9. Recrues

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Le Train à hyper-vitesse me permit d’arriver une demi-heure en avance. Le Premier Régiment Luxembourgeois d’Artillerie Motorisée se situait à quelques pâtés de maison de la tour de l’Etat Major. Je n’eus pas à marcher plus de dix minutes avant de pouvoir pénétrer dans le bâtiment. Le hall était très similaire, neutre de blanc et beige. Le majordome flotta vers moi. Il scanna mon visage en même temps et me salua :

— Bonjour soldat Fontaine. Vous êtes invitée à patienter dans l’attente de l’arrivée de toutes les recrues.

Je m’avançai vers les fauteuils encadrés de deux cactus puis attendis l’arrivée de mes futures camarades. J’étais un peu stressée, car je ne savais pas si dans le lot des délinquantes ou déséquilibrées, j’arriverais à renouer une amitié comme j’avais pu avec Mako. Au pire, je savais que je pouvais m’entendre avec Héloïse Carlier.

La première à me rejoindre fut une hispanique. Elle s’assit en face de moi sans dire un mot. À son visage fermé, je supposais qu’elle n’était pas ici de son plein gré. Elle était plus âgée que moi de quelques années. Ses cheveux noirs étaient coupés très courts, et ses tempes rasées à blanc. Son débardeur découvrait des bras musclés à rendre certains hommes jaloux. Le silence ne me gênait pas, je n’avais jamais été très bavarde et aucun sujet ne me serait venu.

Les talons sur lesquels était perchée la seconde recrue martelèrent le sol. Elle était à peine plus grande que moi, à peine plus épaisse et s’approchait de la trentaine. Ses cheveux dorés, coupés à hauteur la nuque, avait été coiffés avec le même soin que sa tenue. Son air pincé dans son tailleur bourgeois trahissait une nervosité à fleur de peau. Elle n’avait pas le profil que j’imaginais dans un ESAO, mais ça m’arrangeait, elle n’avait ni l’air de la psychopathe, ni de la zinzin nymphomane. Elle nous salua d’un regard poli et s’assit en bout de rangée à distance de nous. Elle joua nerveusement avec ses mains manucurées en regardant droit devant elle.

La quatrième à arriver, chaussures roses assumées en accord avec ses lèvres fluo, avait des longs cheveux châtains qui volaient sur ses épaules, des yeux maquillés avec du strass doré. Si la fille hispanique avait le profil de la délinquante, celle-ci avait celui de la zinzin nymphomane. Elle semblait avoir mon âge. Sa nervosité se cachait derrière un sourire naturel qu’elle arbora en s’approchant de nous.

— Bonjour ! Vous êtes pour l’instruction des ESAO ? — Nous opinâmes du menton. — Cool ! Ben je m’installe avec vous ! Enchantée, moi c’est Caitlin, direct d’Irlande.

— Mercedes, répondit la musclée en face de moi.

— Et tu viens d’Espagne ? s’enquit Caitlin.

— C’est ça.

— Clarine, dis-je. Luxembourg, enfin origine France.

— Et toi ?

La blonde pincée tourne les yeux vers nous comme si elle ne se sentait pas incluse dans la conversation :

— Dalhia. France. Paris pour être précise.

— Cool ! On est déjà copines ! s’exclama Caitlin.

La Parisienne lâcha un sarcasme :

— Ce n’est pas comme si on allait former un groupe de théâtre ou de badminton.

— D’où l’importance d’être copines, sinon, ça ne va pas être drôle, insista à raison Caitlin.

— Vrai, articulai-je.

Le majordome accueillit une grande blonde de plus d’1,80 mètre, desservie par un pantalon de jogging trop petit en longueur et un blouson trop grand. Derrière elle, entra une fille aussi petite que moi, typée magrébine, aux hanches larges. La grande blonde se laissa tomber parmi nous après avoir laissé un regard méprisant nous juger. La petite magrébine leva la main

— Bonjour. C’est la formation ESAO ?

Caitlin répondit tout de suite :

— Oui. Salut ! Moi c’est Caitlin.

— Sadjia.

— Tu viens d’où ?

— Allemagne.

