Chapitre 1 (1/2)

7 minutes de lecture

Quelques mois plus tôt


Il y avait foule ce jour-là. Meril fixait distraitement de son point d’observation les déambulements dans la ruelle remplie de stands. Elle était assise sur le trottoir chauffé par le soleil de fin de matinée. Le brouhaha ambiant et le spectacle qu’offraient la foire de fin de printemps avaient le don de l’apaiser. Alors qu’elle se laissait bercer par l’instant, elle remarqua un enfant qui pleurait à chaudes larmes. Sa mère venait de refuser de lui acheter un jouet en bois. Les oreilles de la jeune femme captèrent les voix fluettes d’un groupe de jeunes paysannes arrivées à sa hauteur. Les demoiselles avaient sorti leurs plus beaux habits pour l’occasion, mais le manque de bijoux et leurs mains calleuses ne pouvaient mentir. Elles travaillaient dans les champs.

La petite ville de Romeli, située à flanc de montagne était entourée de plantations, de fermes et plus loin, de l’immense forêt d’Abadon. La ville n’accueillait que très peu d’étrangers. Les rares visiteurs arrivaient par le cours d’eau qui passait au travers de la forêt puis par charrette. Il était généralement cas de marchands venus alimenter la ville en produits secondaires. Romeli était assez autonome pour subvenir à ses propres besoins. Coupée du reste du monde, on y vivait sans se soucier de ce qui se passait à l’extérieur. L’épaisse et grande foret d’Abadon agissait comme un rempart. Les quelques chemins cahoteux permettant de la traverser valaient plusieurs jours de marche et leur accès était contrôlé par la garde du vieux comte Alivar, qui gouvernait la ville d’une main plus que laxiste. Il fallait dire qu’il ne se passait pas grand-chose à Romeli. Alors quand les festivités arrivaient, la ville était en effervescence.

Une ombre vint cacher le soleil qui baignait sur Meril et sa chevelure dorée. Elle fronça les sourcils.

  • Je te trouve enfin !

En entendant cette voix grave familière, le visage de la jeune femme se détendit. Elle se releva du trottoir à regret et épousseta sa longue jupe rouge sang.

  • Eh bien, j’ai failli m’endormir en t’attendant, fit-elle nonchalamment à l’intéressé.

La silhouette à contre-jour souleva les mains dans un signe d’excuse.

  • J’étais pourtant parti dans les temps, mais le travail m’a appelé.

L’homme sortit finalement de l’ombre et le visage d’Ortis se matérialisa, un sourire malicieux étirant ses lèvres.

  • Ça n’a pas dû être productif, vu le peu de temps que tu as passé avec elle, lâcha Meril en s’avançant vers lui.
  • Du tout, on a rendez-vous ce soir, après le bal.

Ce fameux bal signait le début de la foire, qui s’étalait sur une semaine entière. Toute la bourgeoisie y était invitée.

  • Oh je vois, ta nouvelle cliente doit être très aisée alors.

Ils se mirent en marche, longeant les stands. La guitare d’Ortis rythmait leurs pas en tapant doucement sur son dos.

  • Effectivement, mais nous verrons bien, je ne préfère pas m’emballer.

Ortis était un musicien de rue. Il n’avait pas de don particulier, mais sa maîtrise de l’instrument ne pouvait être que saluée. Cela ne suffisait malheureusement pas à subvenir à tous ses besoins. Il avait alors commencé deux années plus tôt à courtiser des dames de la bourgeoisie, pour étoffer ses revenus.

  • J’ai croisé Nikolas en arrivant. Il souhaite changer d’emplacement pour le reste de la journée. Il va nous laisser le sien, poursuivit-il.

Ils arrivèrent devant ledit emplacement. Un homme aux cheveux grisonnants se tenait devant son chevalet, peignant de ses doigts colorés par la peinture, le portait d’une vieille dame assise devant lui. Chaque élément de sa main était utilisé dans la réalisation de son art, c’était sa spécialité. Ses œuvres étaient magnifiques et on pouvait le regarder travailler ainsi pendant des heures, tant son talent était curieux et hypnotisant. Lorsque Meril et Ortis se postèrent à côté de lui, la dame braqua ses yeux sur eux. L’homme la rabroua gentiment.

  • Si vous bougez, il va m’être difficile d’immortaliser votre beauté dans toute sa perfection.
  • J’ai toute confiance en vous mon cher ami, mais je crois que ces enfants vous attendent, fit la dame d’un signe du menton dans leur direction.

L’homme se retourna vivement, les mains barbouillées de peinture relevées et scruta les jeunes gens.

  • Oh, vous voilà ! Je vous laisse la place dans quelques minutes, le temps de finir de peindre ce magnifique modèle.

La vieille dame fit mine de rougir.

  • Petit flatteur, dommage que mon mari ne soit plus de ce monde pour vous entendre.
  • C’est bien dommage en effet ma chère.

Cette dernière esquissa un sourire, rêveuse.

