Chapitre 1

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Bonjour ! Juste pour te prévenir que cette histoire est "un poil" violente et que, pour cette raison, j'ai prévu une version censurée, où ne figurent pas les scènes de sexe et où les effusions de sang sont allégées. Si tu préfères une lecture plus safe, c'est ici :

https://www.wattpad.com/story/230777016-les-chasseurs-de-mirages

Sinon, bonne lecture :D


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Fen

Un pied hors du cockpit et mon cuir frit déjà sous les bourrasques sableuses. Je peine à claquer la porte, en pleine prise au vent. Manquerait plus qu'elle se déboulonne, cette maline. J'ai l'impression de ne pas pouvoir caler mon pied sur du solide tandis que la surface du désert se meut en tourbillons de quartz et de latérite.

Deux jours qu'on trace droit sans réfléchir. Même moteurs rugissants à fond et poussés par des vents à plus de cent kilomètres-heure, cette tempête de sable ne nous lâche pas. Et selon notre brave Talinn, géologue et météorologue de talent, – et cependant pas fichu de nous éviter l'apocalypse – le cœur mugissant sera sur nous aujourd'hui.

Pour une fois, ça trombine pas fier dans les rangs. Que dites-vous de ça ? Nous, les Rafales des Dunes, le groupe de pillards le plus terrifiant et impitoyable des terres désolées, accouché du moteur du Saint Alu lui-même, qui plie face à une ridicule tempête !

Heureusement, Zilla, le chefaillon de notre bande de chochottes, cette vipère au sang chaud, n'est pas prêt à passer l'arme à gauche. Le voilà d'ailleurs qui sort de son camtar, tirant derrière lui, en laisse, le petit « rien que la peau sur les os », renommé de circonstance, Os. Ils se dirigent sur une avancée plus proéminente de la falaise qui permet d'avoir une meilleure vue sur la « ville ». Je mets les guillemets parce qu'honnêtement, avec une visibilité réduite à cinq mètres, on est bien obligés de croire le mioche à ce sujet, plutôt que nos yeux. Ah ! Il me fait bien rire Luth, notre cartographe et navigateur, calé en crabe avec ses jumelles. Tu vois quoi Luth ? Du sable ! Cool, merci Luth.

J'essaye de m'avancer, pas que ce soit difficile avec une poussée pareille de dos, sauf si on veut garder les pieds sur terre. Zilla et Os progressent en parallèle. Je me demande vraiment par quelle magie ils ne décrochent pas ces deux-là, gringalets comme ils sont, surtout le petit Os. À croire que les éléments n'ont plus d'emprise sur lui. De sa part, plus rien ne peut me surprendre.

Je les rejoins dans le cercle qui s'est formé sur la corniche. Ils ont pris garde à ne pas se coller à deux millimètres du bord, fort heureusement. De toute façon, on n'aurait pas mieux distingué la vague silhouette de quelques tours sombres et émiettées comme des tubercules trop secs.

Zilla lâche la laisse. Le petit Os s'effondre à genoux alors qu'il aurait très bien pu tenir sur ses guibolles. Difficile de lui en vouloir : deux mois parmi nous à être traité avec autant de déférence qu'un cafard irradié lui avait fait adopter une tendance à la génuflexion. Le menton incliné, ses yeux de chien se perdent dans le vague de l'étendue sableuse. C’est l’assurance qu’au moins, Zilla ne sera pas tenté de lui coller une taloche juste parce qu'il le peut.

Sur le haut de son crâne, sa tignasse blanche comme le lait d'une Mama danse avec les courants de silice. Zilla, aussi, a adopté l'attitude cheveux au vent, pas forcément de sa volonté. La bourrasque a eu raison de son habituel catogan savamment enchevêtré dans son keffieh. Je n'ai jamais connu que lui pour s'adonner à de telles coquetteries. Nous autres, on se rase. C'est quand même plus commode. Les mauvaises langues ne se risquent plus en commentaires graveleux sur la longueur de ses cheveux – l’avantage de la position de chef. Aujourd'hui, ils flottent et fouettent dans un chaos spectaculaire son visage émacié et ses traits fins angéliques. Ceux-là induisent en erreur ses ennemis le croyant capable de douceur. Il a au moins gardé ses hublots, informes lunettes de soudure. Même si la sensation est désagréable, on est au moins sûr de ne pas se faire abraser les rétines par d'insidieux grains de sable.

De derrière le verre patiné, je devine ses yeux d'une couleur émeraude fascinante, qui dardent l'horizon comme pour le sommer de le soumettre à sa volonté. Ce qui est à peu près le projet en cours, d'ailleurs.

