Epilogue
10 ans plus tard
Lévana
Installée derrière le bar, j’observe avec attention Zabor et Jeanne pendre au plafond une banderole souhaitant un joyeux anniversaire au petit garçon de 10 ans le plus mignon de la Terre. Bon, c’est moi qui le qualifie de la sorte, le papier vert et orange se termine par le prénom dudit jeune garçon à qui est réservée cette fête qui devrait débuter sous peu. Gamil est pour le moment à la maison avec sa petite sœur Jéléna, ses cousins et cousines. Erin et Louise, les deux filles de Gaspard et Jasmine prénommées en souvenir de nos parents, Mathieu, leur fils qui porte le nom du frère de ma belle-soeur, ainsi que Louane, la petite orpheline que Nal’ki et moi avons adoptée quelques mois après la chute du Conseil, doivent en faire baver à mon mari qui, heureusement, est assisté de Verlox et Elise.
Qui l’aurait cru… Gaspard est en train de rire avec Zabor de notre petite sœur qui ne laisse passer aucun détail. Tout doit être parfait pour son fils adoré, alors qu’elle est enceinte jusqu’au cou et sans aucun doute à quelques jours de donner naissance à une autre fille qui viendra agrandir notre tribu de Valkyries en sommeil. Nous ne sommes jamais loin d’un retour à la lutte, tout n’est pas parfait et nous savons nous faire entendre lorsque quelque chose ne nous convient pas, mais Dieu merci, je n’ai pas eu à poser de nouvelle bombe depuis une décennie et j’espère ne jamais en arriver là à nouveau.
Fatou a promis de passer durant cette petite sauterie, mais son travail à la tête du pays lui prend énormément de temps. Après avoir décidé de mettre en place des Conseils par région, il nous a fallu établir une instance nationale pour avoir une représentante afin que les contacts entre les pays se fassent à nouveau, et il y a 4 ans, nous avons élu notre première femme, noire de surcroit. Une vraie victoire pour les Valkyries. Promis, notre sacrée Fatou a appris à mesurer ses propos et se montre moins incisive, bien que j’ai cru comprendre qu’elle fait peur à quelques hommes et aliens, mais juste ce qu’il faut pour ne pas se faire marcher sur les pieds… ou pour obtenir ce qu’elle veut.
Voyant que Jeanne est trop petite pour attacher un groupe de ballons, je quitte mon bar aujourd’hui décoré pour les enfants plutôt que pour les adultes afin de lui donner un coup de main.
— Donne-moi ça, Grincheuse, me moqué-je en l’aidant à descendre de l’escabeau.
— Ne m’appelle pas comme ça, marmonne-t-elle.
— Tu fais 1m50 et tu grommelles autant que le nain. Sans parler de la taille de ton nez. Évidemment que je t’appelle Grincheuse, petite sœur adorée.
Je monte à mon tour sur le marche-pieds et plante une punaise dans mon magnifique mur au papier peint tout neuf. Qu’est-ce que je ne ferais pas pour ma sœur ou mes neveux et nièces !
— Oh bon sang, mais vous comptez me tuer ou quoi ?
Gaspard se plante à côté de nous et m’aide à descendre, les sourcils froncés et en soufflant comme un bœuf.
— T’es sûre que c’est moi, Grincheuse ? glousse Jeanne en me donnant un léger coup de coude.
Je ricane et ébouriffe les cheveux de Gaspard qui repousse ma main sans ménagement.
— Arrêtez de vous liguer contre moi ! Si Nal’ki t’avait vue grimper là-dessus sous ma surveillance, il m’aurait pété le nez.
— Alerte patriarcat ! entonné-je en lui collant mon poing dans l’épaule. Tu ne me surveilles pas, et s’il t’a demandé de le faire, il va découvrir ce que c’est que la grève de sexe pendant une éternité, je te le garantis !
— Je crois que je vais mentir alors, et dire qu’il m’a demandé de le faire pour le priver de toucher à ma sœur pendant les dix prochaines années !
— T’es pas drôle. Tu n’as pas envie de supporter ta frangine en manque, je te l’assure ! le provoqué-je.
— Je suis sûr qu’Olivier pourrait te soulager. Il ne t’a pas oubliée, tu sais ?
