soupçons

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  Le vieux docteur,la mine imbue, esquissa une explication :

  « J’aurai bien du mal à le comprendre, tous les participants ont subi les tests de personnalité, le lecteur cérébral, sans compter qu’on a vérifié leurs casiers. On a même interrogé leurs subconscients. Si quelque chose avait éveillé nos soupçons, ils auraient été recalés. Je connais chacun d’entre eux, je les ai longuement « étudiés » et je peux assurer qu’aucun ne me semble suspect. Je doute qu’un cinglé se cache parmi nous.

  — Vous avez examiné leurs antécédents, et vraiment rien de louche ?

  — Non, franchement non. Je pense que nous le saurions si quelqu’un ici avait des affiliations avec le gouvernement vénusien. Bien sûr, certains ont leurs petites manies et leurs conceptions bien personnelles, mais je n’ai rien remarqué de singulier.

  — Et le pilote précédent ? Celui qui a vécu la semaine d’isolement en leurs compagnies, n’a-t-il fait aucun rapport ?

  — Si évidemment, en fait tout le monde donnait ses impressions sur l’expérience à chaque jour qui passait. Une manière d’observer leur évolution que l’on calquait sur leurs IRM afin de déceler des pathologies liées à la quarantaine. Et non, l’ancien pilote, Mourat Pakbec n’a jamais fait de rapport compromettant. Pour lui, tout le groupe était sain d’esprit dans cette équipe. Mais il avait du mal avec le roboticien.

  — Pourquoi, parce qu’il est décérébré ?

  — Il n’est pas décérébré, simplement voilà, il est asymbio. C’est une caractéristique recherchée dans sa profession.

  — C’est bien ce que je dis, qu’il s’est retiré son putain de symbiote, faut être dérangé pour ça, m’écriais-je.

  — Je te ferais remarquer qu'au siècle dernier cela faisait beaucoup. Les gens n’étaient pas prêts à accepter notre véritable nature et nombreux sont ceux qui se sont tués

  — Rouruan n’est pas un vieux fossile, je ne saisis pas pourquoi certains de nos contemporains ne tolèrent pas le fait d’avoir un locataire dans la tête. Pourquoi d’un jour à l’autre quelqu’un décide que sa conscience puisse être un fardeau ?

  — ça me révulse un peu aussi, mais on ne peut pas le juger pour ce qu’il fait de son corps sinon, je devrais également te faire des remarques sur ton implant. Et puis il faut reconnaitre que ce type d’individu est utile, même si… ça donne la nausée.

  — J’ai du mal à le considérer comme humain, quand il parle on croirait une machine.

  — Il est situé entre les deux. Cela fait de lui un élément incorruptible, conclut-il en me tapant sur l’épaule.

Je ne cherchai pas à en ajouter. Au lieu de cela, je lui tournai le dos et examinai sa capsule.

  — Qu’est-ce que tu fais ?

  — J’inspecte les lieux.

  — Mais puisque je te dis que je n’y suis pour rien !

  — Justement, cela me confère un point de référence par rapport aux autres caissons, si tu es effectivement au-dessus de tout soupçon et que ta capsule ne présente pas d’anomalies, je pourrais la comparer aux prochains et déterminer qui s’est éveillé durant les dernières heures, donnais-je comme explication. »

  Faire le tour de ce caisson ne m’apprit rien de spécial, aucun détail apparent. Vinzent resta là à me regarder l’air interrogateur sans bouger d’un pouce, lui ayant demandé de demeurer assis sur son caisson pendant que je cherchai des indices, prenant soin de lever la tête de temps à autre pour surveillais ses réactions.

  Finalement, je décidai de reporter mon intention sur la console de survie, parcourir les fichiers me prit bien vingt minutes, mais je ne trouvai rien d’anormal, car la dernière résurrection enregistrée, datait d’à l’instant.

  Si ce n’est que la réserve de liquide réfrigérant étant vide, la pompe indiquait un bar au lieu de six, conformément à ce qui se produisait lors d’une procédure de réveil. J’ignorai purement et simplement le cardiogramme, qui ne me donnerait de toute façon aucun renseignement utile.

  Je me dirigeai donc vers mon propre caisson pour constater, là aussi, ma réserve sèche, et surtout que ma console précisait dans sa mémoire une ouverture précédente remontant à deux heures.

