Chapitre 6 - Esclave

7 minutes de lecture

Lorsque Sven revint à Drakenvik, son premier geste fut de se présenter devant les norlandais et de jeter une poignée de pièces d’or en criant « Wergeld ! ». Les plus rapides s’empressèrent de les ramasser, mais cette somme n’était qu’une petite avance et le geste un simple symbole… mais un symbole de succès.

Son second geste fut de se rendre au hall de son père et de libérer le captif. Attaché depuis deux jours à un « piquet pour chiens de garde », il n’avait pour ainsi dire rien mangé, si ce n’est que les quelques tranches de pain noir offertes discrètement malgré l’interdiction du Jarl.

Officiellement, la guerre était terminée…

En pratique, il valait mieux rester prudent.

Thornald était resté en retrait, estimant qu’il valait mieux laisser la gloire au fils du Jarl que de le mécontenter une fois de plus… La blessure de Hjarulf le faisait encore souffrir et ni Audrun ni sa mère, la femme aux corbeaux, ne pouvait assurer qu’elle guérirait un jour.

Son premier soin fut de rendre visite à ses otages (qui le resteraient jusqu’au paiement de la rançon) pour leur annoncer leur prochaine libération. Il s’adressa en particulier à Adelaïde.

— Votre père est dur en affaire, j’ai eu toutes les peines du monde à le convaincre qu’il valait mieux une petite rançon qu’une énorme guerre. Enfin, votre présence parmi nous a facilité les choses et… oh… il y a au final un seul détail qui pourrait vous chagriner : il m’a assuré qu’il n’existait aucune baronnie de Mortegarde et s’est presque fâché en me demandant qui lui avait raconté une histoire pareille… j’ai préféré ne pas répondre. Bref, ils ne rachèteront pas la petite Mathilde, elle reste donc ici.

— Mais elle ne représente rien comme otage, protesta-t-elle, vous n’avez aucune raison de la garder. Qu’allez-vous donc en faire ? Une esclave ?

— Hjarulf l’a offert à Grimm Askeirsson, le marchand, en échange de ses services pour le décompte de vos rançons, il va certainement la revendre. De toute façon, esclave ici ou serve chez votre père, je me demande ce qu’il y a de pire… Certains des vôtres étaient disposés à vous sacrifier pour poursuivre la guerre.

— Certainement pas mon père ! proclama Adelaïde.

— Hem… je voulais vous dire autre chose, mais j’hésite.

— N’hésitez pas, j’en ai déjà tellement entendu…

— Je vous apprécie beaucoup.

— Sérieusement ?

— Oui.

— Je vous savais déjà pirate et menteur, mais j’ignorais que vous étiez également coureur de dot.

— Vous n’y êtes pas, je suis déjà marié… je vous apprécie beaucoup pour la manière dont vous vous êtes comporté ici, même si ça n’a pas toujours été facile : j’ai apprécié votre clémence envers ce gamin qui aurait pu vous tuer si je ne l’avais pas arrêté, votre courage et même votre petit mensonge pour Mathilde. Et je suis vraiment désolé…

— Désolé pour ?

— Lorsque vous quitterez votre prochain couvent, ce sera pour épouser un homme qui ne vous mérite pas.

— Qu’en savez vous ?

— J’ai vu un échantillon.

— Soit, conclut-elle, vous m’appréciez beaucoup… cela n’ira pas plus loin, mais je suis contente de le savoir et… hé ? Mais qu’est ce qu’ils font avec Mathilde ?

Deux hommes étaient venu chercher la petite et l’emmenaient à l’extérieur.

— Ah, ce sont les commis de Grimm Askeirsson, répondit Thornald. Ils vont la conduire à la vente aux enchères. Je vais devoir y aller.

* * *

Grimm Askeirsson était un des marchands les plus influents de la région, la plupart des denrées commerciales achetée ou pillée se vendait par son intermédiaire. C’était un corpulent rouquin d’une cinquantaine d’années qui avait été, en son temps, l’époux de la femme aux corbeaux. Après leur séparation, il avait eu la garde d’Audrun Grimmsdottir jusqu’à ce qu’elle soit en âge de prendre la mer et elle avait tout naturellement rejoint l’équipage de Thornald ou se trouvait Hrafn, son compagnon.

Mathilde fut poussée sur une estrade, Grimm lança aussitôt les enchères. Il n’avait pas l’habitude de vendre des esclaves, mais c’était une marchandise comme une autre et il faisait de son mieux pour la mettre en valeur.

— Nous avons ici une ravissante esclave bretonne, en excellente santé et parfaitement disponible pour… heu… tous les travaux que vous pourriez lui demander. Mise à prix à quatre bracelets d’argent.

— Excellente santé ? demanda le vieil Egvar, surnommé « le bouc ». Qu’est-ce qui nous le prouve ? Montre nous ses chevilles, qu’on voie si elle n’est pas boiteuse… Je monte à cinq bracelets.

— Soulève ta jupe, ordonna Grimm. Juste un peu…

— Plus haut, plus haut ! Réclama Egvar.

En même temps, il s’était approché de l’estrade et se pliait en deux pour en voir davantage, mais il fut dérangé dans cette occupation par une violent bourrade de Thornald qui venait d’arriver.

