CHAPITRE 11

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CHAPITRE 11

Lundi 12 octobre 2020, 8h02

Miranda répétait le même mouvement depuis plusieurs minutes. Elle prenait une grande inspiration, puis expirait longuement par le nez sans jamais émettre le moindre bruit. La racine qui encerclait sa cheville quelques minutes plus tôt était en train de remonter lentement le long de sa jambe. La pression exercée provoquait une douleur insoutenable, mais elle se forçait à rester immobile. Elle n'avait pas le choix. Un spasme et c'en était finie d'elle.

Si elle était certaine de la taille de la créature qui la retenait prisonnière, elle n'aurait pas hésité aussi longtemps avant de couper net le morceau de végétal. Malheureusement, elle ne parvenait pas à suivre des yeux l'extension terreuse qui se tortillait dans les hautes herbes. Certains légumes pouvaient attaquer de très loin. Toute erreur de jugement pouvait s'avérer fatale, aussi préféra-t-elle rester sur place.

Sa main s'approcha lentement de sa cuisse à la recherche du couteau qui s'y trouvait. Quelque chose bougea dans les fourrés et elle interrompit son mouvement. Des racines plus épaisses rampèrent tout près d'elle, mais ne s'arrêtèrent pas. Impuissant, elle ne put que les regarder s'approcher du phare. Ce qui la retenait savait qu'elle n'était pas seule. Elle aurait aimé hurler aux autres de fuir, mais le temps qu'ils comprennent, il serait déjà trop tard pour eux. N'y avait-il donc rien à faire ? Frustrée, elle refoula le grognement de rage qui voulut s'échapper de sa gorge.

Une racine plus grosse se dirigea dans sa direction et, comme la précédente, remonta lentement le long de ses mollets. Miranda écarta les jambes avec lenteur pour éviter qu'elles ne se retrouvent toutes les deux empêtrées. Cependant, elle pouvait sentir que le nouvel arrivant avait bien plus de force que le précédent. Dès qu'il serra sur son genou, elle ne put réprimer un cri de douleur, avant de poser ses mains sur sa bouche. Trop tard. Bien trop tard. Plusieurs racines derrière elle firent demi-tour. Miranda n'avait plus le choix : elle devait se défendre.

Elle saisit son couteau et, avec le plus de forces qu'elle pouvait, l'abattit sur la racine, y traçant un large sillon. Elle donna un deuxième coup tout de suite derrière et la pression se relâcha. Sans réfléchir d'avantage, elle fonça en direction du phare à toute vitesse. Elle esquiva quelques racines qui s'approchaient trop, mais beaucoup d'autres lui bloquèrent la route. L'entrée du phare grouillait de racines noires, elle ne pourrait pas se faufiler entre elles. D'autres plus épaisses serraient le bâtiment plus haut sur la tour. Des fissures inquiétantes commençaient à apparaître sur les points de pression. Paniquée, Miranda regarda autour d'elle pour une autre issue de secours. Elle pourrait tenter d'atteindre la mer, mais le sable qui la séparait de son objectif la ralentirait trop pour échapper à la grippe des créatures.

Il restait aussi les fenêtre du phare. Mais une fois dedans ? L'édifice ne tiendrait pas longtemps debout. La plante s'acharnait sur la façade et continuait de serrer. Pour autant, elle devait sauver Louise. Elle ne pouvait pas l'abandonner à l'intérieur. Elle ne méritait pas de mourir comme ça. Avaient-ils seulement conscience de l'attaque à l'intérieur ? Forcément, songea-t-elle. Ils devaient sentir les secousses et entendre les craquements du phare dans les hauteurs. Elle l'avait dit : s'enfermer dans une tour avec une seule sortie équivalait à une condamnation à mort. Pourquoi personne ne l'écoutait jamais ?

Elle décida de choisir la mer. Elle n'irait pas très loin, mais elle aurait une chance de s'enfuir plus loin si jamais les plantes la rattrapaient, quitte à se laisser porter par le courant et y rester. Elle s'apprêta à reprendre sa course, quand un craquement plus important que les autres retentit devant elle. Elle écarquilla les yeux alors qu'une fissure gigantesque traversait la base du phare. La plante serra, la tour pencha dangereusement dans sa direction. Au ralenti, les premières briques chutèrent, puis le haut se rapprocha à grande vitesse. Dans un instinct de survie, Miranda tourna les talons et courut droit devant elle. Elle n'osa plus regarder derrière alors qu'une série d'explosion retentissait à mesure que le phare s'écrasait au sol. Une fumée épaisse ne tarda pas à l'envelopper. Elle lui brûla les yeux. Elle ne voyait plus où elle se dirigeait, mais elle savait que si elle s'arrêtait, elle était morte.

