6. Le retour non attendus
Si le calme semble être de retour à Wildfrod House, qui a depuis repris ses couleurs habituelles, c’est juste que les habitants ont repris leurs petites habitudes. On peut donc à nouveau entendre Sam et Tim se prendre le chou, cette fois à cause d’un problème d’eau chaude qui arrive par intermittence. Un coup chaud, un coup froid. Sam précise tout de même qu’il a un enfant en bas âge chez lui. Chose que Tim savait déjà.
Comme s'il allait pouvoir remédier au problème dans l'immédiat… Et par-dessus toute cette histoire, lorsque Madame Tomson les interrompt pour leur dire qu'elle retrouve le même problème chez elle, ça ne fait que mettre le feu aux poudres. Les deux hommes haussent la voix plus fort, et Margarette Tomson se dit qu’elle a fait une bêtise. Alerté par tout ce boucan qui arrive du hall d’entrée jusqu’au troisième étage, Marc descend pour voir ce qu’il se passe, et essaye tant bien que mal de calmer ses amis. La tension redescend d’un cran.
– Je vais appeler un plombier, finit par décréter Tim.
– On ne devrait même pas avoir ce genre de problème ! clame Sam.
– Cette bâtisse a plus de deux cents ans ! Je ne peux pas gérer la dilatation des tuyaux dans des murs qui ont vu naître ma grand-mère ! Et je suis libraire pas plombier ! T’es pas content tu n’as qu’à déménager !
– Non !
La voix d’Elly résonne encore entre les murs d’un autre siècle. Le petit garçon montre son mécontentement en fronçant les sourcils. Ce qui, au lieu d’être intimidant, est très franchement attendrissant. Mais cela ne provoque que le rire de Mme Tomson et de Marc, du fait de voir le petit Elias gronder deux adultes. Les deux adultes qui, eux, ne rigolent pas du tout face à la détresse du petit garçon. À l'unisson, ils s'accroupissent devant le petit et tentent de le résonner.
– Pardon Elly ! dit son paternel.
– Je ne veux pas partir ! crie le petit.
– Mais personne ne veut que tu partes. Je suis désolé, j’ai dit des choses bêtes parce que je suis en colère, argumente Tim.
Il se cache là une demi-vérité : il ne veut pas que le petit Elias parte, mais en ce qui concerne son père… Disons que pour lui ce ne serait pas une grande perte. Bien que la vue soit agréable, le caractère l’est moins. Il faut dire que depuis quelques temps, tous les deux ne savent plus sur quel pied danser en présence de l’autre. Si les choses sont redevenues ce qu’elles étaient censées être après la chasse aux œufs, leurs petites disputes ont elles aussi repris du service. Elles ont été plus vives les unes que les autres, jusqu’au point de rupture apparemment. La situation qui était devenue cordiale semble maintenant lointaine. Les dernières semaines ont été bercées par le caractère de Tim qui a été plus que turbulent. Et cela a fortement joué sur la patience de Sam. Au final, l'avancée dans leur relation s'est presque retrouvée à la poubelle. Comme s'ils étaient passés par la case “retour à la casse départ”.
Alors peut-être que cette histoire va passer et que ce n’est qu’un orage, mais quelque chose dans l’air semble dire à Marc que ce n’est que le début des emmerdes. Son petit doigt lui dit que d’ici quelque temps l’ambiance à Wildford House va devenir ingérable et irrespirable. Pas qu’il soit sûr et certain que la venue d’une certaine personne va globalement changer la tension qu’il y a entre ces deux-là, mais disons que Marc a quelques craintes.
Il pense d’abord à Tim qui va être le premier -second- concerné par l'arrivée de l'indésirable. Il ne sait pas si la visite surprise, pas vraiment surprise, va faire revenir des mauvais souvenirs ou si au contraire cela va bien se passer. Il se retrouve le cul entre deux chaises, mais deux chaises rembourrées plutôt confortablement. Ce qui lui pose un problème, c’est qu’il ne sait pas comment va réagir Sam.
Marc n’a pas conscience de jusqu’où les deux bagarreurs sont allés sur leur vie personnelle. Il sait que récemment Tim a aidé Sam à gérer une crise. Qu’ensemble ils créent le meilleur environnement possible pour l’éducation d’Elias, même s’ils n’ont pas conscience de le faire en tandem. Marc connaît la situation de l’un et de l’autre, il est leur ami, et aime qu’ils se confient à lui. Par contre, il est intimement convaincu que les révélations des prochains jours vont chambouler l’équilibre précaire dans lequel est plongé Wildford House. Une des peurs que Marc a, c’est que la relation d'amour-haine qu'il y a entre Anderson et Wildford devienne une relation de haine. Car dans cette histoire, c'est encore Tim qui va se retrouver blessé. Et Elias risque de payer les pots cassés. Parce qu'après tout on ne connaît pas tout sur nos amis, parfois on peut tomber sur des gens à l'opposé de ce qu'ils semblent être.
