La maladie de l'Est ou Mal du Désert

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Parmi les fléaux de la Terre d'È, les Bêtes de l'Enfer non comprises, il y a ceux face auxquels l'Être Humain est désarmé. Le Mal du Désert fait partie de ceux-là.



On a souvent évoqué un explorateur, Arad, comme le premier porteur de la maladie. Il aurait entrepris son exploration des montagnes et du désert en l'an cent quatre-vingt après la Guerre Civile. Il aurait quitté la ville de Elberon le quatrième jour du cinquième mois de l'année pour revenir le vingtième jour du dixième mois. Il aurait gravi durant son voyage le Mont Calme et sa voisine l'Eluberlue pour arriver de l'autre côté et parcourir pendant trois semaines le désert. Les habitants d'Elberon racontent en s'accordant sur leur témoignage que le malade a commencé à tousser à répétition. Comme sa maison n'avait pas été nettoyé depuis cinq mois, ses voisins ont considéré une réaction à la poussière. La toux a pris une gravité inquiétante lorsque Arad a commencé à cracher du sang. Et l'homme est mort dans son sommeil deux jours plus tard. Qu'une crise de toux ultime l’a emmené au Ciel n'est pas exclu. Après lui ces voisins ont commencé à avoir les mêmes symptômes, puis les voisins des voisins et ainsi de suite.


Une autre version de l'origine du fléau rapporte qu'au jour anniversaire de l'origine de la ville un nuage grave et sombre a englobé la cité. Il aurait stagné au-dessus des habitations plus d'une semaine, lors du dixième mois de cette année cent quatre-vingt. Avant qu'il ne disparaisse à la fin du mois, des habitants sont tombés malades. Cela a commencé par cette toux emblématique, puis du crachat de sang. Mais d'autres symptômes sont évoqués par les anciens de Elberon, parmi ceux-là des pustules et d'autres champignons apparaissant sur la peau le long des veines. Ces apparitions d'abord bénignes prennent une teinte noire au bout de deux jours puis commencent à être douloureuses pendant le troisième pour mener à la mort le quatrième ou le cinquième jour alors qu'elles explosent. Les explosions par ailleurs projettent dans l'air des particules qui contaminent ceux qui les respirent.



Malheureusement, étant donné qu'il a été impossible, comme je vous entretenais dans la dernière lettre, de l'existence de Arad dans les registres et de ces pustules sur la peau des contaminés, je ne peux être certain quant à l'origine et aux facteurs de diffusion du Mal du Désert. En réalité il est difficile d'établir quoique ce soit aujourd'hui. Nous sommes en deux cent deux après la Guerre Civile, la maladie si gigantesque a-t-elle pu devenir, a disparue de nos contrées. Mais elle est assez fraîche dans la mémoire de ceux qui l'ont connue pour que leurs discours soient notables d'un réel recul objectif.


Aussi je ne sais pas ce que ma mission à Elberon peut apporter de nouveau. J'ai exploré les archives de la ville pour noter un pic de décès dans les années cent quatre-vingt à cent quatre-vingt-trois, en observant la diversité des profils et des âges des défunts. J'ai arpenté les rues, fait le tour des auberges et tavernes à la recherche d'histoires et de témoignages de ce fléau, pour en fait la compilation que je vous ai envoyé la semaine dernière. Puis j'ai dépêché mes élèves dans les autres villes de l'Est à la recherche d'informations équivalentes autre part. Je vous en fait le rapport ci-après : c'est la même chose dans les autres villes. Elles s'accordent à dire que le Mal du Désert vient de Elberon et que la maladie est partie aussi mystérieusement qu'elle est arrivée.



Si j'étais autant raisonnable que ma réputation le laisse croire, j'arrêterai ma lettre ici. Cependant, je dois vous rapporter une dernière chose. J'ai envoyé un de mes élèves dans le village Làt, village aux pieds des montagnes et probablement celui par lequel est passé Arad, si ce personnage a existé, en partant et en revenant de son exploration. L'intuition m'a poussé à le faire, j'avais l'espoir que l'expérience de la maladie dans ce village serait différente.


Mon élève m'a écrit cette lettre que je vous copie. Je garde l’original avec moi et je m’en irai enquêter en partant demain :




"Chère professeure, mon salut



Malgré un accueil des plus ouverts et chaleureux de la part des villageois et paysans de Làt, je n'ai aucun témoignage du Mal du Désert. En réalité les habitants d'ici ne connaissent pas cette maladie, ils ne l'ont jamais connue.


Face à cette surprise, j'ai exploré un temps l'histoire du village en parlant avec l'ancien. Celui-ci avait soixante ans en cent quatre-vingt et était déjà l'homme le plus âgé de Làt, il concentre ainsi toutes les connaissances du village.

Il m'a dit ne pas connaître de Arad et que le village n'a pas accueillis de voyageur depuis plus de cent ans. La caravane allant du village à Elberon est la seule chose qui entre et sort du village.


