Six fois par jour

2 minutes de lecture

La bécane, ça te fait prendre conscience de beaucoup de choses parce que ça les met en lumière. Plein phares sur ta gueule, ça éblouit pas mal au départ, puis tu t'habitues. Les images viennent. Matin, midi et soir, six fois par jour, tu te dis que c'est peut-être la dernière fois que tu enjambes la bête. Que cette fois-ci, l'autre connard pressé dans son Audi ne te loupera pas. Que tu t'envoleras jusque sous les roues du semi-remorque à côté pour finir en pâtée de toi. Tu commences un peu à avoir le syndrome de Jésus, t'imagines ton enterrement, les gens qui chialent, ou juste ta femme, parce que t'as toujours eu un peu de mal à trouver des potes en qui avoir confiance. Tu sais, pas juste des gars qui boivent des pintes avec toi et rigolent sur la longueur de leur zizi. Non, je te parle de potes qui savent des trucs crades sur toi et qui n'en parleront jamais, de potes qui ont ce qu'il faut pour cacher un cadavre et qui ne te feraient même pas payer pour ça, de potes qui ne rateront jamais une occasion de te rappeler que ta tronche de rat a intérêt à aller bien sinon ils débarquent et te composent une faciale en six temps pour te ragaillardir. Et là, quand tu démarres ton bolide, l'engin qui t'expédiera peut-être vers une mort façon chair à boudin au mieux, ou coma façon sarcophage de chair au pire, tu sais que tu sais. En une seconde, tu retournes dans les bas-fonds de ta conscience pour revivre le pire de ta vie, tout ce qu'on t'a dit, tout ce que t'as fait, tous ces pleurs, cette honte, cette solitude, cette haine qui te maintient en vie et que tous les bien-penseurs bobos diront que la vie c'est pas ça. En une seconde, tu retournes brûler seul au fin fond d'un trou sans lumière, à écouter tes propres sanglots en boucle. Et dans cette même minuscule seconde, dans cet infime moment d'introspection dont personne ne soupçonnera jamais l'existence, tu revois ces quelques mains tendues. Ces refuges qu'on t'a proposés. Peu importe le temps qu'il te faut, on te disait, c'est ouvert. Viens. Ca ira. Et quand ça ira mieux, tu pourras quand même revenir, pour le plaisir cette fois.

Je démarre ma bécane, je rentre chez moi en faisant gaffe au connard en Audi parce que je veux les revoir, ces gens qui seront à mon enterrement. J'ai envie de chialer mais c'est le vent sur ma visière fermée.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Michayl ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0