivirent ne lui posèrent aucun souci et son hôte s’amusa à le voir chasser les poussières pour la première fois de sa vie. Pour lui aussi, il faisait calme, enfin autorisé à faire ses devoirs dans le salon pendant que Dossan écrivait sur son ordinateur. Le bruit de ses doigts contre le clavier, l’odeur du café et le confort de la petite maison, l’apaisait. Il souhaita que le temps s’arrête pour pouvoir se reposer ainsi pour toujours, mais la nuit arriva très vite, amenant le lundi matin plus vite qu’il ne l’espérait.

Dans le petit bolide de Dossan, il songea au fait que le siège lui paraissait bien plus confortable que la première fois qu’il était monté dedans. Le voyage se déroula à peu près comme à l’allée, dans le silence, mais cette fois ils n’étaient pas mal à l’aise. Sky était même un peu déçu en arrivant à destination. Il ne le montra pas à Dossan qui sortit de la voiture en même temps que lui. Déposant sa main sur son épaule, tandis que la limousine arrivait derrière eux, ce dernier lui fit un sourire.

  • Merci pour tout, Monsieur Dan’s, fit-il en lui tendant à nouveau la main.
  • Merci à toi, répondit-il avec un sourire plus grand en l’étreignant légèrement quand ils partagèrent la même poigne.

Kimi déboulait sur le trottoir au même moment et fit des signes à Charles qui restait dans sa voiture. Sur le bas-coté de l’école, les deux ados se regardèrent longuement. Lentement, les secondes passaient, sans rien dire.

  • Salut, fit Kimi d’un air contrarié.
  • Salut, répondit Sky de l’air fier qu’il se donnait toujours. Je vous laisse pour les retrouvailles, chiale pas hein, ajouta-t-il alors qu’il embarquait sa valise jusque dans la limousine.

Il entra à l’intérieur et demanda à Charles de le déposer à l’internat pour qu’il puisse récupérer ses cours correspondant à ceux de la journée. Plein de curiosité et affecté par le comportement téméraire de Kimi celui-ci s’osa à le questionner :

  • Alors Monsieur, comment était-ce ? Vous avez passé un bon séjour ? Je dois dire que j’étais étonné du manque de politesse de cette jeune fille, fit-il avec un petit sourire en coin.
  • Hum, fit-il en marquant une longue pause, chaleureux… Oui, vraiment chaleureux, répéta-t-il en déposant son coude contre l’accoudoir, sa tête dans le creux de sa main et ses yeux dans le vide.

Devant Saint-Clair, Dossan serra fort Kimi dans ses bras. L’étreinte dura et il sentit comme une résistance quand il voulut s’en dégager. Il entendit alors son souffle se saccader et l’attrapa doucement par les épaules. Elle baissait la tête, cachant son visage de ses mèches blondes.

  • Kimi ? Qu’est-ce qui ne va pas ?
  • Ri..en, c’est rien, bégaya-t-elle. Je suis juste - ses lèvres et ses mains tremblaient - juste vraiment contente de te retrouver, geint-elle en relevant ses yeux larmoyants dans les siens.
  • Kimi, souffla-t-il en la ramenant contre lui, attristé. C’est rien, je suis là maintenant, d’accord ? fit-il en lui attrapant le visage. Est-ce que ça c’est mal passé ?
  • Non… ça c’est bien passé, mais…
  • Mais… ?
  • Il faisait tellement froid là-bas, sanglota-t-elle.

Quand Dossan attrapa ses mains pour la consoler, il les trouva glacées et l’étreignit encore une fois pour la réchauffer. Péniblement, il passa une main dans sa chevelure, se demandant à quel point la température du palais de la reine des glaces devait être basse.

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