— Et toi ? — La grande et forte blonde tourne un regard désintéressé. — Comment tu t’appelles ?

— Kirsten. Danemark.

Elle n’avait pas l’air de vouloir faire la conversation, c’était déjà bien qu’elle acceptât de se présenter. Caitlin n’insista pas, et en croisant mon regard, me fit un grand sourire.

— On n’est pas très nombreuses.

Je haussai les épaules. Les sessions devaient normalement compter une vingtaine de recrues. Une femme rousse et fine s’avança en treillis, béret crème vissé sur la tête. Elle avait un regard clair perçant qui ne faisait nul doute de son autorité. Je ne lui donnais pas loin de la quarantaine.

— Garde à vous ! — Nous nous levâmes, formatées par notre année de service. — Je me présente. Adjudant-chef Charlène Morvan. Je vous souhaite la bienvenue au Premier Régiment d’Artillerie Motorisée, l’unique à former des pilotes d’ESAO en Europe. Le bâtiment est partagé avec le génie d’infanterie, l’artillerie blindée et avec l’Ecole des Officiers. Je vous arrête tout de suite si vous espérez être bien accueillies dans les soirées des futurs officiers. Ici vous êtes des putes, des cochonnes, des mal-baisées, ou tout autre mot qui leur conviendra. Vous découvrirez bien plus tard que ceux qui vous respecteront sont ceux qui ont eu les fesses sauvés par un ESAO. Pour ma part, j’ai servi plus dix ans en opérations sur différentes planètes, j’ai buté plus de deux mille Homards à moi seule, donc je ne veux pas de chichi, ni entendre dire que ce que je demande est impossible. Je ne suis pas une garce, je sais que ce n’est pas facile, donc si vous appliquez ma seule règle : pas de chichi, alors on sera copines. Ça vous va ?

Nous opinâmes toutes du menton. La température donnée, elle nous tourna le dos, nous invitant implicitement à la suivre. Elle n’avait pas l’air méchante, mais on sentait l’expérience dans sa voix écorchée, marquée d’une autorité indiscutable. Je préférais ça à une instructrice qui n’aurait eu aucun vécu. Tout en marchant le long du couloir, elle nous dit :

— La journée d’aujourd’hui se décompose ainsi. Nous allons récupérer vos uniformes, vous déposez vos affaires à votre chambre, vous vous habillez, et vous vous rendez ensuite à la visite médicale. Ensuite, nous irons manger un morceau. Pour faire simple, vous n’avez pas besoin de connaître tout du Régiment. À l’étage, vous avez le baraquement. Aile Est c’est pour les soldats. Le bout de l’aile Ouest, c’est pour les nymphos dans notre genre. Les branleurs d’aspirants et officiers supérieurs, c’est au second. La cantine est au centre du second étage.

En lisant les affichages pendant que nous marchions, je commençais à mémoriser certains panonceaux pour me repérer. Quelques plantes vertes ornaient les couloirs immaculés, comme des jalons de guidage. Nous longeâmes la cour intérieure, en direction des ateliers d’exosquelettes, puis nous arrêtâmes au magasin. Derrière une grille, un robot-poulpe faisait des allers retours. L’adjudant-chef nous ordonna de décliner grade et nom de famille. La magrébine s’avança en premier.

— Soldat Sadjia Birki.

Les tentacules préhensibles du robot se saisirent d’une boîte en aluminium sur ses étagères et la posa sur le comptoir. Nous passâmes les unes après les autres. L’instructrice nous dit en même temps que nous découvrions le contenu du paquetage :

— Votre plaque militaire vous donnera accès au dortoir. Vous déballerez dans votre chambre.

Nous la suivîmes en revenant sur nos pas, puis sitôt la porte du rez-de-chaussée franchie, nous grimpâmes les larges escaliers menant au premier étage. Nos pas nous emmenèrent loin dans un couloir clairsemé de portes si proches les unes des autres qu’elle révélait l’étroitesse des pièces. Au bout du couloir, l’adjudant-chef présenta sa plaque d’identification à la porte coupe-feu qui isolait les quartiers des pilotes à celui du reste du Régiment. Nous pénétrâmes dans la partie de l’aile qui nous était réservée.

