Chapitre 51

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Ce soir, on oublie tout

Lévana

Installée sur un banc un peu bancal, j’observe la place devant le bar, pleine de vie, comme si de rien n’était. Ce soir, on oublie tout et on fête le printemps. Le Blue Heart est fermé mais Gaspard et Olivier servent tout de même des boissons sous un barnum rouge rutilant alors qu’un vieux groupe de rock fait danser quelques couples et amis. L’odeur du barbecue embaume l’espace et le soleil qui se couche donne des reflets orangés au ciel, apportant une douce impression de vacances. Je me perds dans mes souvenirs d’enfant, me rappelant nos soirées en bord de mer avec les parents, nos pique-niques devant cet astre de feu capable de teinter tout ce qui l’entoure.

Je dois l’avouer, l’ambiance est plutôt agréable. L’arrivée de quelques grandes tiges et la présence de drônes au-dessus de nos têtes a un peu refroidi tout le monde mais ils ont la correction de se faire discrets, personne ne provoque. Nal’ki est venu me saluer très rapidement après être allé chercher à boire auprès de mon frère et il ne s’est pas attardé pour ne pas attirer l’attention, j’imagine.

Ce soir, je découvre quelque chose que j’ai la chance de ne pas voir au bar : les femmes qui cherchent à s’attirer les faveurs des envahisseurs. Je ne devrais pas les juger puisque j’ai couché avec l’un d’eux, mais j’ai beaucoup de mal à voir ce petit groupe de nanas bomber le torse et mettre en avant leurs atouts. Est-ce que ça m’agace de voir que Nal’ki attire l’attention ? Bien sûr que non, je m’en fiche totalement. Et n’allez pas croire que mon regard tueur est destiné à la blonde que j’entends glousser de là où je me trouve.

Oui, je suis la Queen de la mauvaise foi, mais je m’en fous. Jamais je n’avouerai être jalouse, mais je rage intérieurement de ne pas être capable de contrôler cette émotion qui m’agace tellement lorsqu’elle m’est destinée. Sans parler de cette petite pointe de honte qui ne me quitte pas d’être attirée par un envahisseur.

J’ai presque envie de sauter au cou de mon frère lorsqu’il me fait signe d’approcher. Je quitte mon banc en attrapant mon verre vide, le rejoins au barnum et acquiesce sans broncher lorsqu’il me demande d’aller lui chercher un fût de bière dans notre réserve.

Je retrouve le calme du bar même s’il y a du passage car nous avons laissé l’accès aux toilettes. Voilà qui m’évite le spectacle des poules dans la basse-cour, dansant autour de leurs coqs un poil trop sexy pour des extraterrestres. Bon, je parle surtout de Nal’ki, pour le coup, je dois avouer ne pas avoir vraiment pris le temps de détailler les autres au point de pouvoir déterminer s’ils sont sexy ou non. En y réfléchissant bien, c’est un peu comme pour nous, certains le sont plus que d’autres, et Nal’ki… pourrait très bien être ce Jackson Hemsworth, le fils de l’acteur Chris que ma mère trouvait si attirant, ou encore l’un de ces mannequins en une des magazines, du moins, je l’y verrais bien. J’imagine que nous avons tous nos critères de beauté, mais à mon avis, peu de femmes le trouveraient laid, il faut être honnête.

Et oui, ça m’énerve qu’il soit entouré de petites nénettes prêtes à tout pour ne pas vivre dans l’oppression. Je suis sûre que s’il proposait une phase deux à certaines, elles écarteraient les cuisses sans réfléchir. Et moi, pendant ce temps… je joue la femme mariée, inaccessible, alors qu’il est évident que l’attirance est réciproque. Les flammes brûlent entre nous, lèchent nos peaux chaque fois que nous sommes proches, attisant un désir que nous n’avons pas assouvi en l’espace d’une nuit.

Je sursaute en entendant mon prénom, le nez dans les caisses de bière. Olivier apparaît à la porte et je retiens une grimace. J’avoue l’éviter au maximum, prétexter assez aisément être fatiguée pour qu’il dorme chez lui plutôt qu’avec moi. Ça aussi, ça m’agace. Je n’ai pas recouché avec lui depuis Nal’ki. Je n’en ai pas envie, tout simplement.

— Tu viens m’aider ?

— Tout le monde est occupé dehors, on est tranquilles, ici. Ça te dit une petite folie, comme on le faisait avant ? me demande-t-il, le regard lubrique, en s'approchant de moi.

— On n’a pas vraiment le temps, là… Gaspard attend les bières et il me semble que tu bosses, lui lancé-je en déposant le fût sur la table. Tes muscles vont m’être utiles.