Le bruit cessa derrière elle après ce qui lui parut une éternité, remplacé par un silence pesant. Miranda continua de courir. Elle n'entendait plus que sa propre respiration, de plus en plus rauque. Elle n'en pouvait plus. Ses poumons brûlaient, autant à cause de la poussière que de la fatigue. Et soudain, quelque chose la saisit au ventre. Elle hoqueta, le souffle coupé net. Ses pieds dérapèrent dans la poussière et elle s'effondra de tout son long dans les hautes herbes, qui amortirent sa chute.

Elle réalisa vite l'urgence de la situation. Les mêmes racines que plus tôt avaient dû la prendre à revers, ou elle avait couru dans la mauvaise direction. Quoi qu'il en fût, elles la tenaient et serraient si fort leur proie qu'elle commença à manquer d'air. Affolée, elle chercha à saisir le couteau devant elle, mais elle se sentit tirée en arrière. Le mouvement était subtil d'abord, mais très vite, elle sentit la terre défiler sous ses doigts. Elle hurla de terreur. Ses mains cherchèrent en vain à saisir des racines, des arbres, n'importe quoi auquel elle pourrait se raccrocher, en vain. Elle eut beau se débattre, la pression ne se relâcha pas, et d'autres racines vinrent s'assurer qu'elle ne le puisse plus en s'enroulant autour de ses bras et de ses jambes. En quelques secondes, les plantes étaient partout, tirant ses membres dans des directions contraires qui lui provoquèrent une vive douleur.

Et puis il y eut cette racine qui trouva enfin son cou et serra. Elle tenta de résister d'abord. Elle rua, chercha à la repousser d'une main encore libre, mais bientôt, des points noirs dansèrent devant ses yeux. Il n'y avait plus d'entrée d'air. Elle ouvrit la bouche comme un poisson, dans une série de gargouillements silencieux. Le paysage devint flou autour d'elle. Elle ne voyait plus et n'entendait plus rien, si ce n'était un son, quelque part à l'intérieur d'elle.

Boum boum. Boum boum.

Son cœur. Son cœur qui pompait les dernières bouffées d'oxygène et qui paniquait en réalisant qu'il n'y en avait plus d'autre en même temps que son cerveau. Elle se sentit désolé. Pour elle ? Pour son cœur ? Elle ne savait plus. Elle avait l'impression de ne plus être capable de réfléchir de manière ordonnée.

Boum boum. Boum boum.

Est-ce qu'elle avait perdu la vue ou se trouvait-t-elle maintenant dans l'obscurité ? Elle essaya de se concentrer sur ses autres sens, mais son cerveau hurlait toujours pour le manque d'air, l'empêchant de sentir ce qui se tenait sous ses doigts. Sa seule certitude était qu'elle se trouvait dans un milieu humide et grouillant. Un haut-le-cœur - ou était-elle en train de suffoquer ? - la prit alors qu'elle comprenait que des dizaines, non, des centaines de racines lui recouvraient intégralement le corps.

Boum boum.

Elle avait perdu un battement. Ce n'était sans doute pas bon signe. S'étouffer prenait moins de temps dans les films. Elle aurait aimé revenir en arrière pour exprimer son mécontentement aux scénaristes. De toute évidence, ils ne s'étaient jamais faits étranglés eux-mêmes. Elle l'avait toujours dit : laisser la parole aux concernés donnait des œuvres plus cohérentes.

Elle attendit le prochain battement. Il ne vint pas. Elle était toujours consciente pourtant. Un autre bruit vint aussi parasiter sa mort peu glorieuse. Elle n'aurait pas pu le décrire, mais elle le sentait vibrer à travers elle. Quelque chose de... mécanique ?

Alors qu'elle se sentait partir, quelque chose de trop lumineux lui brûla les yeux. Peut-être qu'elle se trouvait dans le noir, finalement. Deux bras passèrent dans le trou et lui saisir la tête. La pression se relâcha subitement autour de son cou. L'air rentra brusquement. Elle ne comprenait plus ce qui se passait autour d'elle. Elle laissa quelqu'un la glisser hors du piège mortel dans lequel elle s'était fourrée. Une fois sûre d'être dehors, de sentir la bise glaciale sur son visage, elle sombra dans l'inconscience.