— Prenez vos aises et enfilez vos uniformes. Pantalon de treillis, t-shirt, chaussures, plaque militaire et béret. Démaquillées.

Dans l’étroite chambre que nous partagions se trouvaient six lits doubles, avec les couchettes l’une au-dessus de l’autre. Des étagères encastrées dans le mur faisaient face au pied des six lits et aucune d’elles ne pouvait être fermées. Nous n’étions pas nombreuses, mais un lit était déjà occupé près de la fenêtre. L’Espagnole aux cheveux courts et moi entrant en dernière, nous nous retrouvâmes devant le même lit côté porte. Ça m’arrangeait si je devais me lever la nuit, et ça me rappellerait le service militaire, donc je proposai :

— Tu veux que je prenne en haut ?

— Je n’ai pas de préférence.

Je posai mon sac au sol, rangeai mes sous-vêtements et affaires de toilettes sur l’étagère, mes vêtements civils au plus haut. Puis, je découvris le contenu de la boîte. Il y avait quatre uniformes pour le quotidien, un costume de cérémonie, ainsi que quatre tenues de sport. Je pliai mes affaires civiles, ne gardai que ma culotte colorée. Un grand plaisir me saisit en renfilant le treillis crème moucheté de tâches éparses de nuances de gris. Au niveau du cœur, sur le t-shirt immaculé était imprimée l’emblème de l’armée de terre. Je resserrai mon chignon afin qu’aucun cheveu ne dépassât, puis vissai le béret beige sur ma tête, brodé de l’insigne de la division ESAO : une panthère robotique. Le smart-data posé sur l’étagère en mode miroir, mes plaques militaires reposant sur mon buste, je me sentais extrêmement fière de porter cet uniforme. Bien plus que me ramener à mon service, c’était le symbole de la concrétisation de mon rêve : faire partir de la grande famille militaire. Je fis un selfie-souvenir.

Le temps que Caitlin et Dahlia eussent enlevé leur maquillage, l’instructrice fit irruption. Nous nous présentâmes au garde à vous devant les têtes de lit. L’adjudante nous dévisagea, jeta un œil à l’heure sur son smart-data, puis nous dit :

— Vos chambres se trouvent au-dessus des hangars des ESAO. L’escalier vous permet de descendre aux douches qui vous sont réservées. Chaque armoire contient des serviettes propres. C’est l’heure de la visite médicale. Je vous montre la buanderie en passant.

Tout en suivant notre guide, j’observais les affichages publicitaires, comme si l’armée avait besoin de renforcer l’idée de bon choix dans l’esprit de ses soldats. Il n’y avait aucune publicité pour les pilotes d’exosquelette. Des bataillons d’infanterie, des escadrons de chasseurs, des commandos, des logisticiens, mais pas nous. C’était curieux quand on savait les publicités affichées dans les rues. L’adjudant-chef regarda sa tablette puis annonça :

— Maillard, t’es la première. Ensuite Fontaine, Muñoz, Johnson, Jorgensen, Birki.

Dahlia la Parisienne inspira profondément puis posa ses doigts sur l’interrupteur. La grande croix verte qui ornait la pote de l’infirmerie s’ouvrit en deux et fit disparaître notre camarade. L’adjudant-chef s’éclipsa :

— Je reviens dans une demi-heure.

Nous attendîmes silencieusement, aucune de nous n’avait envie de parler. De mon côté, ça me faisait plaisir de nous voir toutes dans le même uniforme, comme une seule équipe. Ça m’avait tellement manqué !

Après dix minutes, une voix de femme appela :

— Suivante.

Mes pieds avancèrent sans réfléchir, et mes doigts appuyèrent sur l’interrupteur. La grande croix verte qui ornait la porte de l’infirmerie se fendit, m’invitant à entrer dans la pièce claire. Une femme blonde, aux yeux bleus très écartés, se leva de son bureau vide. Sa mâchoire était carrée, son cou robuste et son menton relevé de manière hautaine.

— Soldat Clarine Fontaine ?

— Oui, Madame.

— C’est major. Major Barkle, médecin en chef du régiment.

— Oui major.

Sa main me désigna la table d’auscultation.

— Déshabillez-vous et asseyez-vous.