Normalement, Marc vit dans le monde idéal et tout va bien se passer, ses craintes sont infondées. Il prend tout de même la liberté de prévenir avant de guérir. Alors il attrape son téléphone posé sur sa table basse style industriel en bois brut et armature en métal et compose un numéro qu’il connaît bien.
– Hey Marc ! Comment ça va ? Pourquoi tu m’appelles ? demande la voix d’un homme à la chevelure ondulé d’une couleur acajou.
– Oublie les formalités, tu viens toujours ?
– C’est toujours un plaisir de discuter avec toi. Écoute je me porte à merveille, j’ai eu-
– Arthur, gronde Marc légèrement agacé par le comportement condescendant de son interlocuteur.
– Oui je suis dans un taxi. Dis-moi Tim ouvre jusqu’à quelle heure ?
Sans prendre la peine de répondre, il raccroche. Oui, il va devoir se préparer psychologiquement à potentiellement s’occuper d’une situation d’urgence. Peut-être qu’il devrait composer le 999 au cas où. Si Arthur est dans un taxi, c’est qu’il ne va pas tarder à arriver à Wildford House. Au vu de l’heure, il n’est pas le seul à débarquer à cette heure-ci puisque les Anderson arrivent de la piscine, et Elly passe toujours voir Tim, histoire de lui raconter ce qu’il a fait à l’école et comment s'est passé son cours de natation sous les yeux aguerris de son père. Petit rituel très mignon de la famille -qu’il n’a pas conscience qu’elle en est une- Anderwild comme il les appelle dans sa tête. Actuellement l’heure n’est pas à la rigolade, Marc a un mauvais pressentiment, Arthur et Samuel ne se sont jamais rencontrés, mais si cela venait à arriver, Marc à l’impression qu’il va y avoir des étincelles et que son immeuble va brûler. Rapidement, il monte sur sa moto en sortant du boulot, traversant les rues de Londres le plus vite que lui autorise la loi.
Sauf que Marc n’arrivera pas avant Arthur, qui se glisse avec aisance du taxi, alors qu’il vient de faire un vol Amsterdam-Londres. Le brun à la chevelure étincelante semble tout droit sorti du pressing. Si la scène se déroulait dans un film à l’eau de rose, il y aurait une légère brise pour faire flotter les boucles qui encadrent son visage et une musique qui sort d’on ne sait où. Dans la réalité, l’air est humide, et tout ce qu’Arthur a pour lui c’est sa posture droite et sa démarche assurée.
Dans ses mains se trouve le plus gros bouquet de fleurs que Sam n’ait jamais vu. Le père célibataire vient d’arriver dans la rue, et attend que le taxi parte pour pouvoir garer sa voiture à sa place. De là où il est, il voit un homme élégant entrer dans la librairie, saluer Tim, et le temps qu’il se gare et qu’il relève les yeux, il voit l’homme qui vient de rentrer poser ses lèvres sur celle de Tim.
Il croit un moment rêver, alors il cligne une fois des yeux, puis deux, puis trois. Non, il voit bien un homme inconnu au bataillon embrasser son propriétaire. Propriétaire qui repousse l’homme devant lui. Ni une ni deux il ordonne à Elias de rester dans la voiture, de là où il est le siège auto ne permet pas au petit garçon de voir ce qu’il se passe. Comme un taureau enragé, son père fonce dans la librairie, attrape le col de la chemise parfaitement repassé de l'inconnu.
– Sam ! Sam, lâche-le !
Tim a beau essayer d’attraper les épaules larges et dures comme de la pierre de Sam pour le faire se calmer un peu, mais impossible de le faire redescendre. Arthur se retrouve plaqué sur une étagère.
– Oh ! Tim je ne savais pas que t'avais un nouveau mec ! dit-il en rigolant.
La remarque d’Arthur n’améliore pas la situation. Sam a la colère qui flambe, non pas à cause des possibles allusions qui sont faites, mais à cause du ton condescendant qu’emploie le mec trop parfait qu’il est en train d’épingler au milieu de livres tout neufs. En passant sur le côté, Tim réussit à passer sa main autour de celle de Sam, et à lui faire doucement redescendre la tension. Il ne sait par quel miracle il réussit à le faire reculer d’un pas. De ce fait, Arthur remet le col de sa chemise, et essaye de remettre en place le joli papier coloré du bouquet qui s’est retrouvé froissé dans l'altercation. Ne se préoccupant pas de lui, Tim se concentre sur Sam, qui s'il le pouvait, aurait de la fumée qui sortirait des narines. Le blond essaye d’attirer son attention, sans résultat. Il va lui falloir une autre tactique. Alors Tim se place entre eux, devant Samuel.
