L'amour malgré tout, version 2
Un matin, le parfum d’une fleur chatouilla les narines d’Aubin. Il s’approcha du cou de Charlène et y déposa un baiser. L’odeur de sa femme lui parut étrange. Il lui sembla embrasser une inconnue. Un autre monde s’ouvrait à lui, ses facultés olfactives étaient revenues, deux décennies après leur rencontre. Quelque chose avait changé en lui.
Charlène et Aubin avaient eu très vite un enfant, des projets ensemble, des repas de famille, des vacances sur la côte. Un virus planétaire ravagea le monde pendant trois années. Aubin n’échappa pas à la vague et perdit l’odorat. Il ne sentait plus rien. L’odeur de Charlène et d’Hugo n’était vite devenue qu’un lointain souvenir.
Aubin consacra des années à cette question. Ne plus avoir d’odorat constituait pour lui un handicap insupportable. Le mal qui était le sien l’obligea à développer des trésors d’adaptation. Il devint peu à peu un spécialiste de la question. Il est un point qui l’obsédait. Par quels procédés la nature nous donne-t-elle une odeur corporelle singulière, en quelque sorte une signature de ce qui nous constitue, au plus profond de notre être.
Un grand professeur de médecine prit sa maladie en main et en fit un cas d’école. On trouva un traitement, un médicament miraculeux permis de soigner son anosmie. Tel une star, Aubin s’était retrouvé bien malgré lui médiatisé et son problème fit la une des journaux télévisés. Déboussolé, Aubin négligea son traitement et fit peu de progrès sur le chemin de la guérison. Charlène se désolait de la situation mais toute la famille avait appris à vivre ainsi.
Parmi les dizaines de mails qu’il recevait chaque jour, l’intitulé de l’un d’entre eux attira son attention. Il découvrit horrifié une hypothèse qui le glaça. Les choses étant bien faites, comme chacun le sait, les odeurs corporelles peuvent être le signe d’un lien de parenté lorsqu’elles poussent deux personnes à se rejeter.
Du plus loin qu’il s’en souvienne, Aubin avait toujours été heureux avec Charlène. Leur vie à deux s’était construite dans une grande simplicité. Il trouva avec elle cette complicité qu’il n’avait jamais connue avec une autre. Leur amour sentait bon le parfum de violette et de vanille.
Aubin avait rencontré Charlène pour la première fois à la terrasse d’un café, après des semaines à se parler au téléphone. Ils s’aimaient déjà sans même avoir eu l’occasion de vivre l’un avec l’autre. Cette boisson prise ensemble avait confirmé ce qu’ils ressentaient déjà : un fol amour. Aubin sut qu’elle était la femme de sa vie et Charlène reconnut en lui l’homme qu’elle rêvait d’épouser. À un détail près. Aubin ne supportait pas l’odeur corporelle de Charlène. L’amour qu’il ressentait pour elle fut le plus fort et il ne laissa jamais son nez prendre le dessus sur ce qu’il voulait vivre.
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