La fin tragique de Paludupon

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Chapître 27

C’était en juin 1974. Paludupon s’apprêtait à partir en retraite anticipée. Il avait passé l’âge des singeries religieuses de curé. C’était maintenant un croûton archaïque pris de boisson qui avait tendance à se négliger sans trop de retenue. L’évêché l’avait laissé sous contrôle à Saint-Tamer en attente qu’une place se libère dans le mouroir prévu pour curés périmés.

Une vieille bigote édentée, ancienne suceuse en sursis consciencieuse mais insouciante, malade du muguet, effectuait avec piété et dévotion quelques tâches d’entretien trois heures par semaine à la cure.

Le budget de financement de bonne de curé était amputé depuis le départ de Marie en 1969, l’évêché et la paroisse en perte de vitesse peinait à rétribuer son petit personnel.

Un jeune curé mobile prenait en charge plusieurs paroisses, dont celle de Saint-Tamer. Paludupon servait occasionnellement de doublon ou de remplaçant en cas de nécessité ou de défection du titulaire.

En apparence, il ne s’en offusquait pas, surtout le matin, mais le vin de messe prenait effet avant midi et lui déliait la langue même s’il l’avait épaisse et sèche. Il ne se cachait plus pour tenir des propos acides et vénéneux sur son jeune confrère. Il avait tendance à projeter ce que Marie-Félicité avait eu à lui reprocher dans des temps pas si anciens que ça.

Paludupon n’était pas usé au sens d’une fatigue procurée par un travail intense. Tout au long de sa vie de glandeur, il avait largement profité de son statut à tous les niveaux. Il avait toujours été pris en charge, soit par ses paroissiennes soit par sa bonne. Il percevait sa part du denier du culte et recevait maintes gratifications en nature. Je ne rentrerais pas dans les broutilles ni les futilités pour esquiver les sujets épineux. (en un seul mot)

Il était élimé par le trop goinfré et le trop bu, il s’était transformé en gros phacochère rotant et pétant de la détresse des trop nourris. Cet adipeux fessu s’était affaissé et prenait des allures de vieillard avant l’âge.

Paludupon sur ses cinquante-six balais de chiotte fantasmait encore. Par moment, nostalgique, sa prostate le chagrinait en le chatouillant. Malgré un zigomar plutôt fainéant qui allait sur la débandade, il revivait virtuellement les instants précieux passés en bonne compagnie. Il avait escompté sur ses ouailles féminines pour lui décadenasser la bistouquette. Ses paroissiennes lui avaient pieusement fait comprendre que d’autres chats beaucoup mieux équipés que lui poireautaient à la queue leu leu pour se faire fouetter. Très con, il avait quand même finalement pigé qu’elles avaient autre chose à foutre que de s’inquiéter de sa libido. Elles l’avaient lâchement laissé tomber depuis déjà quelques années.

Se découvrant seul et abandonné au milieu d’une jungle de paroissiens ingrats, il avait beaucoup chouiné avant de sombrer plus profond dans la vinasse de piètres pinards par la faute de ces sombres pétasses même pas salopes qu’il désignait coupables de ses malheurs.

Il présentait des symptômes d’alcoolisme et de gâtisme au-delà d’un crétinisme congénital. Perturbé, l’Arsène s’était mis à ziner(1) ou à fourgailler(2). Il traînassait(3) en train de poticanser(4) un peu n’importe quoi, n’importe où.

En plus d’être pervers narcissique frustré, ce navrant ramier niais pas marrant marinait mauvais en ruminant sans âme dans une mare d’amertume à Saint-Tamer.

Dernièrement, il avait tenté une approche vers les enfants de chœur. Il s’était ramassé le manche du râteau en pleine poire et les gamins avaient bien rigolé en l’envoyant balader dans les cordes.