Je n’appréciais pas le ton méprisant qu’elle avait. Je notai la présence de l’uniforme de Dahlia posé sur la chaise avec une petite culotte brillante soigneusement pliée, alors je me dévêtis en posant mon uniforme plié sur le sol. Contrairement à Dahlia, je gardai mon sous-vêtement. Je m’assis sur le banc d’auscultation, un bras en travers des mamelons, avant que le médecin ne relevât la tête de sa tablette. Un robot s’avança, un tentacule se plaqua sous mes omoplates, un autre sur ma poitrine gauche, m’obligeant à reculer ma main. Par habitude je respirai profondément. Le médecin observa les données relevées par son assistant artificiel sur sa tablette. Ce dernier détacha ses tentacules, enserra mon bras pour prendre ma tension, puis une aiguille en sortit pour me percer la peau. Lorsqu’il se retira, une perle de sang se forma sur mon triceps. Dans un souffle léger il prit de la hauteur pour parvenir à hauteur de mon visage. La lumière de son capteur m’aveugla et mes paupières se fermèrent par réflexe. Le major ordonna :

— Gardez les yeux bien ouverts.

Tandis que le robot procédait à ses tests oculaires, la femme avança jusqu’à moi et observa mes canaux auditifs. Le robot s’éloigna enfin, laissant ma vue troublée par des mouches lumineuses quelques secondes.

— Enlevez vos chaussettes, votre culotte, et montez sur la balance.

— C’est néce…

— Le poids précis.

Un sourire sadique se dessina à l’angle de sa bouche. Sentant qu’elle ne me laissait pas le choix, j’ôtai mes chaussettes et ma culotte avant de me positionner sur la balance, une main devant l’entrecuisse, un bras en travers des tétons. Le cadran afficha 44,7 kg.

— Avancez vers moi. — Elle passa dans mon dos. — Mettez les bras le long du corps.

Ses pouces gantés passèrent sur mon cou, puis, elle détailla ma colonne vertébrale.

— Touchez vos pieds. Gardez le dos droit. Parfait, pour moi tout semble correct. Votre gynécien est le caporal Carlier. Elle va implanter votre catalyseur utérin, dès qu’elle aura fini avec le soldat Maillard.

Elle s’assit à son bureau, tandis que j’attendais comme une idiote, elle appela la suivante sur l’interphone, et l’Espagnole entra à son tour.

— Soldat Mercedes Muñoz ?

— Oui.

— C’est : oui, major.

— Oui, major.

De l’autre côté de la porte, Dahlia lâcha un long cri de douleur.

Qu’était-ce le catalyseur utérin ? À quoi servait-il ? À quel point était-ce douloureux ? La panique fit accélérer mon cœur. Mercedes se dénuda complètement, par mimétisme. Elle avait les mamelons sombres, un idéogramme différent était tatoué à la naissance de chacun de ses seins. Ses abdominaux étaient aussi bien dessinés que ses biceps. Son aine arborait le tatouage de deux symboles du gamète féminin entrelacé. Ses yeux s’assombrirent en croisant les miens, alors je déviai le regard. Ce n’était pas moi qui aurais jugé son orientation sexuelle, moi qui n’en avais pas. Elle alla s’asseoir et tandis que le robot faisait ses premières mesures, la porte s’ouvrit. Dahlia redressa les épaules en nous voyant, un bras en travers de la poitrine, le haut du pubis couvert d’un large pansement. Le major s’impatienta :

— Dépêchez, Fontaine.

Je passai la porte. La pièce était étroite, avec une simple table gynécologique. Héloïse ne m’entendit pas, occupée à la paillasse. Elle portait son t-shirt, son béret couleur crème, ainsi que le pantalon de treillis. Visiblement, elle stressait :

— L’inserteur, le transmetteur, les tampons…

— Hem !

Elle sursauta, puis en me reconnaissant, un immense sourire embellit ses traits.

— Hé ! Comment ça va ?

— Stressée, répondis-je honnêtement.

— Faut pas, j’ai eu dix sur dix à l’examen sur cette partie. Bon c’était des morceaux de mannequin en silicone mais je te promets que je serai appliquée et que je vais prendre mon temps. Avec Dahlia, ça s’est très bien passé. Tu peux fermer la porte.