— Qu’est-ce qu’il t’arrive, Lév ? Je sais qu’on n’est pas vraiment mariés, mais là, je trouve que tu me délaisses vraiment. Ce soir, on se rattrape ?

— Oli, soupiré-je en me passant une main sur le visage, lasse. On n’est pas mariés et pas ensemble non plus, je te rappelle. Je ne délaisse personne et je ne te dois rien en fait.

Je sais que je suis un peu dure en terminant ainsi, mais c’est une réalité qu’il a semble-t-il oubliée. Bientôt il va me demander de penser à mon devoir conjugal, à ce rythme. Je l’apprécie beaucoup mais il ne faut pas pousser non plus. Je savais pertinemment que c’était une mauvaise idée de mélanger sexe et “travail”. Pour le coup, cette mascarade pourrait prendre l’eau et nous causer des soucis. Ca changerait tout pour moi, en tout cas, et pas de manière agréable, j’imagine.

— Non, tu ne me dois rien… sauf peut-être de me dire que tu ne veux plus de moi. J’ai le droit d’avoir cette information, non ? Et comment tu fais ? Tu n’as plus envie ? Tu as trouvé quelqu’un d’autre ?

— Je… je n’ai pas la tête à ça, c’est tout. Qu’est-ce que tu veux que je te dise ? Je suis désolée, Oli, j’ai besoin d’espace, je manque de temps, je suis crevée, et j’ai aussi l’impression que tu n’attends plus la même chose que moi de cette pseudo relation.

— Je n’ai pas changé dans ce que je veux, moi. Juste prendre du bon temps mais si ça te pèse, ce n’est pas le bon plan. Et donc, tu me donnes l’autorisation d’aller voir ailleurs ? De te tromper officiellement ? Parce que tu sais, j’ai des besoins et des envies, moi aussi.

J’ai l’impression de voir un foutu red flag se mettre à danser sous mes yeux à cet instant. Olivier chercher à me rendre jalouse ou au moins à me culpabiliser ? Monsieur, ses besoins et ses envies… l’excuse de beaucoup d’hommes infidèles, non ? De femmes aussi sans doute.

— Tu vois, elle est là, la différence entre toi et moi. Je n’ai jamais considéré que notre relation devait être exclusive, c’était du bon temps passé ensemble, mais je ne t’ai jamais empêché d’aller voir ailleurs. La seule chose que je te demande, c’est de faire ça discrètement pour que notre couverture reste intacte. Je suis désolée de ne pas pouvoir répondre à tes envies et besoins, Oli. Je te laisse apporter le fût à Gaspard, s’il te plaît…

— Désolé, Lév, je me suis sûrement trop pris au jeu du mari et femme… C’est toi qui as raison. Mais bon, si tu changes d’avis, tu ne m’oublies pas, hein ? ajoute-t-il en venant me faire une bise sur la joue. Et promis, si je vais voir ailleurs, je ferai ça sans bruit.

J’acquiesce et lui souris pour l’en remercier. Je n’ai pas trop envie d’être la cocue du quartier, même si le pauvre serait finalement le premier concerné puisque c’est moi qui ai “fauté”.

Je l’observe s’éloigner et souffle lourdement. Je me sens à la fois rassurée et attristée par cet échange et je mets un petit moment à quitter le bar. Une fois sur la place, je me rends compte que personne ne m’attend vraiment à cette petite sauterie. Jasmine a rejoint Gaspard derrière le bar et j’évite de trop traîner avec les Valkyries pour éviter tout soupçon si l’une de nous se fait prendre. La porte qui mène aux appartements me fait envie et je rebrousse chemin, décidée à me coucher tôt. J’accueille le silence du hall avec plaisir et monte les marches, m’arrêtant lorsque j’entends le battant s’ouvrir dans mon dos. Je suis surprise de voir Nal’ki se glisser à l’intérieur et s’y adosser, son regard azur fixé sur moi alors que son visage me semble plus fermé qu’il ne l’a été ces dernières semaines en ma présence.

— Qu’est-ce que tu fais ? Tu es fou ? Et si on t’a vu entrer ici ?

— Personne ne m’a vu, je sais me montrer discret. Cela me sert bien, d’ailleurs. C’est quoi, cette histoire avec Olivier ? Ce n’est pas vraiment ton mari ? A quoi tu joues ? Il y a d’autres choses que tu me caches ?

Je reste un instant immobile, perdue et paniquée. Ma conversation avec Oli me revient en tête et j’avoue que je fais une prière silencieuse pour que nous n’ayons surtout pas parlé de la rébellion. Je ne crois pas, du moins je l’espère vraiment.