Olivier… L’éternel célibataire qui va de lit en lit et semble se complaire dans cette vie. Est-ce que c’est ma faute ? Si tel est le cas, j’en suis désolée, mais s’il ne veut pas se poser et profiter, c’est son droit.
— Tu m’étonnes, je suis inoubliable, lancé-je en bombant le torse.
— Et un peu ridicule aussi, M’man ! me surprend une voix douce qui ricane finalement, moqueuse.
Je me tourne pour découvrir Louane qui, du haut de ses seize ans, a piqué dans mon dressing une jupe en jeans et un crop top rouge plutôt moulant. Nal’ki doit s’être arraché les cheveux en la voyant partir comme ça, mais au contraire de Gaspard qui lance souvent des remarques d’un autre temps, mon petit (oui bon, il est géant, je sais !) mari se tait ou marmonne dans sa barbe. Je pourrais faire un hashtag mari parfait sur les réseaux sociaux s’il ne me réveillait pas parfois à l’aube quand il quitte le lit pour aller faire son sport ou aller se baigner. Quel sacrilège !
Louane a seize ans et je peine à réaliser qu’elle devient une adulte. Je me souviens de cette gamine aux joues rondes, blonde comme les blés, qui courait dans les couloirs sombres et humides du souterrain, qui pleurait ses parents au beau milieu de la nuit, qui passait de bras en bras et à qui tout le monde essayait d’apporter amour et réconfort. La vie l’a fait grandir bien trop vite et fort, c’est une jeune femme intelligente, déterminée et aussi une ado qui adore nous en faire baver. Quand elle a rencontré Nal’ki pour la première fois, quelques semaines après notre retour de l’île, elle lui a dit qu’elle n’aimait pas les garçons, mais que comme il était mon chéri, elle allait essayer avec lui. Aujourd’hui, elle va courir avec lui, partage sa passion pour les vieux films plus que dépassés et les répliques lourdingues, et quémande encore un câlin le soir avant de dormir. Si seulement elle pouvait arrêter de grandir.
— Je ne suis pas ridicule, petite ingrate, ris-je. J’imagine que les autres arrivent ?
— Ils ne devraient plus tarder. Winter is coming, énonce-t-elle avant de pouffer quand je lève les yeux au ciel.
— Va aider ta tante à sortir les gâteaux de la cuisine, tu veux ? Tu pourras parler de l’hiver en mettant le nez dans la chambre froide.
Je dépose un baiser sur son front, ce qui la fait sourire même si elle se détourne rapidement pour masquer ses émotions, et s’éloigne tandis que je regagne le bar. Je sors les pichets de mocktails du frigo et les dépose les uns après les autres sur la table où se trouve une tonne de friandises dans laquelle je pique, et le carillon de la porte retentit à nouveau alors que j’ai la bouche pleine. Une ribambelle de gosses envahit la pièce, suivie par des adultes plus mesurés. Gamil s'extasie devant la décoration, vient poliment me remercier de le laisser fêter son anniversaire ici sous l'œil fier de son père, et le bruit s’estompe et j’oublie un peu l’invasion de mon lieu de travail quand je croise le regard de Nal’ki. Dix ans, bon sang. Tout n’a pas toujours été tout rose, il y a eu des disputes, des avis divergents, des mini grèves de sexe, mais surtout une tonne d’amour et de bienveillance, de câlins et d’orgasmes. Pardon, ce sont les hormones !
Je souris en le voyant venir s’asseoir au bar et me reluquer tandis que j’essuie un verre.
— Qu’est-ce que je vous sers, Monseigneur ?
— Un mélange de tout ce que tu ne peux pas boire, ma Chérie. Et tu peux même mettre une double dose, Capice ?
— Vraiment ? Tu n’as pas honte ? Et puis, hors de question que je t’embrasse si tu bois de l’alcool, grimacé-je avant de lui tirer la langue. Ça va, tu t’en es sorti avec les enfants ?
S’il a l’habitude d’interagir avec des ados maintenant qu’il est devenu professeur de mathématiques, se retrouver avec des gosses de moins de dix ans, c’est quand même autre chose.
