L'Homme aux grands yeux et l'homme au gros ventre

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Il était une fois, deux hommes vivant sur la même colline.

L'un se trouvait au sommet, où tout était plus beau, mais où l'air s'y faisait plus frais. Il avait de grands yeux, pour tout observer, mais il avait une pauvre maison branlante où les courants d'air glacés de l'hiver le rendaient toujours malade. Il avait souvent faim, mais comme il voyait tout d'une très belle façon, il se contentait de sa condition.

Le second, lui, vivait plus en bas de la colline. Il avait un gros ventre qui lui permettait de tout manger. Il vivait parmi les bonnes gens et il avait de belles terres. De si près, il pouvait sentir les fleurs, manger la nourriture des champs et le flanc de la terre le protégeait des bourrasques. Sa maison était bien solide, il y avait chaud et il n'était jamais seul. Alors il se contentait de sa condition.

Un jour, un monstre apparut sur la colline. On l'entendit d'abord rôder la nuit, puis l'on entrevit sa silhouette durant le jour. Et soudain, il se montra aux deux messieurs, chacun dans sa maison. L'homme aux grands yeux reçut une visite de la tête. Elle avait roulé jusqu'au pas de sa porte, pleine de dents pointues et de prunelles jaunissantes. Elle parlait d'une voix étouffée et serpentine. Elle lui proposa un pacte :

- Si tu deviens mon ami, je ferai de ta colline le plus beau potager que le monde ait porté !

L'homme aux grands yeux frémit.

- Non. J'ai vu bien de belles choses, et je sais pour sûr qu'un tel potager ne saurait être aussi beau que ceux d'en bas. Car il neige ici, et tout y mourrait.

Le monstre disparut alors.

L'homme au gros ventre reçut quant à lui une visite du reste du monstre. Il avait titubé jusqu'au bas de sa porte. Il n'avait plus sa tête, mais le trou béant de sa gorge articulait des paroles étranges, dans un dialecte en gargouillis, dégorgeant des mots. Il était d'une telle maigreur que l'on aurait pu le croire mort. Pour une raison étrange, l'homme au gros ventre le comprit. Il répondit :

- Ah ! Un pacte ! C'est que cela me fait bien envie ! J'ai toujours faim et je pourrais inviter mes amis. Nous mangerons beaucoup, tout le monde sera heureux.

Alors le corps du monstre glouglouta un rire étrange et disparut.

Aussitôt, les fruits et légumes du potager de l'homme au gros ventre grossirent et grossirent, à tel point qu'on eut dit qu'il avait le plus beau jardin que la terre ait jamais porté. Les bêtes mangèrent davantage et grandirent elles aussi, et quand tout devint géant et qu'il se mit à nager dans l'opulence, l'homme au gros ventre invita tout le village à manger chez lui. Ils s'empiffrèrent : tout était gigantesque et la nourriture était délicieuse. Même les vins des raisins-pastèques les plongeaient dans une ivresse incomparable. La viande fumait et embaumait tout à des kilomètres alentours. L'homme aux grands yeux pouvait la sentir à travers les murs percés de sa pauvre petite maison, toute haute et fragile. Mais le monstre aux yeux jaunes l'avait terrifié, et il avait trop peur pour croquer dans l'un de ces fruits.

Très vite, l'homme au gros ventre avait mangé tout. Ce faisant, il avait laissé son jardin dépérir et il n'y poussait plus rien. Les animaux périrent, et on le voyait sangloter dans les restes de ses terres immenses mais désormais stériles.

- Je n'aurais jamais dû faire de pacte avec le monstre !

En haut de la colline, l'Homme aux grands yeux mourait de faim. Il avait vu les gens être si heureux en bas, et cette odeur l'avait tant alléché que son envie avait grandi comme les fruits. Alors qu'il pleurait en silence, faisant couler de grosses larmes, il murmura :

- J'aurais dû faire le pacte du monstre...

Et aussitôt, la tête du monstre lui apparut, mais sur un grand corps large et bouffi. Dessus, il y avait des tâches de vin de sauce. De la même voix étouffée et serpentine, mais avec une haleine d'alcool, de viande fumée et de fruits, il lui dit.

- Si tu deviens mon ami, je ferai de ta colline le plus beau potager que le monde ait porté.

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