********

Miranda se sentait bien. Quelque chose de chaud et de doux était posé sur sa poitrine. La chose bougeait, et semblait... lui masser les seins ? Ce n'était pas désagréable. Elle préféra garder les yeux fermés cela dit. Si elle se réveillait et que c'était Connor, elle ne savait pas comment elle réagirait. Lui avait-elle dit qu'elle n'était pas intéressée par les hommes ? Il devrait quand même l'avoir compris depuis le temps. Elle était clairement supérieure à tous les niveaux par rapport à lui de toute manière. Elle sourit.

Ce n'était pas très difficile, de toute manière.

Les mains qui la massaient bougèrent vers son ventre. Cependant, elle sentait toujours une pression sur sa poitrine. Pourtant elle sentait bien deux mains sur son ventre. Elle fronça les sourcils. Oh non. Quelle partie de Connor se trouvait sur sa poitrine ? Avait-elle envie de le savoir ?

Quelque chose de long et poilu passa lentement le long de son visage. Miranda sentit son sang se glacer. Mais qu'est-ce qu'il fout ? Elle n'avait pas envie de savoir. Avait-elle envie de savoir ? Elle ne pouvait pas rester immobile et accepter ça. Elle ouvrit les yeux.

Elle ne comprit pas tout de suite ce qu'était ce morceau de chair rose au milieu d'une touffe de poils noirs qui se trouvait devant ses yeux. Et puis ce qui avait caressé son visage passa une nouvelle fois devant ses yeux. Une queue touffue. Un popotin bien rebondi. Un chat.

— Macron ?

L'animal reconnut son prénom et tourna la tête dans sa direction, ses deux yeux jaunes plongés dans les siens. Il s'avança et frotta sa grosse tête poilue contre sa joue. Perdue, Miranda lui effleura les poils. Le chat tigré ronronna de plaisir. Ce visage familier au réveil lui arracha un sourire.

Elle regarda autour d'elle, à la recherche de Louise et des autres, mais fronça très vite les sourcils. Ce n'était pas le phare. Elle se trouvait dans un appartement en plutôt bon état malgré les deux ans d'apocalypse écoulés. Mis à part quelques traces d'humidité ici et là et les tableaux gondolés, rien ne laissait entendre qu'une gigantesque mare de sauce tomate était passée par ici. Elle posa les pieds sur le sol et posa doucement Macron à côté d'elle. L'animal coopéra, et se mit à lui lécher la main comme pour la réconforter.

Les souvenirs de ce qui était arrivé restaient flous. Elle se souvenait vaguement les racines, la course... Le phare qui s'était effondré. Son sang se glaça. Elle se redressa d'un coup. La douleur irradia dans chacun de ses membres et elle retomba lourdement au sol, sur le ventre.

— Louise ? appela-t-elle d'une voix éraillée qui la surprit elle-même. Tu es là ?

Silence. Rien ne bougea dans la maison. Elle prit appui sur le fauteuil pour se remettre sur ses jambes. Elles tremblaient de manière incontrôlable. Elle fit quelques pas maladroits, son visage déformé à chaque fois qu'elle s'appuyait sur sa cheville droite, qui, elle ne le remarqua que maintenant, avait été bandée. Il ne manquait plus qu'elle se soit cassé quelque chose.

Elle boîta dans l'une des pièces attenantes au salon-cuisine où elle se trouvait. Chambre. Vide. Les draps étaient dépliés et des affaires qui appartenaient clairement à un survivant se trouvaient sur la table de chevet. Bonne nouvelle. Elle n'était pas venue ici par la magie du somnambulisme. Cependant, aucun des objets ne lui parut familier. En fouillant, elle trouva néanmoins un couteau, camouflé dans un tiroir. Elle l'accrocha à sa ceinture et poursuivit sa visite, plus méfiante.

Elle tomba sur une salle de bain, vide, elle aussi. Un seau d'eau se trouvait aux pieds des toilettes. Elle sortit, et s'avança vers la dernière porte, fermée contrairement aux deux autres. Sur ses gardes, elle poussa l'ouverture du bout du pied pour pouvoir y jeter un œil. À sa grande surprise, la porte s'ouvrit en grand sur une petite fille. Les cheveux longs et blancs, les yeux bleus, elle la dévisagea de haut en bas avec circonspection. Miranda réfléchit à toute vitesse. Cette gamine ne pouvait pas l'avoir emmenée ici toute seule.