— Salut Egvar ! Proclama-t-il. Salut Grimm… je la prends ! Dix bracelets d’argent, et le spectacle est terminé.

— Salut Thornald, répondit le marchand. Bonne journée pour les affaires… Qu’est-ce que tu vas en faire ?

— Tu poses la question chaque fois que tu vends de l’hydromel ? Gros malin ! Que veux-tu qu’on fasse d’une esclave ? J’ai du travail pour elle.

— Oh, pas de problème… tu en fais ce que tu veux !

— Descends de cette estrade, petite ! commanda Thornald en s’adressant à Mathilde. Je t’emmène. Je ne voulais pas que tu sois achetée par quelqu’un qui ne parle pas breton, je ne vois vraiment pas ce qu’il aurait fait de toi.

— Où est ce qu’on va ? demanda la fillette d’un ton las.

— Chez moi… dis donc, tu as l’air fatiguée.

— Je suis fatiguée, j’ai mal dormi et j’ai eu froid.

— Ça s’arrangera avec un peu de repos.

— Et puis…

— et puis quoi ?

— Je suis toute seule… je voulais rester avec Adelaïde.

— Oh… je vois…

Le guerrier se gratta la tête, comme s’il espérait réveiller une idée dormant sous son cuir chevelu.

— Les petites filles ne sont pas faites pour vivre dans un couvent, on ne s’y amuse pas tous les jours. Et si tu étais partie avec Adelaïde, tu te serais retrouvé chez son père…

— Et alors ?

— Et alors, hem… on en parlera plus tard. Mais si ça peut te rassurer, tu ne resteras pas toute seule bien longtemps. Dans peu de temps, tu regretteras peut-être d’avoir autant de monde autour de toi.

Informés du retour de leur capitaine, les hommes de Thornald, ainsi qu’une partie des nordique, l’attendaient à l’entrée du hall pour lui faire une haie d’honneur. De part et d’autres du chemin, des rangées de guerriers brandissaient épées et boucliers qu’ils frappaient en cadence sur son passages.

— haï, haï, haï… haï, haï, haï !

Mathilde s’accrocha désespérément à la main de son « propriétaire ». Ces hommes étaient effrayants. Elle pouvait distinguer ceux qui faisaient partie de l’équipage de Thornald à leurs boucliers ornés d’un triskel turquoise sur fond écarlate.

— haï, haï, haï… haï, haï, haï !

Arrivé au seuil de son hall, Thornald se retourna.

— Mes amis, s’exclama-t-il, merci de votre accueil. Nous avons perdu certains de nos frères, mais nous avons obtenu réparation, et plus important encore, nous avons obtenu la paix. Comme Sven, le fils du Jarl, vous l’a annoncé en arrivant, une partie de la rançon sera versée en wergeld à ceux qui y ont droit et le reste sera distribué aux guerriers qui ont permis ce dénouement : la moitié pour les possesseurs de navires, puis une part par guerrier et deux parts par trustman. Je vous demande à tous de respecter notre nouveau traité avec les bretons, il n’a pas été facile à obtenir. Adressez-vous au Jarl ou à n’importe quel capitaine s’il y a un abus d’un côté ou de l’autre. En ce qui me concerne, je vais me reposer et prendre quelques dispositions, ma prochaine expédition pour le Kytar partira dans vingt jours, j’ai de la place pour huit nouveaux rameurs et j’offre trois bracelets d’argent par homme. Adressez-vous à Arnjolf si vous êtes partant.

Puis il poussa la petite à l’intérieur et entra à sa suite. À l’extérieur, les hommes se dispersèrent. Ceux du Norland rejoignirent leur baraquements, ceux de Drakenvik leurs familles, les guerriers célibataires entrèrent dans le hall à la suite de Thornald, ainsi que ses trustmen.

Mathilde reconnut parmi eux Arnjolf le Berzerker, Audrun la magicienne, Hrafn, Brynjolf le berzerker et quelques autres, mais curieusement, Galdlyn la sorcière rouge n’était pas présente.

Alors que les hommes s’installaient aux tables du Grand hall – moins grand cependant que celui de Hjarulf –, Thornald entraîna Mathilde au fond de la pièce ou une épaisse porte de bois séparait la partie du hall réservée au capitaine et à sa famille.

Un feu brûlait dans une immense cheminée, une servante de dix-sept ou dix-huit ans s’ennuyait souverainement en surveillant une toute petite fille.

— Regarde Mathilde, demanda Thornald. Cette petite, c’est Helvorg, ma fille. La grande, c’est Birgit, elle devrait normalement faire un tas d’autre chose, mais je ne peux pas laisser la petite sans surveillance, alors j’aimerais que tu t’en occupes… elle ne parle pratiquement jamais, mais je vois bien qu’elle écoute et qu’elle comprend tout ce qu’on lui dit. Tu restes toujours près d’elle, tu l’aides à prendre ses repas et tu la promènes deux fois par jour, le matin et l’après-midi… ah, il faudra aussi que tu apprennes le nordique. Tu apprendras en même temps que la petite… elle est très maligne et elle t’aidera.

Mathilde soupira de découragement… comment un bébé pourrait l’aider à apprendre une langue ?

— Ne t’en fais pas, ajouta Thornald. Je suis sûr que tu te débrouilleras très bien.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Vendarion d'Orépée ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0