On se tutoie, supposai-je. Je fermai la porte, rassurée de revoir ses grands yeux ronds, comme si c’était une amie de longue date. Après tout, elle était la personne avec qui j’avais été physiquement la plus intime de toute ma vie. Bien qu’inquiète d’avoir entendu Dahlia crier de douleur, je lui répondis :

— Je te fais confiance.

Elle enfila des gants de vinyle rose, remonta son masque de tissu sur le visage. Ses yeux me jugèrent de bas en haut puis désignèrent le fauteuil d’auscultation. Je m’assis sur la matière tiède, posai mes jambes une à une sur les étriers, nauséeuse. Ignorer en quoi consistait l’implantation me faisait trembler. Elle s’en inquiéta :

— T’as froid ?

— Non.

— Si t’es mal à l’aise, on peut parler. Ça sert vachement, ça permet de penser à autre chose.

— Je n’ai pas beaucoup de sujet de discussion.

Elle coucha le dossier de la table, écarta les étriers pour ouvrir grands mes cuisses, alors je questionnai :

— En quoi ça consiste ?

— Je vais te poser le catalyseur qui permet, comme son nom l’indique, de concentrer ton énergie vers le transmetteur de l’ESAO.

— Ça…

— Ça fait mal ? On m’a dit que non, juste le passage du col qui peut être désagréable. Et après le catalyseur, c’est juste une épingle, tu ne la sentiras pas.

Je me serais enfuie si j’avais su ça avant de m’engager. Elle tira une potence jusqu’au-dessus de mon abdomen. Elle essuya la paroi du capteur, puis vint le poser à même la peau. Mon anatomie intérieure apparut en trois dimensions sur un écran. Héloïse s’assit sur le tabouret, satisfaite.

— Avec ça, pas d’erreur possible, et tu vas pouvoir suivre.

Et si je n’avais pas envie de suivre ? Lorsqu’elle écarta délicatement mes grandes lèvres, je fixai le plafond, préférant penser à autre chose, comme aux futures missions.

— Tu ne devrais pas être gênée comme ça, t’as une très jolie chatte.

La voix nouée, je me forçai à lui répondre :

— Si tu le dis. T’es la première à la voir.

— Pas de petit copain ou petite copine ?

— Non.

— T’as jamais eu de visite gynécologique ?

— Je n’en ai jamais eu l’utilité.

— Comment est-ce que je peux te rassurer ou t’aider à te détendre ?

— Juste, fais ce que t’as à faire.

Ses deux pouces vinrent étirer mes nymphes. De deux doigts, elle maintint ma vulve ouverte. L’index de son autre main parcourut mon intimité avant de glisser sans effort dans mon vagin. Elle s’étonna presque :

— Humide ?

— On dirait, répondis-je gênée.

— C’est une réaction physiologique normale, même rassurante pour une future pilote.

Son index ressortit. Elle étala du gel sur le bec d’un speculum en plastique, puis le glissa délicatement en moi. C’était loin d’être aussi plaisant qu’une carotte ou un transmetteur d’ESAO. Je gardai une respiration profonde pour ne pas me contracter. Elle écarta les parois de mon vagin, puis éclaira à la lampe deux secondes. Elle ne parlait plus et une veine sur son front fit transparaître son stress. D’une longue pince, elle se saisit d’un tampon blanc qu’elle imbiba d’un produit désinfectant. Elle l’introduit dans le tunnel qu’elle s’était créé, puis tamponna le col de mon utérus. Son silence traduisant sa concentration, je ne voulais pas le briser. Mes yeux cherchaient des observations à faire sur la pièce et s’arrêtaient régulièrement sur l’écran, par curiosité.