Mais l'ancien m'a ensuite raconté une étrange histoire. Le premier jour du dixième mois de l'année cent quatre-vingt, celle justement qui nous intéresse, un homme étrange a été vu à l'orée de la forêt au Nord du village. Un paysan dans la pièce a confirmé ce que disait l'ancien, cet homme était habillé d'un long manteau gris, d'un chapeau de même couleur et il marchait à l'aide d'un long bâton. Plus étrange encore étaient ses compagnons, un corbeau et un loup noir, le premier volait en rond au-dessus de lui, le second était assis à ses côtés. L'ancien a ensuite reprit que cette personne a regardé vers l'Ouest puis vers le Sud. La direction prise par le nuage du Désert, non ? Après quoi l'homme s'est retourné pour disparaître dans la forêt.

Le lendemain, continuait l'ancien, une odeur pestilentielle prenait tout le village jusqu'aux fermes les plus proches à des kilomètres à la ronde. Puis l'odeur a disparue comme elle est apparue. Cela semble être les prémices du Mal du Désert. Mais pourquoi le village n’a connu que ce premier stade ? pourquoi pas la suite de la maladie mortelle ?


J’ai raconté à l’ancien l’objet de ma venue. Devant sa perplexité j’ai dit tout ce que je savais à propos du Mal du Désert et l’ancien fut étonné. Il a fini par me dire d’aller explorer la forêt à la recherche de cet étrange bonhomme. Ce que j’ai fait.



Je passe sur ma promenade en forêt qui n’avait d’autres péripéties que la peur de tomber sur une meute de loups semblable à celui qui était aux pieds de l’homme des bois. Les nuits j’entendais des hurlements, mais je n’ai pas fait de mauvaises rencontres. Le mieux que je pouvais faire était de me dirige vers le nord et de suivre cette direction coûte que coûte. Une intuition peut-être, puisque j’ai fini par trouver une cabane construite autour du tronc mort d’un grand chêne. Et j’ai rencontré l’homme des bois assis sur une souche devant chez lui. Il m’attendait.

Il faudrait que je vous rapporte tout ce que j’ai vu, entendu et fais dans les jours suivants avec l’homme des bois. Je crains néanmoins de manquer de papier pour cela. Permettez que je vous fasse un résumé et je vous dirais tout de vive voix à mon retour. Je m’en retourne à Eter dès la fin de cette rédaction. Peut-être dormirais-je un jour de plus au village, quoique je ne le désire pas.


Je reprends mon récit. Je n’ai jamais posé la question sur les origines de cet homme des bois. En fait il ne m’a pas laissé poser beaucoup de questions. Il m’a montré plutôt. Et il m’a dit être un « magicien » comme le dit la Reine. J’ai tout de suite pensé à ces vers de la Prophétie qui parlent justement des magiciens : « Les magiciens auront alors raison / Le monde sera élémentaire à tout va / La pensée percera la matière / Elle deviendra rudimentaire » sans pour autant en comprendre le sens. Puis un brasier est apparu dans la main de l’homme sans que rien ne l’enclenche. Mieux encore, l’homme ne se brûlait pas, le feu se trouvait comme au-dessus de sa main et en même temps à sa propre volonté. C’est du moins ce qu’il m’expliqua ensuite. Pour lui, le monde est fait de particule, tout, êtres vivants comme non vivants, matière comme vide et la volonté de l’esprit, ou la « pensée », permet de manipuler ces particules. En connaissant cela, tout est possible puisque tout se transforme.

L’homme des bois continuait ainsi en me confiant que le feu est en fait constitué de matières extrêmement excités, qui surchauffent. Alors pour créer un feu, il suffit de forcer de la matière, n’importe laquelle, à chauffer, à s’exciter, et tout peut devenir feu.


Avec ma stupéfaction j’ai posé la question : « Comment manipuler ainsi la matière ? ». A quoi le magicien me répondit qu’il faut d’abord la visualiser. Visualiser les infimes mais nombreuses particules qui constituent la matière. Si nos yeux humains ont des limites, il faut alors imaginer ce qui se trouve hors de notre portée. Une voix que l’on visualise ce que l’on veut, la pensée peut agir et ordonner à l’environnement. L’air, continuait-il en projetant sur moi comme une tempête de vent concentrée, est fait de particule tout à libre et qui vont chercher à parcourir tout l’espace jusqu’à rencontrer un obstacle. Pour créer un courant d’air ou même une tempête il faut réussir à capturer très vite une partie de ses particules libres et influencer une course unique dans la direction voulue. Voilà un courant d’air. Pour une tempête il faut multiplier ça en insufflant des vents contraires, des vents froids et des vents chauds qui se rencontrent.


Je me rends compte que j’entre tout de même en détails malgré moi. Je pense que cela suffira pour ma lettre. J’appris d’autre de ces tours de passe-passe, si j’ose les appeler ainsi, au cours des trois journées passées avec l’homme des bois.

Je n’appris du Mal du Désert qu’une chose, ce magicien pense qu’un magicien du Désert est responsable de la maladie. Quand je lui ai posé la question sur cette personne et sur une quelconque population du Désert, il m’a répondu : « Il y a des mystères dont on ignore tout ».


Je rentre très vite à Eter pour vous faire part de cela.


Votre élève, Salut."

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