Graver la légende

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 Sur le bord de la route, une borne en pierres attire le regard des curieux. Nous sommes sur la route qui part de Elberon la Grande en direction du pont de l’Avin, à a peine quelques kilomètres de celui-ci. Il n’y a pas de borne dans cette région, les voyageurs n’ont pas besoin de ces repères, le vaste espace sans collines, vallons ou autre éléments géographiques qui bouchent la vision, permet de voyager sans se perdre.

Revenons sur la borne pour y lire son inscription : « Ici est mort un graveur d’épitaphe ».


 Il s’appelait Benji, né dans un des villages de cette région reculée dont personne ne retient les noms, et sa vocation n’est apparu que tardivement. Il y avait d’autre priorité qu’exercer l’art qui l’a fait voyager à travers le monde : acquérir de quoi se nourrir et nourrir sa famille. Très jeune il a aidé aux champs et à la pêche en été, puis avec les bûcherons et les mineurs et carriers à l’Est lors des hivers. Durant un hiver particulièrement vivace, les mines ont été inspecté par une équipe de Elberon la Grande et le Haut-Commissaire aux Mines du royaume. Benji avait pour tâche à ce moment-là de pré-tracer avec un petit burin les ciselures pour les équarisseurs. Il revenait également à la fin de la chaîne pour faire la signature sur les blocs de pierre. Ses doigts agiles d’enfant ainsi que la rigueur et la patience qu’il mettait dans ces œuvres lui donnèrent une modeste réputation, mais une réputation tout de même.

Tant et si bien que le Commissaire aux Mines a prit le temps de le rencontrer lors de sa visite. Et l’a emmené avec lui en lui proposant le métier de graveur. De ce fait, il devait rejoindre l’école des graveurs, la plus proche était celle d’Elberon. Il a accepté la proposition à une condition : qu’il n’ait l’obligation d’aller à cette école que cinq jours sur sept, voulant consacrer les deux jours qui restent à sa famille et aux travaux des champs, de la pêche, des bois et des mines. Il inventait là la semaine de travail avec son repos obligatoire, bien qu’il n’ait jamais eu cette ambition.


 Ainsi, il est parti à l’école des graveurs d’Elberon la Grande, en cent vingt-huit du Troisième Empire, et il n’y a pas grand-chose à raconter sur cet épisode. Il a été élève pendant dix puisqu’on peut sortir des archives son bulletin d’adhésion ainsi que son diplôme de fin d’études mais il n’y a rien entre les deux. Si ce n’est cet épisode de pandémie qui a touché la ville en cent trente-huit. Le quartier où se situe l’école a été particulièrement touché et un on-dit dans le quartier tient en légende qu’il n’y a eu que deux rescapés de la maladie du Désert dans l’école, son Directeur, Hanlo, et un jeune élève. Ce dernier n’est pas clairement identifié, mais Benji est le seul de sa promotion à sortir vivant de l’école dans les archives.

A partir de là, Benji passe quelques contrats pour la ville, selon les livres de compte, pour tailler des épitaphes pour les fosses communes, l’une ou l’autre creusée pour la pandémie. Mais très vite, à partir de cent quarante, il n’y a plus aucune trace de lui dans les registres. Pour autant, ce n’est pas sa fin, car on retrouve Benji dans les archives militaires. L’année cent quarante n’est pas une glorieuse année pour le Nord-Est, juste à la sortie de la pandémie, bien qu’elle fasse encore malheur, même dix ans après, car Elberon la Grande soulève un conflit dans le Nord, avec Gilor et Dalon notamment. La ville subit de lourdes défaites dans ses assauts. Benji a été recruté pour suivre les bataillons avec les croque-morts pour assurer l’ensevelissement des tués et leurs stèles funéraires. Notre apprenti graveur fait ainsi un grand travail et un travail à la chaîne. Il se fait surtout connaître et reconnaître parmi les grands capitaines et généraux d’Elberon la Grande et même au-delà, dans le camp adverse.


 Mais il reste, lui, utilisant cette image véritable, dans l’ombre des stèles. On ne connaît pas le graveur et écrivain des derniers mots de ces grandes personnes de notre histoire. Pire encore de sa vie, de ses pensées, idées, ses rêves ? Il a passé des années à graver les derniers mots de la vie de centaines d’êtres et nous ne pourrions pas lui rendre la pareille ?

Il a eu une bonne vie, ce graveur, cela j’en suis persuadé et de la grandeur de son existence, j’ai voulu écrire quelques mots à la mémoire de mon arrière-grand-père. Plus que graver le graveur, je voulais graver sa légende.

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