Sans raison

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L’Orc remonte l’allée centrale du temple, jusqu’à parvenir à l’autel, qu’il contourne pour gagner les lieux de vie réservés aux prêtres.

Il en croise d’ailleurs un, dont la large robe de bure écarlate se découpe dans les ombres, alors qu’il incline légèrement le buste en marmonnant : « Sir Farouk, que le savoir fructifie dans la maison Suigratia. Vous descendez encore au Léthéen ? »

Le concerné rend son salut au prêtre, acquiesçant, puis continu son chemin, jusqu’à arriver devant une des nombreuses statues du dieu Arpagnosis.

Celle-ci le représente avec une longue lance de guerre dans la main gauche, qu’il plante dans le sol, tandis que dans sa main droite repose un carnet de la taille de sa paume, qu’il tend devant lui.

L’Orc tire sur le carnet, qui avance sur la paume, activant un mécanisme.

Sur le mur voisin, une portion de roche se déplace, dévoilant un escalier.

Il s’y engage sans hésiter, le passage dérobé se refermant dans un grondement derrière lui.

Des torches, mourantes du manque d’entretiens, éclairent sa route.

Les sons habituels ne tardent pas à commencer à lui parvenir aux oreilles alors qu’il descend toujours plus bas.

Grognements.

Crissements d’ongles.

Hurlements bestiaux brefs et impromptus.

Sons de masses s’écrasant contre une surface dure.

Brusques bruits sourds de coups à fendre des pierres.

Il y est accoutumé, depuis le temps.

Il débouche enfin dans l’espace plus large d’un long couloir.

Le mur d’en face est percé à intervalle régulier de grilles de prisons, dont les barreaux sont d’un noir surnaturel.

Un Orc un bure gris sombre vient à sa rencontre, rajustant ses lunettes rectangulaires sur son gros nez tordu.

« Sir Farouk. Vous désirez voir monsieur Égéon, je présume ? »

« Pour quelle autre raison voulez-vous que je descende ici, Desha ? »

L’intéressé ne relève pas le ton agressif du plus jeune, compréhensif.

« Inutile de vous accompagner, vous connaissez le chemin. »

Il quitte le visiteur, sachant qu’il est plus poli de lui laisser de l’intimité.

Le gardien des clés du Léthéen partit, le jeune Farouk reprend sa marche, jusqu’à arriver devant l’une des cellules.

L’occupant est roulé en boule au fond dans le coin droit, hors de la lumière dispensée par les torches.

Encore aujourd’hui, il craint toujours les flammes, ces cruelles dévoreuses de papiers.

L’Orc s’agenouille au sol, sans se préoccuper de s’il salit le tissu de ses vêtements coûteux dans la poussière, puis joins les mains, commençant sa prière à mi-voix.

« Oh puissant Arpagnosis, bourreau des ennemis de l’érudition, toi qui connaitras tout, détenteur de tous les savoirs possible et imaginable passé, présent et futur… Je te prie de m’accorder un peu de ta divine attention. Je t’implore en ce jour, de restituer sa raison à Égéon Brand Suigratia, grand prêtre de ton ordre des Sages-Irascibles, et précédent chef de la famille Suigratia. Moi, Farouk Kaiser Suigratia, 2ème siège des prêtres de ton ordre des Rusés-archivistes, et actuel chef de la famille Suigratia, je t’en conjure. Mon père t’a sacrifié sa raison pour que tu lui offres la force de défendre notre cité face aux Centaures barbares il y a trois mois… Je suis prêt à te donner ce qui te plaira en échange, mais je te supplie de lui rendre sa santé d’esprit, afin qu’il puisse revenir parmi sa famille ! »

Le silence se fait, pesant et empli d’appréhension.

« …Père ? »

Rien ne lui répond. Même les autres détenus paraissent retenir leurs souffles.

« Père, êtes-vous là ? »

Un grognement est émis par la forme tassée au fond de la cellule.

« Père… ? »

Un bruit de gorge inarticulé de faim et de colère sans but sort de la bouche écumante de l’ancien grand prêtre devenu fou.

Farouk a un mouvement de recul instinctif, quand son géniteur se précipite aveuglément contre les grilles !

L’autrefois si noble Égéon bave et frappe des poings contre les barreaux, qui résistent parfaitement à sa fureur, alors qu’il rugit sans logique !

Desha pose une main apaisante sur l’épaule du jeune chef des Suigratia.

« Le dieu de l’avidité ne rend point. Et tu le sais, mon enfant. Il est inutile de marchander avec notre cupide seigneur… »

« Vous avez sûrement raison… Mais j’essayerais quand même tout ce qui est en mon pouvoir. »

Le maître des clés ne prononce pas un mot de plus, attristé par l’obstination du plus jeune.

Il a déjà vu mainte fois des fils, filles, frères et sœurs tenter de faire revenir la raison de parents…

Comme il a déjà vu leurs échecs, désillusions… et dépressions, pour les plus acharnés.

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