La liberté ou la mort.
Devant, la liberté.
Derrière, la mort.
Il n'y aura plus de retour en arrière.
Derrière il y a les chiens et les chasseurs, il y a le fouet et la potence, il y a les jarrets tranchés, les oreilles arrachées et la douleur. Derrière, il n'y a pas d'être humain.
Il court, il ne pourra plus s'arrêter.
Ses pieds s'écorchent et se déchirent sur les roches et les épines. Son front s'ouvre sous la cinglance des branches basses. La forêt se referme sur lui, l'avale telle une bête monstrueuse, le digère. Il sent son haleine putride sur son visage, sa touffeur infestée qui l'enserre comme un étau.
Le monde s'obscurcit, devient ténèbres.
Il ne ressent ni la douleur, ni la faim, ni la soif, juste une grande sensation de liberté. Il inspire à pleins poumons l'air libre qui l'envahit. Non, il n'a pas peur, il n'aura plus jamais peur. Il est libre! Ce soir, il ne dormira pas les chaînes aux pieds.
Les aboiements furieux le talonnent, les molosses sont à ses trousses. Il sent déjà la brûlure de leurs morsures sur ses mollets. S'il échoue, ces monstres le mettront en pièces. Il perçoit les cris de leurs maîtres.
Il se rit de la mort celui qui n'a plus rien à perdre.
Que sait-il de la liberté, celui qui n'en a jamais été privé ?
L'ombre croit, la lumière décroit. La nuit déploie ses ailes. Ogun gronde et fait trembler la frondaison des arbres. Il se sent porté par lui, par sa force mystique... Il ne s'arrêtera plus. Quels que soient les obstacles qui lui coupent la route, il les franchira tous...
Les chiens se rapprochent, il sent l'odeur de la mort sur ses talons. Il l'entend ricaner. Il ne s'arrêtera pas, il ne renoncera pas. La liberté est au bout, devant lui. Elle l'appelle.
Une fondrière manque de l'engloutir. Il s'agrippe à une branche et repart aussitôt. Mais les chiens gagnent du terrain. Il monte toujours plus haut dans le morne hostile. Son refuge et sa délivrance.
Un précipice. Il bifurque, longe sans ralentir l'allure le bord escarpé. En contre-bas, le rivière caracole, prête à le dévorer. Le moindre faux-pas et c'est la chute. Mais il n'a pas peur. Ses poumons le brûlent mais il ne ressent rien d'autre que cet appel loin devant. "Viens, et sois libre."
Les chiens sont là, sur ses pas. Quatre énormes mâtins dressés pour tuer. Leurs yeux luisent dans le noir, leurs gueules écumantes claquent sur la promesse d'une douleur mortifère.
La jungle ouvre ses bras, la lune se déploie. Il n'y a plus que le ciel pailleté d'étoiles, les molosses et lui. Et la liberté devant lui qui l'appelle et l'enlace.
Le précipice l'a pris au piège. De part et d'autre de la péninsule, le vide.
Voilà la liberté, la seule, l'unique, immortelle. Il la prend dans ses bras et l'embrasse. il ne veut plus la quitter. Il n'entend plus les chiens. Dans le lointain, il y a les tambours de son Afrique natale, il y a les chants de guerre de ses ancêtres...
Il ne sent plus la peur. Il n'y a plus que l'air suave d'une nuit de pleine lune sur son visage. Plus de roche sous ses pieds, que la caresse du vent, les baisers des étoiles. Elles l'accueillent sur un lit de poussière nébuleuse.
Il se sent léger, léger. Il ne pensait pas que la liberté puisse être aussi gracieuse. Il s'envole, porté par les courants d'air pur. Son beau rêve est accompli. Il est enfin libre!
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