— Je… D’où tu tiens ce genre d’infos ? C’est… ridicule, enfin, bafouillé-je, peu convaincante.

— Arrête, Lévana, je vous ai entendus avec Olivier. Tu vois, je tiens mes infos directement de la source. J’étais entré pour venir te retrouver discrètement, mais je ne suis pas le seul à avoir eu cette idée… Olivier n’est pas ton mari ?

Un lourd soupir m’échappe et je lui fais signe de monter. Après une légère hésitation, il se décolle de la porte et me rejoint dans les escaliers.

Le retrouver à nouveau dans mon chez-moi me paraît étrange. S’il y est seul, il occupe encore beaucoup trop l’espace à mon goût et rend l’air étouffant, ses yeux ne me lâchant pas alors qu’il attend une réponse. Je prends malgré tout le temps de me servir un verre d’eau que j’avale d’une traite, profitant de l’éloignement que nous impose la petite partie bar de la cuisine pour organiser mes pensées.

— Quand vous avez débarqué et commencé à réquisitionner les femmes adultes et célibataires, mon frère et moi, on a paniqué. J’ai disparu quelque temps, suffisamment pour qu’on invente ce faux mariage et qu’on fasse ce qu’il fallait pour qu’il paraisse vrai. Tu me vois, moi, bosser pour vous ? Je n’ai jamais été très douée pour obéir à qui que ce soit.

— Tu ne crois pas que c’est le genre d’informations que j’aurais aimé avoir ? Je comprends tout à fait la raison du mensonge, je ne vois pas pourquoi tu m’as laissé le croire si longtemps. Je me suis trompé sur… ce qu’on ressent l’un pour l’autre ? conclut-il après une légère hésitation. Comment je fais pour savoir ce qui est vrai ou pas, désormais ?

— Dois-je te rappeler que nous ne sommes pas dans le même camp, Nal’ki ? Je… je ne pense pas que tu puisses comprendre ce que c’est de voir sa liberté menacée à ce point. Même si tu m’as montré que je pouvais avoir confiance, il n’en reste pas moins que si ça se sait… mon frère, Olivier et moi serons sans aucun doute punis, à minimum, et moi embarquée là-haut ou en zone secrète, qui sait ? Il ne s’agit pas de toi, uniquement de nous protéger. Je suis désolée.

— En zone secrète, tu aurais pu retrouver ta sœur, au moins, me rétorque-t-il, un peu amer. Je sais que je ne suis pas dans le même camp, pas besoin de me le rappeler, mais quand même, après ce qu’on a vécu, savoir que tu n’es pas mariée, ça change tout, non ?

— Et ça change quoi, au juste ? Tu crois qu’on peut se mettre ensemble comme si de rien n’était ? Tu veux que je te présente à mon frère comme étant mon mec ? On va se marrer quand il va vouloir te buter et m’achever ensuite pour avoir fricoté avec l’ennemi, le peuple qui a tué nos parents…

— Lévana, soupire-t-il doucement. Ce n’est pas non plus ce que j’ai dit… mais je peux t’assurer que pour moi, personnellement, ça change beaucoup de choses. Je n’ai plus cette culpabilité que je ressentais de t’éloigner de ton mari. Je… je sais que je parle beaucoup de moi et de mes ressentis, là, mais ce n’est tellement pas moi de faire n’importe quoi avec une femme mariée. Je… non, finalement, tu as peut-être raison, ça n’aurait pas changé grand-chose. Tu m’attires, que tu sois mariée ou pas.

— Je suis une grande fille, je n’ai besoin de personne pour m’éloigner de mon soi-disant mari…

Je quitte ma cuisine pour le rejoindre et me plante devant lui, un peu perdue quant à la suite des événements. Si je suis tout à fait honnête avec moi-même, je ne pense presque plus qu’à une chose : profiter de ce moment en tête à tête. Une question me taraude pourtant encore.

— Tu vas garder ça pour toi ? Ou je dois faire ma valise…

— Quelle question ! Je n’ai aucune raison de parler de ça à qui que ce soit ! Et surtout, ne pars pas, maintenant que je sais que tu es une femme libre, je ne veux plus que tu t’éloignes !

Je ne peux empêcher un sourire de se former sur mes lèvres et mon cerveau se met en off, rassuré. Je prends le temps d’aller fermer la porte d’entrée à clé tout en déboutonnant ma petite robe. Provocatrice, je finis par la laisser tomber à nos pieds et lève les yeux sur son visage. Son regard détaille mes sous-vêtements aussi rouges que mes lèvres, l’envie y ayant remplacé les interrogations et réchauffant l’azur dans lequel je veux à nouveau me perdre.

— Et si on oubliait tout, maintenant ?

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