Chapitre 13

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Il se rapprochait doucement de l’eau, il faisait maintenant très sombre. Les nuages cachaient la lune et les étoiles. La ville autour du cratère était calme, comme pétrifié par la catastrophe qui en avait dévasté une partie. Les lampadaires étaient allumés, mais personne ne marchait dans la rue.

Le cratère s’était refroidit, la seule lumière à l’intérieur était Feitan. On aurait dit une braise, rouge et chaude, mais sur le point de s’éteindre.

Les larmes d’Iska ne s’étaient pas taries. Elle n’arrivait pas à s’arrêter, pourtant, ce n’était pas la première fois qu’elle le voyait mourir. Mais là, c'était différent, il allait mourir de son plein gré. Comment cela avait pu se produire ? Un gardien dans un corps d’élémental. Cela n’aurait jamais dû arriver.

Pourtant, Sybile n’avait pas eut l’air si étonné.

— J’aurais deux mots à lui dire, disait-elle à voix haute, les dents serrées.

La tristesse laissait doucement place à la colère. Pourquoi cela devait arriver à Feitan ? Pourquoi lui ? Pourquoi elle ?

Le jeune homme était maintenant à un pas de la Seine. Il ne bougeait plus, mais si Iska avait pu être à ses côtés, elle aurait pu voir la tension de tous ses membres. Un combat violent se jouait dans son esprit. L’élémental refusait de mourir ainsi, le gardien se devait de sauter dans l’eau.

Son pied droit se leva difficilement, Feitan forçait de tout son être, faisant trembler le corps à moitié carbonisé au point que certains morceaux de peau noircie se détachaient pour tomber au sol. La douleur devait être atroce.

Les yeux rivés sur le garçon, Iska ne vit pas immédiatement les flammes qui s’étaient allumées en périphérie du cratère et qui se rapprochaient rapidement. Lorsqu’elles entrèrent dans son champ de vision, la gardienne compris. Les joues encore humides, l’albinos sortit de sa paume de main un révolver, prête à défendre Feitan jusqu’au bout. Les balles fusèrent, abattant quelques ennemis, mais ils étaient si nombreux.

Les élémentals survivants finirent par arriver près du suicidaire.

— Feitan ! hurlait Iska.

Cette fois ce n’était pas pour l’empêcher de mourir, mais pour le prévenir. Trop tard, ils étaient là.

Les créatures attrapèrent le jeune homme pour l’éloigner du fleuve.

— Lâchez le ! criait la jeune fille en courant vers eux.

Elle n’alla pas très loin, arrêté dans son élan par un mur de feu. Qu’allaient-ils faire ? Elle ne pouvait pas les laisser emporter Feitan.

Dans un espace entre deux flammes, Iska croisa le regard du gardien. Il articula soudain : “Tue-moi.” Horrifié, elle secoua vivement la tête, les larmes débordant de nouveau. Le brun répéta de nouveau son dernier ordre et, les yeux remplis, elle leva son arme. Le canon orienté vers le front de son compagnon de toujours, elle hésita. Trop longtemps.

Les élémentals trainaient déjà le sang-mêlé au loin. Son doigt tremblait sur la gâchette, pourquoi ne tirait-elle pas ?

— C’est un ennemi, tire ! Tire ! essayait-elle de se convaincre.

Ils s’éloignaient, sa vision se brouillait de larmes.

Bang.

La tête de Feitan tomba en arrière.

Pourtant, le doigt de Iska n’avait pas bougé d’un minimètre. Le tir venait d’ailleurs, plus précisément de derrière elle. La gardienne ne se retourna pas, elle attendait que celle qui avait tiré approche, incapable de lâcher des yeux le corps de Feitan que les élémentals emportaient. Il était encore mort.

— Il reviendra, chuchota Jackie en passant un bras autour de ses épaules. J’en suis sûr. Il ne nous laissera jamais tranquille.

Entre deux sanglots, Iska esquissa un sourire triste à ses mots.

— Aller, rentrons au Centre, continua la femme.

Elle entraina son amie vers le mur le plus proche et ouvrit un passage. En quelques instants, elles se retrouvèrent dans un hall où les attendait Sybile. Son regard était grave, ses rides accentuaient encore plus cet effet. Iska ne pu s’empêcher de penser qu’elle jouait la comédie. La doyenne n’avait jamais vraiment apprécié Feitan.

Jackie lui fit un contre rendu rapide et sans émotion, puis amena l’albinos dans sa chambre. Depuis sa dernière mort, rien n’avait changé, pourtant, il n’y avait aucun grain de poussière. Son bureau était encore rempli de livres et de notes laissées en désordre. De la taille d’une cellule, la pièce aux murs blancs ne contenait qu’un lit en plus du bureau. C’était son chez-soi.

Son amie était partie, elle ne se rappelait pas pourquoi, ni quand. Depuis, Iska était debout entre les deux seuls meubles de la pièce. Les yeux dans le vague, les derniers événements repassant en boucle dans sa tête. Elle allait encore devoir l’attendre.