Un début de scandale avait failli remettre en cause sa chasteté légendaire. Voyant que tout lui résistait, il en venait à une certaine violence verbale voire à des gestes brusques en direction de ses assistants de messe. Ceux-ci le lui rendaient, en tout bien, tout honneur, et avec tout le dégoût qu’il leur inspirait. Ils lui concoctaient religieusement quelques petites surprises désagréables. Ce n’était pas non plus des représailles très abouties ni très recherchées. C’était du genre : Ajouter et mélanger du crottin de cheval à son tabac à pipe, pisser dans le vin consacré au mystère pascal après le saint sacrifice, faire des nœuds avec les étoles liturgiques, ou coudre le col des facétieux accoutrements sacerdotaux, ou encore, foutre des grenouilles ou des tritons dans les fonts baptismaux.

Un dimanche matin pas comme les autres, sachant que Paludupon remplaçait le vicaire intérimaire tournant, un jeune clergeon vengeur bien intentionné avait délicatement coulé un bronze devant l’autel à l’endroit où pendant l’office, le curé diligentait ses jérémiades et ses diverses niaiseries face ou pile à son public de cruches hébétées.

Ce dimanche-là, à l’heure de la grand-messe, le Père Paludupon était défoncé au pinard comme à l’accoutumée. Il tenait difficilement sur ses quilles. Mais l’habitude réflexe faisant le clébard de Pavlov, il arriva à l’heure et commença son spectacle après avoir frité, pour des raisons qui n’en étaient pas, un ou deux de ses jeunes prépubères liturgiques.

Aux deux tiers de l’exhibition, au moment fatidique de la célébration de l’eucharistie, alors qu’il allait faire un pas en avant, calice en main, pour prononcer les paroles de Jésus-Christ selon la première lettre de Saint Paul apôtre aux corinthiens, il aperçut l’étron à quarante centimètres de ses imposants ribouis.

Tout aveuglé en s’estimant clairvoyant, l’enivré curé, en cours de cuvée, crut bien faire en évitant le caca. Il esquiva l’obstacle en l’enjambant. Somme toute, cette bonne initiative aurait été la bienvenue dans une situation normale et à jeun. C’était de toute évidence sans compter sur son état d’ébriété. La loi de stabilité de son équilibre perturbé mit au défi le phénomène en vertu duquel tout corps est entraîné vers le sol au cas où le sujet perd les repères de son centre de gravité.

Son mignon escarpin de pointure cinquante-deux ne se posa pas sur l’infâme excrément.

C’était , convenons-en, une réelle performance en la circonstance que ses fidèles, absorbés par d’autres pensées obscures, auraient pu applaudir.

En revanche le godillot, qui en l’occurrence avait eu la dignité de ne pas se transmuter en écrase-merde, heurta malencontreusement et sauvagement la marche supérieure de l’autel.

Paludupon, déséquilibré, dévissa à la renverse appuyée de l’accélération de tous ses quatre-vingt-dix kilos de viande molle en direction de la sainte table.

Son crâne d’enflure s’abattit comme une masse sur le coin en marbre du sanctifié pupitre consacré aux offrandes du Seigneur.

La noble pierre ne broncha point. Ce n’était pas un staff ou un stuc supposé représenté la magnifique roche. C’était un marbre d’excellente qualité arabescato blanc cristallin de la région de Carrare.

Par contre, si l’on en jugeait par le craquement sourd et le jet de cervelle sanguinolent qui accompagna la rencontre abrupte de la boîte osseuse crânienne avec la matière minérale métamorphique, nous pouvions en déduire que les dommages et dégradations ne furent point collatéraux bien que patents et avérés sans partage au seul déficit de l’ecclésiastique.

En effet, pendant son transport à l’hôpital de Tannes Les Bas Trebons, le Curé Arsène Paludupon rendit son âme à qui en voulait. Excepté un vieux démon errant et bourré, je ne suis pas certain qu’il y eut preneur.

Les faux-culs de paroissiens de Saint-Tamer, mouchoir en cellulose sous le pif, le pleurnichèrent énormément, à seilleaux de larmes de caïmans, dans un fumeux reniflement affligé et un semblant de soupir accablé pendant au moins une bonne dizaine de secondes à l’occasion de son enterrement.

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1 Inerte sans rien faire

2 Fouiner

3 Rester inoccupé en trainant sa misère

4 Faire. Patois des Mauges

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