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Grimm

Et voilà le fils de chien qui se la ramène avec sa traînée de chienne. Je sais que je ne devrais pas cogiter ainsi, Luth me gonfle à longueur de journée avec sa sacro-sainte prudence. Mais j'y crois pas à toutes ces conneries de : « Il entend ce que tu penses ! ». Et le moteur de ma Razzo tourne à la piquette d'agave ? Si c'était le cas, ça fait longtemps qu'il aurait cafté à Zi où je me l'a mets, moi, sa politique de gouvernance de tapette. Vu qu'il sait faire que ça le toutou, lui lécher les couilles.

Plus sérieusement, les Rafales ont vu leur taux de testostérone s'écrouler niveau geignement de gonzesses depuis qu'Auron – que son âme hurle avec les chevauchées ardentes – a passé l'arme à gauche après avoir eu l'idée à la con de nommer cette Barbie à sa succession.

Ok, Zilla sait naviguer, je dis pas. Il n'a pas son pareil pour étudier les traces dans le caillou, éviter les zones irradiées à t'en cuire le ciboulot, adapter la vitesse et la formation du convoi au terrain et se diriger comme s'il avait une putain de carte dans sa tête. C'est pas pour rien qu'il était notre nav' avant Luth. Il sait piloter aussi, je peux reconnaître. C'est vrai qu'une fois sur sa bécane, une vieille cylindrée, désossée, débridée et bricolée avec un moteur auxiliaire latéral, il est intouchable. Pour ce qui est du combat, je pourrais pas non plus dire qu'il sait pas se battre. Ah ça, il est rapide ! Vif même. Les six premiers mois, il y a quand même eu quatre têtes brûlées pour se risquer à l'affronter en duel dans l'espoir de lui piquer le perchoir. Seulement, c'est pas un combat qu'on a vu, mais une exécution. Le Zi, il a pas trop le sens du spectacle, plutôt que de faire des moulinets avec une hache, il te case un mouvement précis et tu te retrouves la jugulaire entaillée sans avoir eu le temps de prier ta maman. Faut pas cligner des yeux !

Mais peu importe. Cela ne suffit pas à faire un chef.

Un chef prend des risques, un chef enfonce sa trombine dans la mêlée, un chef répand son sang avec celui de ses ennemis, un chef, ça sait faire juter l'adrénaline en toi au point où tu ne sens plus la machette qui te taille un bifteck dans le biceps !

Zilla ne sait pas faire ça. Avec lui, c'est toujours prudence et évitement. Un petit hameau de pecnots armés de fourches ? Allons-y doucement et discrètement ! Sait-on jamais qu'y en ait un qui réussisse à planter son trident dans un bide par accident ? C'est pas comme ça qu'on va mouiller notre calbute, nous, l'aile bâbord des combattants. Et puis ça nous fait passer pour quoi au juste ?

Auparavant, nous étions la Terreur des Déserts. La rumeur de notre hargne et de notre frénésie était soufflée de l'infinie flaque salée au nord-nord-ouest, jusqu'aux dunes de granit du sud-est. Les femmes pleuraient et les mômes faisaient dans leur froc en apercevant le cortège galvanisé de nos moteurs peints à la rouille et au sang. Aujourd'hui, ils n'ont même plus le temps de nous voir débouler : on attaque de nuit et par surprise.

Alors c'est sûr, on a moins de cadavres (à nous, j'entends) à enterrer après les joutes… Et pourtant ce que j'en retire, moi, c'est un goût fade et amer dans la bouche. Saveur lâcheté.

Avec un peu de chance, l'assaut qui s'annonce sera plus pimenté, cette fois. Avec la tempête qui nous colle au fion, biller ces citadins tient plus de la survie que du caprice belliqueux. Qu'il ose nous jouer la carte de la tempérance de mon cul et je lui rentrerai dans le lard !

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Luth

Je repose ma jumelle dans la boucle de ma ceinture et évite de penser au temps que je passerai, plus tard, à la démonter pour essuyer les pièces grippées par le sable. Le reconnaître sabre, une fois de plus, mon estime à fleur de peau, mais Os a eu raison. Ce n'est pas qu'un énième village en paille et terre cuite, prêt à finir enseveli sous une nouvelle dune après une tempête pareille, qui s'offre en contrebas, mais une véritable ville. Immense, avec des bâtiments d'une taille aberrante et probablement tout un réseau souterrain.

Je me suis souvent interrogé sur les usages que les hommes du vieux monde tiraient de toutes ces infrastructures. Je n'en avais pas vu beaucoup depuis, mais gamin, notre colonie s'était établie dans une de ces géantes de briques et de métal. Sous terre gisait une étrange succession de plaques de bois s’étirant, sous l'impulsion de deux lignes d'acier parallèles, vers l’infini. Les érudits racontaient qu'elles servaient à convoyer de larges containers d'une taille avoisinant nos Mack Trucks, qui auraient décidé d'avancer à la queue leu leu. Un train ; ainsi nommaient-ils ce prodige. En grandissant, j'eus l'occasion d'apercevoir, à de nombreuses reprises, ces chemins de rails, balafrant le paysage de l'asphalte et du sable, mais jamais je n'ai été aussi impressionné que lorsqu'elles s’enfouissaient sous terre, creusant de vastes galeries rien que pour leur passage.

