Chapitre 01.5

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L’étonnant gnome hurla à son tour. Ses vociférations ressemblaient aux grouinements d’un cochon sur le point d’être égorgé. Sa gueule s’ouvrit de façon démesurée découvrant quatre rangées de crocs blanc neigeux, partagées entre le haut et le bas de la mâchoire. D’autres tapissaient son palais et sa langue, ou ce qui y ressemblait vaguement.

L’horrible farfadet lui arracha des mains ce qu’il avait pris pour un être vivant et qui était… un petit doigt.

Elle se renfonça dans le trou… Son trou.

Effrayé par la créature qu’il venait de voir, Tom lâcha les quenottes qu’il tenait encore au creux de son poing gauche et recula, pris de panique. Il patina dans la traînée de sang et partit à la renverse.

Couché sur le dos, par terre, devant la fontaine, il comprit que l’affreuse créature venait de lui dérober le doigt de Peter.

Sa conscience essaya de contrecarrer cette pensée pour ne pas sombrer. En vain.

Où se trouvait le reste de son ami ?

À l’inverse de ce qu’il imagina d’abord, rien à part la goule de l’enfer n’était sorti du trou…

Elle l’avait vidé de son sang, ce sang dans lequel il était en train de patauger, et elle s’était débrouillée pour y engouffrer son ami, de force… et le boulotter.

Tandis qu’il s’efforçait de garder en mémoire cette conclusion malgré le chaos qui menaçait de l’anéantir, il se releva à nouveau et courut, vers l’endroit où devait se trouver Liam.

Il se sentait mal. Ses jambes lui faisaient l’effet d’être en coton, et ses pieds en plomb.

La gargouille l’avait touché en reprenant la dent.

Il avait eu l’impression d’avoir été égratigné par une branche morte.

Elle avait dû le contaminer, l’empoisonner…

Une maladie mortelle…

Bientôt, ses os se casseraient, s’effriteraient…

Elle avait enfourné Peter dans l’étroite cavité grâce à cela…

Il se souvint des longs doigts noirs, griffus et secs du rejeton de Satan. Sa main ne lui avait pas semblé plus grosse que la patte d’un chat, mais avec des griffes infiniment longues.

Tom sentit monter un haut-le-cœur. Il ne voulait pas finir dans un trou, les os brisés.

Il retrouva le panier de Peter et son sac de toile. Cette fois, il évita instinctivement l’obstacle malgré sa panique.

Il s’arrêta et regarda autour de lui. Il voulut appeler Liam, seulement aucun son ne sortit de sa gorge. Ce qui lui sauva sûrement la vie, mais il n’en prit conscience que bien des années plus tard.

Il entendit des sanglots à peine couverts par les susurrements… De nouvelles voix. Elles étaient plus nombreuses. Tom marcha lentement en direction des chuchotements et des gémissements.

À travers la brume, il vit une forme mouvante sur le sol devant lui.

Il s’approcha, franchissant chaque voile de brouillard qui le séparait de l’ombre. Mais elle n’était pas seule.

Elle était une multitude de petites silhouettes obscures bondissant sur Liam, pareilles à des singes facétieux, et affamés, tirant ses cheveux et ses vêtements, griffant ses joues, arrachant des bouts de chair, bouffant le lobe de ses oreilles, lapant le sang qui coulait de ses plaies profondes, grognant avec rage.

Voyait-il vraiment tout cela ou était-ce une partie de son imagination qui tentait d’interpréter quelque chose qu’il ne comprenait pas ?

Assez près néanmoins, il distingua d’autres goules, aux faces grimaçantes, pareilles à celle de la fontaine.

Comparées à Liam, elles étaient petites. Un pied, ou deux. Dix, si on leur étirait les bras et les jambes jusqu’au bout des griffes.

Dix, ce devait être le nombre de gargouilles s’acharnant sur leur victime.

Tom avança d’un pas vers lui. Il voulait secourir son ami. Il ignorait de quelles manières y parvenir. Son esprit, paralysé par cette vision d’horreur, refusa de lui en donner le moyen.

Un des diables vit Tom et bondit du dos de Liam en direction de sa nouvelle proie. Il atterrit avec souplesse entre son ami et lui. Il le regarda avec ses grandes billes argentées. Il sentit qu’il représentait un risque à l’égard de ceux de son espèce, car il amorça un sifflement entre ses dents…

Avant que le monstre puisse donner l’alerte, Liam parvint à se traîner jusqu’au gnome. Au prix d’un dernier effort, il lui saisit l’une de ses deux pattes et tenta de se servir de la créature pour faucher les autres monstres.

En vain.

Alors, de son autre main que la bestiole chercha aussitôt à mordre et à griffer, il la saisit par son cou maigrelet et la retourna tête vers le bas. Il l’écrasa de toutes ses dernières forces dans sol caillouteux.

Le craquement des os du diablotin s’imprima durablement dans l’esprit de Tom.

Cela sembla être facile, autant que briser la tête en porcelaine de l’une de ces poupées de chiffon dont les petites bourgeoises ne se lassaient pas.

Voyant le sort réservé à l’un des leurs, les gnomes s’acharnèrent davantage sur Liam.

Tom distingua la figure de son ami ensanglanté, tordue de douleur. Il vit ses lèvres fendues articuler un mot à son intention, puis de sa main libre, l’autre tenant toujours le gnome, il exécuta le signe qu’ils utilisaient lorsqu’ils se cachaient des condés ou d’une bande rivale et ne pouvaient se parler de vive voix.

Il disait clairement « Fous-le-camp ! Sauve ta peau ! ».

Tom hésita à peine une seconde avant de détaler.

Il courut vite, car sa vie en dépendait. Il entendit encore les chuchotements. Ils lui embrouillèrent le cerveau. Puis, ils disparurent lorsqu’il traversa l’avenue.

Il prit alors conscience que, durant les attaques, ni Peter ni Liam n’avaient crié. Qu’est-ce qui les en avait empêché ? Les démons leur avaient-ils pris leur voix ?

La rue était déserte… Personne pour les aider…

Il entra dans la ville… Il continua sans voir âme qui vive. Il glissa sur les pavés, s’écorcha les genoux et les paumes des mains. Il se releva et recommença à courir. Il n’entendait plus les murmures.

Pourtant, il sentit inconsciemment que jamais ils ne le quitteraient.

Peter disait que personne n’avait pu raconter ce qui arrivait à ceux qui pénétraient dans la demeure parce que personne n’en sortait.

Jamais.

Les goules ne laissaient aucune trace de leurs actes malfaisants.

Et même si elles parvenaient à s’échapper, leurs proies étaient comme marquées.

Il en était persuadé. Il ne pouvait pas être sauvé.

Tôt ou tard, elles le retrouveraient…

Cette idée le terrorisa et eut raison de son esprit vacillant.

Il fut soudain arrêté par un mur, de plein fouet. Il voulut se remettre à courir, mais il fut soulevé du sol par une puissante force.

Il sentit son cœur dérater lorsqu’il vit la figure sombre apparaître face à la sienne.

Ses yeux laiteux aux pupilles ambrées…

Il hurla quand la face ténébreuse sourit de toute sa denture d’une blancheur éclatante.

À bout de forces et de nerfs, il finit par s’évanouir de terreur et d’épuisement.

*

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