— Iska ? Je t’avais dit de t’assoir pendant que j’allais chercher de quoi te soigner.

La voix de la jeune femme l’avait fait sursauter. Cette dernière la guida jusqu’au lit puis l’obligea a s’installer. Elle lui attrapa le bras droit avant de soupirer :

— Il faudra faire des retouches sur tes tatouages, tu n’aurais jamais dû les utiliser avant qu’ils ne cicatrisent.

Jackie détacha doucement chaque doigt qui enserrait encore l’arme à feu, faisant réaliser à Iska qu’elle le tenait encore. Ensuite, elle nettoya méticuleusement les plaies de l’albinos, révélant les dégâts que la transformation avait fait à ses bras.

La fatigue commençait à envahir son corps. Bientôt, elle fut allongée dans ses draps duveteux, Jackie la bordant avec force. Immobilisé ainsi, la situation ramena à elle des souvenirs qu’elle croyait oubliés. Ces derniers se mélangeaient avec la réalité, son amie devenait une grande femme à la peau bronzée et aux yeux verts brillants. Sa voix douce lui chantait une berceuse en une langue oubliée de la population actuelle de la Terre. La gardienne savait qu’elle rêvait, mais cela faisait si longtemps qu’elle n’avait pas vu sa mère, qu’elle se remit à pleurer.

— Mon soleil, que t’arrive-t-il ? s’inquiétait la femme.

— Ne t’en va pas.

— Jamais je te laisserais, Iska.

C’était faux, elle avait fini par mourir, car, contrairement à Iska, la femme n’était pas une gardienne. Pour elle, la mort était définitive.

L’indienne d’Amérique avait ensuite était très seule, après sa première mort, elle avait intégré les gardiens et découvert tout un monde qui lui était inconnu. Mais c’était ça première mission en solo qui l’avait le plus marquée.

Rien de trop risqué, lui avait-on assuré. Pourtant, après avoir pisté un garou pendant presque deux jours, elle s’était jeter droit dans la gueule du loup. Le village africain était calme, probablement trop, mais elle était inexpérimentée et avait envie d’en finir vite. Une vieille femme s’avança soudain vers elle, Iska ne se méfiait pas. Elle pistait un homme.

La jeune femme passa donc rapidement devant la doyenne, ses yeux cherchant dans tout les sens sa cible. Où était-il passé ? Elle allait se retourner vers la vieille pour lui poser la question lorsqu’un poids plein de poils s’abattit sur elle. Des griffes l’acérèrent son dos tandis que plusieurs grondements résonnait autour d’elle.

Elle releva la tête de la poussière, voyant des hommes, des femmes et des bêtes qui l’entouraient.

— Merde.

Iska se trouvait dans un village remplit de garou. Sur son dos, assis confortablement, se tenait la dame qu’elle avait ignorée.

— Que fais-tu ici ?

— Je me suis perdue.

— C’est faux, elle m’a suivie pendant des heures ! Je suis sûr que c’est une gardienne, disait sa cible.

Les gens grognèrent, se transformant doucement et resserrant le cercle. Il y avait tous les carnivores de la région. Lion, guépard, hyène…, elle était foutue.

La femme sur son dos se transforma à son tour, la pression sur son dos augmenta grandement. Sa respiration devint difficile. Elle n’était pas encore assez morte pour ne pas avoir peur et commençait donc a paniqué. Les griffes s’enfonçaient de plus en plus dans sa chair sous les regards des bêtes sauvages. La gardienne allait leur servir de diner.

Tout à coup, la lionne sur son dos s’affaissa sur elle. Du sang chaud coula le long de sa colonne vertébrale. Autour, les garou s’agitaient. Que se passait-il ? La carnivore était morte ? Sous le cadavre, elle ne pouvait pas bouger, ni regarder partout pour voir ce qu’il passait.

Il y avait des cris dans tout les sens, qu’ils soient sous forme animale ou humaine, la plupart fuyaient ou mourraient. C’était une hécatombe.

Enfin, le silence retomba.

Des pas s’approchèrent et une femme asiatique s’accroupi devant Iska.

— Tu es vivante ?

— Oui, grâce à toi. Merci.

— Tu veux peut-être que je te retire la peluche sur toi ?

— Si ça ne te dérange pas.

L’autre ricana et, d’un coup de pied, écarta le cadavre. La jeune gardienne se releva difficilement, les habits pleins de poussière et de sang. Elle n’en menait pas large.

— Première mission ? demanda la sauveuse.

La novice acquiesça avec un sourire gêné.

— Bon, ma propre mission est terminée. Bonne fin de journée.

La femme tourna les talons, laissant sa cadette au milieu des cadavres.

— Attend ! s’exclama Iska. Comment tu t’appelles ?

— Feitan, disait l’asiatique sans se retourner.

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