– Hey ! Sam regarde-moi, tente-t-il sans vrai changement.
Il se permet alors de poser une main sur sa joue, d’être plus proche de lui, et de forcer quelque peu pour que leur regard se croisent. De sa main il sent la mâchoire serrée sous cette barbe de trois jours dont n’importe quel célibataire rêverait. En tombant dans les yeux de Tim, Sam change d'expression, passant d'en rogne à inquiet. Presque instinctivement, il attrape la main présente sur sa joue et la serre fort dans la sienne.
– Ça va ? demande-t-il en fronçant les sourcils et analysant chaque trait du visage de Timothy.
Samuel s'inquiète de ce qu’il s’est passé, sans chercher à comprendre ce qu’il s'est passé. Arthur est entré, a salué le propriétaire des lieux, lui a présenté le bouquet, et lui a déposé un baiser au coin des lèvres. Tim, bien que content de voir son ami, l’a gentiment repoussé pour lui signifier que ça n'irait pas plus loin que ce petit contact. Et même si ce langage est clair entre les deux ex-partenaires, vu de l'extérieur, Sam a tiré ses propres conclusions. Le comportement légèrement sanguin du brun de l’appartement 3 ne l’a pas aidé à analyser calmement les choses. Il a mis pour le coup la charrue avant les bœufs. Pourtant, il reste sûr qu’il n'apprécie vraiment pas le nouvel arrivant. Une fois revenu dans un état civilisé, il se détache de Tim et souffle un coup.
– C’est qui ce mec ? crache-t-il, sans regarder ledit “mec”.
– Son mec, répond Arthur le plus calmement du monde.
– Mon ex, corrige Tim.
– Mon frère, dit Marc en rentrant dans la librairie avec Elias dans les bras. Je l’ai sorti, il m’a fait un grand “coucou” depuis ta voiture, dit-il en enlevant sa main de devant les yeux du garçon puisque personne ne semble se vider de son sang.
Sam est surpris que l’homme qu’il a devant lui soit aussi opposé niveau comportement et apparence que Tim, son ami. C’est qui ce peteu et qu’est-ce qu’il vient faire ici ? Et surtout pourquoi il traîne dans les pattes de Tim ? Ce gars a tout sauf l’air sympa et même si son physique est potentiellement avantageux, il ne voit pas Tim se traîner avec un mec pareil. Une fois la pression redescendue, il prend soudain conscience de quelque chose, une chose essentielle, une chose sur Tim qu’il ignorait jusqu’à maintenant. Il ne remet pas en question son choix de ne pas lui en avoir parlé, mais il a l’impression que c’est une chose qu’il aurait dû savoir, bien qu’il en n’ait rien à faire. Un sentiment dans sa poitrine lui dit qu’il aurait préféré être au courant. L’impression de ne pas faire partie de la vie de Tim le prend, comme un arbre touché par la foudre.
Les deux frères se prennent la tête, à croire qu'à Wildford House personne ne peut se parler calmement. Marc reproche à son petit frère l’ambiance pourrie actuelle et le fait de ne pas l’avoir prévenu de son heure d'arrivée. Ce à quoi Arthur répond qu’il est grand, majeur et vacciné depuis bien longtemps, et que par conséquent il peut faire ce qu’il veut. La visite fraternelle annuelle va être pimentée cette fois-ci. Restant en retrait, Tim observe les mimiques du visage de Sam, il voit bien qu’il est en train de réfléchir, quelque part ça travaille dans ses méninges. Il redoute ce qu’il peut se passer par la suite, il n’a jamais parlé de sa sexualité à Sam. Bien qu’il ne soit pas obligé de faire son coming out à toutes les personnes qu'il rencontre. Sentant sûrement le regard insistant du blond, Sam tourne la tête vers lui, et devant la mine pâle du libraire, lui renvoie un sourire crispé. S'ils doivent avoir une conversation, cela va devoir attendre.
Après des présentations un peu froides, chacun est reparti de son côté. Sam a récupéré son fils et est parti pour lui préparer à manger et l’envoyer à la douche pour se débarrasser de l’odeur de chlore. Marc a pris les affaires de son frère pour les monter à l’étage. Arthur le suit, non sans lancer une petite phrase qui pourrait bien mettre le bordel dans la tête de Timothy.
– Je ne savais pas que tes goûts avaient changés, tu es passé aux mauvais garçons ?
Il n’a pas attendu sa réponse pour disparaître dans les escaliers. En à peine quinze minutes, on dirait qu’un ouragan a ravagé sa petite boutique.
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