L'heure n'est pas à se demander si nous trouverons des trains souterrains, mais plutôt de savoir comment attaquer la population établie en nombre dans ces vestiges. Deux mois auparavant, Zilla aurait proposé, au vu de l'urgence de la situation, la stratégie de la blitzkrieg classique. J'ignorais d'où provenait ce terme exotique, mais il exprimait ce qu'il voulait dire : attaque frontale de l'avant-garde composée des quatre Mack hérissés de piques et de tourelles. En soutien, les ailiers, plus rapides avec leurs deux-roues, contourneraient sur les flancs et rejoindraient la mêlée, tandis que l'escadrille légère resterait à distance pour couvrir. Mais ces reliques d'assauts barbares se sont raréfiées. Depuis qu'Os est là.

Un suspense flotte dans l'air depuis quelques secondes. Qu'attendions-nous au juste ? Qu'Os ouvre la bouche ? Que Zilla braille ses instructions ? Que je déploie un compte-rendu de la situation ? Ce fut le chef qui s'activa en premier, en envoyant une taloche sur le crâne du mioche à genoux.

— Parle !

— J'ai soif.

Sa voix est faible, un murmure échappé de ses lèvres gercées, camouflé dans le souffle du vent. Pourtant, nous pouvons tous l'entendre distinctement.

— T'auras à boire quand tu nous auras dit ce qu'il y a là-dessous ! gronde Zilla.

Le chef ne perd jamais patience, mais on peut concevoir, dans le boucan de la tempête, qu'il n'a pas le loisir de gaspiller du temps avec le garçon.

Os relève la tête. Il ne porte pas de lunettes de protection, pourtant ses yeux sont grands ouverts. Les iris rougeoyants, presque transparents, irradient d'un éclat qui ne peut être mis sur le dos d'un reflet du soleil absent. Même meurtries par le sable, pas un instant ces persiennes ne songent à cligner. Il semble nous fixer avec une attention à glacer le sang, bien que je me doute que nous ne soyons pas ce qu'il voie en ce moment.

La transe ne dure pas plus de trois secondes. Il revient à lui, le souffle court et battant des paupières, avant de déclarer d'une voix limpide :

— Quatorze vigies en tout. Trois dans la tour est (il pointait du doigt les constructions invisibles derrière le mur de sable), deux sur le toit du centre commercial au nord-est. À l'intérieur du bâtiment, il y a encore une trentaine de personnes, mais ils ne sont pas armés. Quatre gardes au niveau du parking aérien central et deux devant la gare. Les trois autres sont beaucoup plus au sud, vous n'aurez pas le temps de vous en occuper avant la tempête, et réciproquement. Le reste du corps armé s'abrite dans la gare. C'est ce que vous devriez faire aussi.

— La gare ?

Je m'en veux de répéter bêtement ce qu'il vient de dire, mais l'excitation de finir par se réfugier dans l'antre des trains réveille en moi de tendres souvenirs d'enfance. J'espère qu'il y aura des reliques en bon état.

— C'est assez grand pour tenir toute la brigade ?

Évidemment, les questions de Zilla sont plus pragmatiques et explicites que les miennes.

— Tout le convoi même, camions compris.

Il annonce la nouvelle avec le flegme d'Aristote, notre cuistot, lorsqu'il déblatère le menu du jour composé du sempiternel fennec aux panais. Pourtant, la perspective de pouvoir abriter tout le monde de la tempête, y compris notre précieuse mécanique, relève de l’inespéré.

Une enivrante rumeur agite l'assemblée restreinte sur ce promontoire, avant que Zilla n'y coupe court en déployant la stratégie d'assaut. De temps en temps, il demande des précisions à Os sur l'équipement, la position des gardes, leur état de vigilance… L'expérience lui a montré qu'Os se fiche, comme de sa première dent de lait, du sort des Rafales des Dunes, aussi il est enclin à livrer une quantité astronomique d'informations exhaustivement détaillées… à condition qu'on le lui demande.

Ainsi, Zilla envoie Wolf, le chef combattant de l'aile tribord, s'occuper des sentinelles à l'est avec une dizaine de tireurs longue distance. Grimm, l'ailier bâbord investira le centre commercial, avec ses hommes. Enfin, la proue du cortège – les rutilants hurlants emmenés par Fen, Zilla, mais surtout, l'artillerie lourde d'Armin, notre lancier – attaquera frontalement la gare.

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