  Exactement comme je m’y attendais, si quelqu’un avait pu atteindre le poste de pilotage, il devait obligatoirement s’être saisi de ma carte d’accès ; restait plus qu’à trouver quel caisson s’était déclenché au même moment.

  Je fis ainsi le tour des sarcophages, suivis de près par le professeur, pour observer que la seule autre capsule, dont la pression de trois bars et demi, vidée de son stock, était sans surprise celle de Rouruan, alors que quelques instants plus tôt j’avais fait part à mon ami de mes soupçons le concernant. Et comme pour confirmer mes craintes, la console corroborait que l’ouverture avait eu lieu exactement au même instant que ma capsule.

  Le doute n’était plus permis à présent, c’était bien ce simulacre d’humain qui était à l’origine de nos problèmes. Mais pourquoi ne pas avoir masqué ses traces, son manque de moral le rendait-il aveugle devant l’énormité de son geste ? Ou était-ce une menace non dissimulée ?

  Lorsque je questionnai Vinzent à ce sujet, il fut surpris par ma découverte :

  « Bon sang, mais pourquoi diable, un chroniqueur se donnerait-il cette peine ? De tous, c’est celui qui a le moins de raisons à nous envoyer par le fond, qui plus est un individu imperméable aux désirs humains.

  — Peut-être n’était-il pas si réfractaire que ça, ou même pas un vrai membre de l’ordre des archivistes, décriais-je.

  — Il n’aurait quand même pas pu falsifier des pages de sa vie entière et nous leurrer ainsi comme…

  Il s’interrompit, les pupilles de ses yeux s’agrandirent.

  … pourquoi, n’y ai-je pas songé avant, ses schémas mentaux. Il peut dominer son cerveau mieux que quiconque, aurait-il pu nous montrer uniquement ce qu’il voulait bien nous exposer ?

  — C’est possible un truc pareil, tricher au scanner ?

  — En théorie, les archivistes ont un haut degré de contrôle psychique et émotionnel. Tu as déjà remarqué comment ils restent stoïques, peu importe ce qu’ils observent.

  — Comme tout le monde, en fait je déteste voir leurs tronches frigides de journalistes à la métavision, on dirait des androïdes qui nous présentent les dernières nouvelles du soir.

  — Et bien, il s’avère que j’ai pu, auparavant, étudier leurs capacités à nuancer le comportement inconscient de leur cerveau à une suggestion, certains par exemple, tel que ce synesthète de profession pouvaient utiliser des lobes supplémentaires pour réagir à un stimulus qui n’emploie normalement qu’un seul lobe précis, comme exploiter une image grâce au goût et à l’ouïe en plus de la vision. Mais je doute que l’un d’entre eux ne soit jamais apte à nous tromper totalement. Nous devrions soumettre Rouruan à des tests pour nous en assurer.

  — Avons-nous le matériel requis ici ?

  — Je crois au moins avoir vu un Scanner X et du matos d’analyse neurale dans l’infirmerie, en tout cas ça devait faire partie des fournitures.

  — Parfait. Je soutiens qu’il est nécessaire de tous les réveiller en même temps, ne prenons pas de risque, trouve juste une excuse pour lui faire passer un examen, je ne sais pas moi, sort lui un truc de docteur.

  — Je suis docteur en astrophysique, pas médecin.

  — M’en fout, débrouille-toi pour lui tirer les vers du nez, prend le en filature jusqu’aux chiottes s’il le faut.

  Et après réflexion, en me retournant, j’ajoutais :

  — Tiens, tant que t'y es, fait des tests à tout le monde, moi compris, ça ne sera pas plus mal, mais seulement une fois qu’on aura fini avec la réunion de famille.

  — Bien sûr, bien sûr. »

  Il se tourna vers la console de Rouruan, se tenant le dos et grommelant.

  Quant à moi, j'interpellais mon Majordome afin qu'elle rapporte la situation au Cephaler, pas question de faire une réunion dans la serre. On irait voir s'il allait bien plus tard.

  Deimos, patientant dans l’ombre depuis des temps immémoriaux, pouvait bien attendre qu’ils aient tiré cette histoire au clair.

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