  • Ah, mon petit Matis, si vous saviez à quel point il était jaloux, ses réactions étaient tellement drôles et excitantes…

Après avoir débarrassé ses affaires, Nikolas signala à Meril et Ortis qu’il allait se placer à l’autre bout de la foire, la lumière y étant meilleure l’après-midi.

  • Allez, je vous laisse les jeunes, profitez bien de votre journée.

Ils se saluèrent. Les jeunes gens le regardèrent s’éloigner avec tout son attirail. Ortis ramassa une cagette vide qui traînait sur le trottoir, la déposa à l’arrière de l’emplacement et s’y installa. Il prit la guitare attachée à son dos entre ses mains.

  • Prête ?

Meril se plaça au centre de l’emplacement, les sens en alerte.

  • C’est quand tu veux, mon grand.

Ortis se mit à gratter doucement les cordes de son instrument, son acolyte étant la seule à l’entendre dans le vacarme ambiant. Ses doigts devinrent progressivement plus énergiques, imposant un rythme à sa musique. Le son attira irrésistiblement Meril. Elle ferma lentement les yeux, inspira profondément, se laissant bercer par la mélodie. Elle se baissa en allongeant les bras, puis le buste, faisant glisser dans le même temps sa jambe tonique sous sa longue jupe. Ortis arrêta brusquement son jeu, laissant dans son sillage une frustration chez sa camarade, le monde semblait déjà se ternir de nouveau, le froid s’engouffrait déjà dans son esprit. Elle essaya de chasser ce sentiment car elle savait que la musique allait reprendre d’un instant à l’autre.

  • C’est parti !

Le son reprit de plus belle, bien plus puissant. Meril ondula du corps en se redressant, tapa du pied sur le sol pour se caler au rythme imposé par son compagnon. L’enivrement la regagna sans difficulté. Elle adorait ce moment où elle rentrait doucement dans une transe fiévreuse. Seulement quelques notes et elle était comme transportée, les yeux clos, sourire aux lèvres, son corps répondant à l’appel de la musique. Elle sentit les gens s’arrêter à leur hauteur, le chuchotement de son nom confirmant son impression.

En tant que danseuse de rue depuis son enfance, la plupart des habitants de Romeli connaissait Meril. Elle ouvrit les yeux avant de les refermer. Bien la foule s’épaissit. Elle entendit le cliquetis des pièces que l’on venait de déposer sur le châle qu’elle avait mis au sol devant l’emplacement. Elle se tourna vers Ortis et hocha la tête à son attention. En réponse, la musique devint brute, piquante. Le son s’amplifia. Meril se mit à tournoyer sur elle-même, brassant l’air de ses mains et se calant sur la cadence plus rapide. Ses longs cheveux blonds voletèrent tout autour d’elle. Sa danse devint intense, des gouttelettes se formèrent dans le creux de ses reins. Le monde se volatilisa, il n’y avait plus qu’elle et cette joie de se sentir libre le temps du spectacle.

Alors que le soleil déclinait, la foule se dispersa. Meril arrêta de danser à regret, pantelante. Les deux compagnons prirent quelques instants pour se reposer et partirent ensuite se rafraîchir à la taverne située à quelques minutes de marche. Ils poussèrent les portes et remarquèrent que les lieux tamisés accueillaient peu de monde comparé à l’accoutumée. Les habitants commençaient à rentrer chez eux afin de se préparer pour la soirée festive qui s’annonçait.

Ils s’assirent au comptoir et commandèrent deux chopes de bières.

  • Alors, la journée a été fructueuse ?

Le serveur, que les jeunes gens connaissaient depuis plus d’une année, leur posa la question en s’accoudant au comptoir. L’heure était creuse pour lui.

  • Oui il y a beaucoup de monde pour un premier jour, on a également quelques étrangers égarés.

Egarés, c’était bien le mot. La ville était si loin des côtes et surtout de la capitale, Chima, que l’on ne pouvait que se demander pourquoi les étrangers se risquaient à venir au sein de leur terre, à part pour marchander. Romeli était réputé pour être un endroit coupé du monde, certains venaient donc s’y perdre lorsqu’ils ne voulaient pas être retrouvés.

Leurs chopes terminées, Meril et Ortis saluèrent le serveur et retournèrent déambuler dans les ruelles. Ortis marchait d’un pas tranquille aux côtés de Meril, ne passant pas inaperçu. On pouvait remarquer les regards de désir qu’il suscitait de la part des dames qu’ils croisaient. Il leur répondait d’un sourire malicieux. Il fallait dire qu’Ortis était un jeune homme séduisant. Son long corps possédait une musculature sèche. Sur son visage enfantin, une vieille cicatrice se dissimulait au niveau de sa tempe derrière une de ses mèches de cheveux bouclés. Il était l’ami de Meril depuis plusieurs années et elle savait que si on s’attardait sur son visage, on pouvait y discerner un regard voilé par les traumatismes d’un passé qu’il aurait sans doute préféré oublier.

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