5. Souvenirs

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Nous attendons quelqu'un, nos yeux scrutent des visages tous plus souriants les uns que les autres. Mon coeur bat la chamade, je suis heureux d'être là, mais terrifié, aussi. J'appréhende son regard, son accueil.

Le cadre change tout à coup. Nous sommes tous au restaurant panoramique. Ses amies et elle sont parties aux toilettes. Me reviennent les mots crus que j'ai employés pour qualifier notre relation, expression qui a elle seule a provoqué une nouvelle dispute. Ça m'a laissé un goût amer, mais ce n'est rien comparé à la douleur de mon coeur quand j'ai compris qu'elle m'avait entendu. Ce soir là, j'ai vraiment cherché à me faire pardonner, et j'y étais presque arrivé. Cette nuit sur la plage aurait du être magique. J'ai tenté de lui expliquer ce que je ressentais, mais trop habituée à mes sautes d'humeur, elle était sur la défensive et ça a encore mal tourné. Une fois de plus, ma connasse de fierté a pris le dessus.

John a raison, je n'ai fait que la rabaisser.

Les souvenirs affluent, désordonnés, mais si réels, si douloureux. Je quitte mon divan et pars en quête de ma bouteille de scotch, ivre d'images oppressantes. J'ai besoin de souffler. John a fait virer toute forme d'alcool de mes appartements. Merde ! Je pourrai appeler le service d'étages, mais il a laissé des consignes, c'est courru d'avance. Restent mes cigarettes, mais je n'en ai pas envie. La seule tentation qui me tenaille vraiment, c'est mon canapé. Je m'y rallonge. Ma gorge est dessechée, mon Whisky me manque.

Le décor se transforme à nouveau. Tout premier soir, celui de notre rencontre. J'ai noté les toussotements surjoués de Sybille à notre arrivée. Puis j'ai vu le trouble de Carly, lors des présentations. Elle était toute rouge, elle bafouillait.

Je souris à ce souvenir attendrissant.

Elle manquait cruellement d'assurance, et surtout, elle ne savait pas le cacher. Elle était naturelle. Un maquillage si discret qu'il masquait à peine une vie harrassante, un sourire chaleureux et sincère, un regard franc, une posture sereine, quoique surprise. Elle portait des vêtements de couleur très claire, blancs, ou crème. Cet ange bienveillant qui me jaugeait, provoquait ma curiosité et me destabilisait.

Les jours suivants, je la suivais du regard dans les allées du parc des expositions. Si par malheur je ne la voyais plus, j'arpentais halls et couloirs à grands pas. Quelle ne fut pas ma rage lorsque je l'ai trouvée attablée avec MicKaël.

Mickaël. Mickey et ses mains posées sur elle, le temps d'une danse.

Sa façon de la regarder, ses avances à peine voilée.

Sa proposition, soit-disant honnête, <<en toute amitié>>, a t-il jugé bon de préciser, de lui construire son bassin. J'aurais pu, j'aurai du, lui offrir ce cadeau, je pue le fric à plein nez, elle me l'a dit. J'ai préféré ne rien faire, convaincu qu'elle refuserai, puisqu'elle a repoussé tout ce que j'avais acheté pour elle, comme la robe blanche.

La robe blanche, à peine évoquée, provoque une multitude d'images. Notre complicité dans les ruelles, quand j'ai découvert qu'on pouvait rire avec une frite, le défilé, et plus que tout, son regard au moment où il s'est posé sur moi, sur la terrasse. Les femmes ne résistent pas à mon charme, c'est indéniable, mais Carly, c'était autre chose, ça ressemblait à de l'admiration. Ce n'était rien en comparaison de ce que j'avais sous les yeux. Je contemplais une femme rayonnante ; elle n'était ni jolie, ni même sexy, elle était belle, juste belle.

Comme lorsqu'elle a fait son petit discours improvisé, chez les Madma. Une décharge électrique m'a parcouru quand j'ai reconnu sa voix dans les hauts parleurs ; la situation devait être grave pour qu'elle ose parler devant les vautours.

Ma connasse de fierté s'en mêlait, inlassablement. Il fallait tourner la page, ne conserver aucun lien après ce voyage.

C'était sans compter sur le destin, mon meilleur ami, et Sybille. J'en reviens à Mickey. S'il se trouvait en Guadeloupe, avec Carly, John l'aurait appris et m'en aurait parlé. J'en éprouve un profond soulagement. Cependant, il se peut qu'ils aient gardé le contact. C'est même fort probable. Pincement au coeur parce que je n'ai pas eu le cran de le faire.

Je suis maintenant dans sa chambre, dans cette maison qui nous a réunis, à côté de Montpellier. Elle dort, paisiblement. Moi, je n'ai pas fermé l'oeil de la nuit, incapable de déterminer comment en finir. Je me lève doucement et sors.

Je suis arrivé à l'aéroport beaucoup trop tôt, si bien que l'attente fut interminable. Mon état nerveux s'aggravait alors que les heures défilaient au ralentit. Je craignais de la voir arriver, en furie, pour provoquer un scandale. Au fond, je crois que je l'attendais. J'avais encore espoir quand j'ai pris place dans l'avion, puis les portes se sont fermées, nous avons décolé, et résigné, je me suis penché sur les dossiers préalablement ouverts dans mon ordinateur.

J'en suis là de mes pérégrinations mentales quand John franchit bruyamment ma porte :

— Pour le cas où ça t'intéresserait encore un tout petit peu, les services sanitaires n'ont trouvé que des broutilles, rien de grave. Ils repassent la semaine prochaine.

J'acquiesce, conscient de sa discipline et de la rigueur qu'il impose à ses équipes, il a toute ma confiance.

— Tu as réfléchit pendant mon absence ? Quelles sont tes intentions, Lukas ?

— Pas vraiment. J'étais plongé dans mes souvenirs.

— Quel genre de souvenirs ?

— Avec elle, John ! D'après toi ? De quoi parlions nous avant que tu ne sois appelé ?

Il m'est toujours aussi difficile de me confier, surtout quand le sujet s'appelle Carly. Mon frère ne dit rien, il s'est rassit sur son sofa, nonchalant, et me toise d'un air patient et amusé. Il veut connaitre mes projets et attend ma réponse à sa question.

— Je me suis mal conduit. Je lui dois des excuses.

Il se redresse, se penche au-dessus de la table basse et m'adresse son regard de chat.

— Tu es sérieux ? Tout le monde s'en tape de tes excuses, Lukas ! Tu crois que ça t'aideras à mieux dormir ? À oublier ? Ça n'a pourtant rien de compliqué, il te suffit de reconnaître que tu es tombé amoureux d'elle et qu'elle te manque !

Face à mon mutisme, et à mes yeux baissés, il s'acharne :

— Qu'est-ce qui t'en empêche ? De quoi as-tu peur ?

Comme montées sur ressort, mes jambes me lèvent subitement, alors que j'entends ma bouche capituler :

— Ok ! Elle me manque !

Mon coeur palpite comme un fou, mais je me sens soulagé, débarrassé d'un poid, d'un fardeau.

John s'est remis à l'aise sur ses cousiins, il sourit à pleines dents, ses prunelles vertes rivées sur moi. Je me réinstalle face à lui, ahuri par ma confidence, et surtout incapable d'y donner une suite. Mon ami, conscient de mes incertitudes, vient à mon aide :

— Je te prends un billet d'avion ?

— Non, c'est elle qui va venir, quand j'aurai tout organisé. Je comptes sur toi pour ne pas lui en parler quand tu la verras.

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