Héloïse inséra un tube en plastique très fin puis exerça une pression délicate pour le faire franchir la porte close de l’utérus. Une douleur légère me tira une grimace. Sur l’écran, Héloïse suivait la progression délicate, jusqu’à parvenir dans la chambre utérine. Elle expira profondément, abandonnant l’instrument en moi. Elle se saisit d’une boîte qu’elle ouvrit. À l’intérieur se trouvait une épingle argentée avec une tête conique et un pied en forme de perle. Elle l’étira pour que le cône s’écrasât et entrât dans le tube. Avec une baguette elle le poussa à l’intérieur de la paille. J’oubliai un instant ma pudeur pour observer avec attention le déploiement de l’objet. Héloïse s’arrêta juste à la sortie du tube, puis secoua ses mains tremblantes. Elle se parla à elle-même :

— Allez ! Déploiement ! Tu l’as déjà fait !

Elle descendit du tabouret, fit un tour en expirant, puis sans se rassoir, elle reprit l’insertion. La tête conique se déploya et vient s’évaser sur les parois basses de mon organe. Héloïse retira alors le tube tout en maintenant le poussoir. Au fur et à mesure, les parois du col se refermèrent sur la tige. Lorsqu’elle finit, il ne restait plus que la perle qui dépassait dans le vagin. L’épingle se rétracta comme un ressort et la perle vînt se loger dans le goulet que formait le col. Héloïse lâcha un grand soupire.

— Mission accomplie ! T’as eu mal ?

— Pas du tout.

— Deux sur six !

Elle inséra un nouveau tampon au bout de sa pince, désinfecta rapidement, puis pointa une lampe pour s’assurer de visu que la perle était bien placée.

— J’ai un miroir. Tu veux le voir ?

— Non merci.

Elle referma le spéculum puis le retira délicatement avant de le jeter dans l’évier et de s’en féliciter :

— Hé ! Hé ! Panier !

Elle passa une lingette sur ma vulve. Terriblement gênée, je m’abstins de la repousser car elle était dans son rôle. Elle vira le bras avec le scanner 3D, et alors que je me redressais, elle me dit :

— Attends ! Ce n’est pas fini !

Elle déploya un second bras, et apposa la tête sur mon abdomen.

— Ça va chauffer un peu.

Je ne dis rien, alors qu’une brûlure urticante naissait, comme si des centaines d’aiguilles venaient s’enfoncer à toute vitesse. Héloïse garda un œil sur le minuteur. Je serrai les dents et les doigts autour de la table, me jurant de ne pas hurler comme Dahlia. La chaleur devint intense, comme si on frottait des orties sur ma peau. Mes yeux ne lâchaient pas le minuteur, mes ongles s’enfonçaient dans la housse, prêts à virer l’appareil sitôt compte à rebours à zéro. Heureusement, la gynécienenne retira le canon à la seconde même. Une fresque ronde de brûlures rouges était dessinée sur ma peau. Héloïse étala de la crème réparatrice et grasse en quantité.

— C’est quoi ça ?

— Un antivol. C’est l’un des secrets que nos ennemis n’ont jamais percé. C’est un code de pixels uniquement visible à la lumière noire. Ton ESAO sera paramétré avec ce code.

Héloïse pansa la zone marquée et me dit en relevant le siège :

— Dans deux heures, tu pourras l’enlever, tu ne sentiras plus rien. Maintenant, c’est fini.

Elle baissa son masque sous son menton et se dirigea vers la paillasse. Je m’assis, laissant passer un haut le cœur, et mis pieds à terre tandis qu’elle rangeait les outils dans le coffre à ultraviolets.

— Je croyais que c’était un implant sous-cutané qui permettait à l’ESAO d’identifier un pilote.

— Allons, Clarine ! Soixante pour cent de la population humaine a un implant de domotique. Nos ennemis savent comment les dupliquer pour faire croire à une machine qu’ils sont humains. Donc maintenant, ça ne démarre plus sans le tatouage codé, ni sans ça.

Elle tapota son bas ventre.

— L’implant utérin ?

— Oui.

— Il commande quelles fonctions de l’ESAO ?