— Attends, tu ne peux pas boire ? s’interpose Jeanne. C’est quoi, cette histoire ? Ne me dis pas que tu es enceinte ?
— Enceinte ? Qui est enceinte ? s’exclame Gaspard.
— Oh bon sang, marmonné-je en me frappant le front de ma paume tandis que Nal’ki me rejoint derrière le bar. Personne n’est enceinte, on en parlera demain. C’est la journée de Gamil, taisez-vous !
— Je n’ai rien dit, moi, sourit Nal’ki, avant de passer sa main dans mon dos pour me coller à lui. Et je n’avouerai pas non plus que j’ai hâte de la voir s’arrondir parce que c’est l’anniversaire de notre neveu. Je suis muet comme une carpe et heureux comme un roi !
Jeanne pousse un cri aigu insupportable et nous saute dessus autant que faire se peut avec son ventre plus qu’imposant. Avoir un bébé n’était pas vraiment au programme jusqu’à il y a quelques mois. Disons qu’observer Nal’ki avec nos neveux et nièces, au fur et à mesure des années, m’a donné envie de le voir pouponner son propre enfant. Je n’avais vraiment pas envie de me retrouver en cloque, j’aurais préféré adopter une dizaine de gosses orphelins, à la base… mais il paraît qu’il n’y a que les cons qui ne changent pas d’avis, hein ! Pour le moment, être enceinte me réussit plutôt pas mal, même si j’ai droit aux nausées matinales et à la fatigue plus importante… J’espère que notre enfant ne sera pas un géant avant même de naître, c’est tout. J’ai plutôt hâte de pouponner aussi, en définitive. Disons que ma relation avec Louane m’a fait envisager les choses différemment, et le monde dans lequel nous vivons est bien plus sain et serein, je suis aussi posée, amoureuse et plus mature. On verra ce que ça donne, toujours est-il que mon charmant époux ne s’est jamais montré aussi surexcité que lorsque je lui ai parlé de concevoir un enfant. Jamais je n’oublierai qu’il m’a dit que plus que son désir d’enfant, il voulait être avec moi et que c’était tout ce qui comptait. Jamais il ne m’a mis la pression.
— Tu rigoleras moins quand elle ressemblera à une baleine incapable de se lever du lit sans toi, soupire Gaspard qui se prend une tape sur l’arrière du crâne par Jasmine. Ben quoi, c’est vrai ! Regarde Jeanne, enfin !
— Fais gaffe, la baleine que je suis va t’écrabouiller, mon gars ! Tu feras moins le malin !
Je ris et me love plus étroitement contre Nal’ki. On a une famille de dingues, mais qu’est-ce que j’adore ces journées où nous nous rassemblons tous !
— Oh, ça va hein. Félicitations, Petite Sœur. L’opération du Saint Esprit, c’est magique !
— Il va falloir que tu te fasses à l’idée, Gaspard, me moqué-je. Nal’ki et moi, on couche ensemble, et putain, qu’est-ce que c’est bon !
— Hé ! Y a des enfants quand même ici ! intervient Jeanne qui montre du doigt le groupe de gosses, occupés à danser sur un vieux tube des années 2020.
— Y a aussi une ado qui n’a aucune envie d’entendre ça.
Louane, planquée derrière Gaspard, se décale en grimaçant. Je sens le corps de Nal’ki se tendre aussi sûrement que le mien et je cherche sa main pour l’enserrer dans la mienne.
— Et qu’est-ce que tu n’as pas envie d’entendre, au juste ? Qu’on a une vie sexuelle ou que tu vas devenir une grande sœur ? la questionné-je doucement.
— Je crois que je suis comme Tonton, moi, je préfère croire au Saint Esprit. Parce qu’un petit frère ou une petite sœur, ça claque. C’est chanmé, même !
Je relâche le souffle que je n’avais pas conscience d’avoir gardé et fais les quelques pas qui nous séparent pour la prendre dans mes bras. Nal’ki se joint rapidement à nous et c’est sous la faible protestation de notre adolescente que nous partageons ce moment de tendresse qui nous rappelle, une fois de plus, que les liens du sang et même l’origine ne sont rien face à l’amour qui nous réunit.
FIN

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