Décrépitude

Une minute de lecture

J’entends, je n’écoute pas.

Parfois j’écoute, mais ne veux point entendre.

Il parait que j’ai des oreilles.

 

La nuit tombe. Les ombres d’un vieux bâtiment se jettent à mes pieds.

Me voit-on de là-haut, sur la lune, comme ce cousin de chine ?

Il vient chaque soir à la même heure.

Il prend appui. Je le soutiens, tandis qu’une bande de jeunes le traitent d’ivrogne.

Ce sont les mêmes qui se jettent sur moi les dimanches après-midi, lorsque la ville est déserte. Ils me graffitent ensuite de leur couleurs inexpressives, de leurs slogans anarchistes. Les aurais-je un peu trop bercé dans leur enfance ?

Le vieil homme me parle.

Comment lui répondre ? Je l’entends, et ne peux lui offrir que le silence.

Trouve-t-il un peu de réconfort dans mon indifférence ?

Ses lamentations le soulagent-t-il ?

La rue est triste, grise, je dois être de la même teinte. Avec quelques touches vertes ici et là.

Je me sens lézardé par endroit. Dans mes nombreux interstices, se lovent cloportes, arachnides et autres myriapodes. Il faudrait que l’on me rase un peu. Le lierre me tapisse peu à peu.

J’aime le mercredi après-midi. J’entends des rires, des chants.

Des dizaines d’enfants, tour à tour, m’apprennent à compter. Ils me parlent d’un soleil que je ne peux voir.

Je n’aime pas les autres, ceux qui viennent le samedi. Ils sont plus âgés.

Pendant deux heures, je contre leur ballon.

Il fait un bruit sourd et violent en se heurtant sur moi.

Le son m’effraie. J’ai mal. Je me fendille encore un peu plus.

Ecorché vif, je perds un peu plus de parement.

 

J’ai vu tant de choses au cours de ma vie. Subit et aimé la vie de ces autres en mouvements.

Les chiens, qui sans respect, lèvent la patte et m’aspergent de leur immonde liquide pestilentiel.

L’on m’a tatoué nombres de cœurs et de prénoms, combien de ces jeunes amoureux s’aiment encore ?

On m’a lessivé, percé, peint.

Jadis, alors que je n’étais guère plus haut que ce prétentieux rougeâtre arrivé cet automne, on me ravalait, on faisait de moi le porteur d’une certaine fierté.

Il est lundi, tout est gris.

J’entends le bulldozer arriver.


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