— Vous êtes levée, remarqua l'inconnue d'un ton neutre.

— Oui. T'es qui ? Et je suis où ?

La fillette sourit et ignora sa question. Elle passa à côté d'elle et se dirigea vers la porte d'entrée. Miranda eut un mouvement de recul en apercevant une arme à feu à sa ceinture. Cependant, la gamine ne se retourna pas. Elle sortit, et la porte claqua derrière elle. Abasourdie, Miranda se demanda si elle ne venait pas de rêver cette apparition. Elle ferma les yeux et prit une grande inspiration pour se calmer. Ça ne répondait pas à ses questions. Elle ne savait toujours pas où elle se trouvait et où se trouvaient les autres.

Des pas se firent entendre dehors. Miranda regagna le salon en traînant la jambe. Elle préférait ne pas se trouver dans un coin si d'autres étrangers débarquaient, ce qui ne tarda pas à arriver. Un homme ouvrit la porte et lui sourit chaleureusement. Mal à l'aise, Miranda recula d'un pas. Macron sauta du canapé et vint se frotter à ses jambes, comme pour la rassurer. La petite fille le suivait de près avec... une autre petite fille aux cheveux blancs qui lui ressemblait comme deux gouttes d'eau. Des jumelles. Elle ne pensait même plus que c'était possible de croiser deux personnes de la même famille aujourd'hui.

— Bonjour, la salua l'homme d'un petit geste de main. Je m'appelle Bernard, et voici Rose et Blanche. On... On ne vous veut pas de mal.

Les yeux de la jeune femme passèrent de l'un à l'autre avec suspicion. L'homme n'avait pas l'air méchant : la cinquantaine, un visage barbu sympathique, les cheveux grisonnants. Il avait un air de Papy Gâteau. Les jumelles en revanche ne lui inspiraient pas confiance. Elles l'épiaient toutes les deux derrière lui, leurs grands yeux bleus trop voyants braqués sur elle. Il y avait quelque chose qui lui donnait la chair de poule. Peut-être la couleur inhabituelle de leurs cheveux. Ou le fait qu'elles ne paraissaient pas cligner des yeux. Flippant.

— Comment je suis arrivée là ? demanda Miranda, qui avait tout sauf envie de leur donner son prénom.

— Vous ne vous souvenez pas ? J'étais en train de faire un tour en ville quand je vous ai vu passer au milieu de la route, traînée par une racine. Un céleri-rave a tenté de vous manger, mais fort heureusement, j'avais Margaret avec moi.

— Margaret ?

Il pointa le fond de la pièce. Une tronçonneuse était appuyée contre le mur.

— J'ai réussi à vous libérer et je vous ai ramenée ici.

— J'étais avec un gr... avec une vieille femme. Louise. On était au phare, vous l'avez vue ?

— Malheureusement non, ma petite dame. Mais j'ai bien été au phare. Il n'en reste plus rien. J'ai trouvé un corps, et ce gros chat là. Quand je l'ai mis dans la voiture, il s'est direct collé à vous. J'en ai déduit qu'il vous connaissait déjà.

— Un corps ? Quel corps ?

— Un homme, assez âgé.

Ce n'était pas Connor. Elle poussa un soupir. Peut-être les autres avaient-ils réussis à s'enfuir. Louise ne l'abandonnerait pas, elle convaincrait Connor de la retrouver, aussi têtu soit-il.

— Sans vouloir vous blesser, les débris du phare sont répartis sur quelques mètres. Je ne sais pas s'il y a d'autres corps. Mais je doute que quoi que ce soit ait pu survivre.

— Elle a survécu, répondit Miranda d'une voix glaciale. Quand est-ce que vous pouvez m'y emmener ? S... S'il vous plaît, se radoucit-elle.

— Demain. Vous avez besoin de repos. Votre cheville était dans un sale état. Je ne pense pas que c'est cassé, mais vous ne devriez pas marcher. Recouchez-vous, je vais aller vous chercher de quoi manger, mada...

— Miranda. Je m'appelle Miranda.

L'homme lui sourit, et la laissa regagner le canapé. Miranda obéit, peu rassurée. Elle refusait de croire que son amie avait péri comme ça. Elle devait avoir trouvé un moyen de s'enfuir. Elle en était convaincue. Macron sauta sur ses genoux et miaula pour approuver ses pensées. Miranda lui caressa la tête, avant de pousser un long soupir.

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