— Aucune. Il transmet l’ensemble du ressenti de tout ton corps au moteur de l’ESAO. Il y a dix ans, nos ennemis ont envoyé des carcasses d’ESAO nous combattre. Ils avaient remplacé le pilote par des réacteurs nucléaires, et l’implant sous-cutané qu’ils avaient arraché du bras des pilotes. En gros, c’étaient des kamikazes avec des autorisations de franchir nos lignes. Alors on a inventé la clé uniquement visible avec un scanner à lumière noire. Et, deux ans après, une chercheuse japonaise qui essayait de comprendre les différences entre hommes et femmes a découvert que la moindre sensation de plaisir, même la plus petite pouvait être transmise. Le catalyseur utérin, capte toutes les vibrations et il fait de ton corps l’unique moteur. On continue à les appeler ESAO, mais les modèles de ces six dernières années sont en réalité des ESAS, des exosquelettes à alimentation sexuelle. Ils n’ont aucun moteur d’appoint, et ça nos ennemis ne comprennent pas. Et c’est aussi pour ça qu’on ne fait plus d’ESAO pour les hommes.

— Je croyais qu’il en existait encore.

— Des vieux modèles, qui servent à la manutention. Mais en combat, ils ont toujours souffert de ce problème. Un orgasme et hop, faut attendre pour le suivant. Donc niveau armement déjà ça offre des perspectives limitées, et après avoir tiré, le niveau de plaisir descend si vite que même s’ils avaient un utérus, on a calculé qu’il ne leur restait que dix minutes d’autonomie. Avec le stress du combat, le temps de récupérer un nouveau tir… Laisse tomber.

— Les hommes ne combattent plus ?

— Je sais qu’il y a des ESAO Scorpions, des tireurs d’élite qui opèrent encore. Mais je sais qu’il y a une Sauterelle qui les accompagne. Elle te déploie une sphère d’énergie qui carbonise tout sur dix kilomètres autour d’elle. — Elle retira ses gants — Le colonel Paksas t’a choisi un Furet.

— J’aime bien son look. C’est celui avec le drone ?

— Tu connais ?

— Un peu. Il est bien ?

— Tu veux rire ! C’est le must ! C’est les éclaireurs, donc il a plein d’option. Il court à quatre pattes, il est équipé d’armes blanches pour le corps à corps. C’est fait pour les missions solos. Le colonel a dit ce matin que tu n’étais pas faite pour le travail d’équipe et qu’il fallait te mettre à une fonction qui te corresponde.

— D’accord.

— Et franchement, il n’est pas du tout en mauvais état. Ce qui était pourri, c’était la sellerie, du coup, tu vas avoir une sellerie dernière génération toute neuve ! J’ai passé la première heure à vérifier que chaque raccordement fonctionnait encore. La sellerie est arrivée ce matin ! Je suis trop contente ! C’est la folie ! Faut trop que je te le montre !

— Je finirai bien par le voir.

Je passai la porte. Caitlin descendit de la table d’auscultation. Mercedes s’avança vers Héloïse, le pas peu assuré.

— L’implant ne fait pas mal, dis-je.

La porte se referma sans qu’elle me répondît. Je ramassai mon uniforme, le revêtis, puis sortis sans saluer le major. Je retrouvai les autres et m’adossai au mur. L’instructrice n’était pas encore revenue. Si la brûlure du tatouage de sécurité me chauffait encore, je ne sentais aucunement présence du catalyseur utérin. Sadjia présenta les paumes de ses mains.

— Alors ?

— Alors quoi ?

— Ça s’est bien passé ?

— Très bien.

— Mais vas-y, donne des détails, je flippe trop, me confia Kirsten la géante scandinave.

Je regardai Dahlia qui avait encore les larmes aux yeux, et je compris qu’elle avait été incapable de leur raconter.

— Ben. Elle met une sorte d’épingle qui fait catalyseur dans l’utérus. Donc… euh… Elle fait ça avec une grande paille en plastique qu’elle met et puis elle pousse le catalyseur dedans. Ce n’est pas douloureux.

— Ils ne l’avaient pas dit qu’ils faisaient ça, marmonna Kirsten.

— C’est pour ne pas effrayer, supposa Sadjia.

— Et après, il y a un tatouage à l’encre invisible. C’est rapide, mais c’est ça qui brûle.

— Où ? s’inquiéta Sadjia

J’indiquai ma braguette et la grande blonde dit :

— Là où on t’a obligé à te raser la touffe.

Elles marquèrent un silence. Dahlia regarda le mur, La scandinave feignit la nonchalance, Sadjia se mordit la lèvre de nervosité.

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