21. Saut stratosphérique

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Cinq heures moins dix minutes du matin. Je quittais le mess avec mes camarades, l’estomac rempli d’un maigre petit-déjeuner. Tout en longeant les hangars vides, humant l’acier froid et le béton humide, mon esprit ne pensait qu’au nouvel exercice. Mon corps, lui, s’humectait à la simple évocation de retourner à bord du Furet.

Nous pénétrâmes dans le vestiaire et nous nous changeâmes sans un mot. C’était devenu une habitude. Je fus la première à quitter le vestiaire dans la fraicheur matinale. Le fond de l’air était humide, froid, mais j’attendis patiemment que chacune de mes camarades fût placée face à sa porte. L’instructrice passa à ce moment dans le couloir. Elle s’arrêta une seconde devant moi. Malgré la chair de poule, je ne bougeai pas, gardant le regard fixe et plus droit que mes tétons saisis par le fond glacé de l’air. Elle poursuivit vers mes camarades au moment où ma porte s’ouvrait. Je m’avançai vers Héloïse.

La gynécienne déverrouilla mon exosquelette et fit descendre la selle. Les bras croisés devant ma poitrine douloureuse de froid, je suggérai :

— On peut commencer par les lentilles ?

Héloïse claqua la langue sur le palais comme acceptation et s’approcha. Une fois mon interface oculaire bien placée, elle se recula pour me laisser enjamber la sellerie. Mes fesses tremblaient sous l’assaut de la fraîcheur. La gynécienne m’accoupla à la ceinture pelvienne. En moins de deux minutes, la selle remonta et m’isola dans l’ESAO. Peut-être était-ce ma propre odeur qui envahissait l’habitacle, mais je me sentais comme dans un cocon de confort et d’intimité. La température devint rapidement plus douce et les souvenirs des jours précédents s’entremêlaient tant que je n’eus nul besoin d’aide mécanique pour alimenter en énergie les membres robotiques. J’avançai sereinement vers le début de la piste d’entraînement.

Dans les minutes qui suivirent, les pas lourds des autres ESAO frappèrent le béton les uns après les autres pour se placer à mes côtés. La voix du colonel Paksas chanta dans nos oreilles :

— Bonjour Mesdemoiselles. J’espère que vous avez bien dormi.

— Bonjour ma colonel. Très bien dormi, répondit Caitlin.

— Parfait. Des transporteurs vont venir vous chercher. Le caporal Carlier va vous télécharger les zones d’attaque, comme si elle les recevait du commandement, donc uniquement quand elle en aura connaissance. Pour débarquer sur ces zones, vous allez être larguées depuis la haute atmosphère. Afin de ne pas être repérées, vous devez déployer vos paragravités à mille mètres de votre objectif. Au-dessous, vous risquez le crash ou un freinage trop brutal qui vous briserait les os. Evidemment, si la cible est située au-dessus du niveau de la mer, vous devez agir d’autant de mètres plus tôt. Si Carlier se plante dans les calculs, je les rectifierai. Si vous stressez et ne déployez pas vos paragravités à temps, Carlier pourra le faire à distance. Vous n’êtes pas notées, mais votre objectif premier est de parvenir à atterrir sur zone. Votre objectif secondaire sera d’ouvrir le feu sur la zone précise avant d’avoir touché le sol. Fontaine, veuillez collationner :

— Objectif premier, ouvrir les paragravités selon les consignes d’altitude envoyées par Héloïse, atterrir sur la zone définie. Objectif secondaire, toucher une cible avant d’avoir atteint le sol.

— Des questions ? Muñoz ?

— Non, ma colonel.

— Johnston ?

— Aucune, ma colonel

— Jorgensen ?

— C’est OK, ma colonel.

— Birki ?

— Je suis prête, ma colonel.

— Voilà vos transporteurs.

Je levai la tête pour apercevoir les petits vaisseaux, équipés de quatre grands bras de levage. Je me déplaçai en direction de l’un deux lorsqu’ils parvinrent à dix mètres du sol, puis me plaçai à quatre pattes pour pouvoir regarder la Terre tout en volant. Septième jour et on testait déjà les fortes sensations. J’étais nerveuse. Je vérifiai sur mon affichage que je savais trouver l’activation des paragravités. Mon transporteur descendit, ses bras se collèrent avec un bruit d’acier aimanté. Il me leva du sol, et très vite le centre d’entraînement rapetissa pour me faire admirer Luxembourg, toujours plongé dans les lumières urbaines de la nuit.

Si je voulais tirer sur cible, il fallait monter mon niveau d’énergie. Je mis juste en rotation lente le transmetteur vaginal. Deux secondes par tour, guère plus. À observer la Terre d’en haut, à entendre le vent sur la carlingue, cette langueur me réchauffa de sensations inattendues. Mon esprit était émerveillé de ce qu’il voyait et était incapable de se préoccuper d’autre chose. En parallèle, mon corps entier était à une écoute passive de cette sensation lente et légère. Si cette simple rotation délicate me faisait sentir pareil chatoiement, alors combattre sur un véritable champ de bataille était possible. La machine n’avait nul besoin que le corps prît du plaisir à en inonder l’esprit de phéromones. Il fallait juste laisser sa chair ressentir, sans pensées ni barrières.

L’horizon rougeoya alors que les étoiles s’étendaient à perte de vue. Mon plaisir monta crescendo. Mon esprit s’émerveilla de plus en plus, jusqu’à ce que la courbure de Terre, partagée entre la nuit et le jour se dévoilât. La voix d’Héloïse nous annonça :

— Ici Contrôle. Bienvenue à quarante mille mètres. Tout le monde est paré ?

Me souvenant que Dahlia, alias C141 n’était plus des nôtres, je répondis d’une voix nouée :

— C142 parée.

— C143 parée, ajouta Mercedes.

— C144 parée, indiqua Caitlin.

— C145 parée, répondit Kirsten.

— C146 parée, termina Sadjia.

— Téléchargement des objectifs de mission. — J’affichai la localisation des deux objectifs qui se superposaient. — Ouverture des paragravités à 1350 mètres. Largage dans 3… 2… 1…

Les cinq transporteurs nous détachèrent, et nos exosquelettes plongèrent. La chute s’accéléra rapidement. Collée à mon dossier, le souffle coupé, je priai pour pouvoir trouver ma respiration. Sitôt mes poumons remplis, je hurlai de toutes mes forces, en chœur avec mes camarades. Mon esprit se focalisa sur l’objectif et orienta mon ESAO dans sa direction. La sensation de chute m’enivrait littéralement. Mon corps se libéra de la tétanie de surprise et utilisa la sensation forte pour la diffuser en endorphine. Mon transmetteur accélérant entre mes cuisses, mon corps me laissait penser que je serais prête pour tirer d’ici une minute.

— Vous approchez les mille kilomètre heures, préparez-vous au mur du…

Le bang hypersonique me masqua la fin de la phrase. Le sol continuait à se rapprocher et je notai une dérive par rapport à l’objectif. La vitesse était telle que nous passâmes rapidement sous les mille quatre cent mètres. Je déployai les quatre bras paragravités sur mon dos. Ma chute se mit à ralentir doucement, comme si je planais. Je pus alors arranger ma direction. La sensation de planer était extraordinaire, envoûtante de plaisir. Mon ESAO était à portée de tir. J’ouvris grand la bouche, laissai le palpeur augmenter l’effet du masseur entre mes chairs, et mon corps se mit à trembler de plaisir. L’orgasme foudroya mon ventre et ma cible. Je savourai durant de longues secondes les vagues de délices.

J’entendis une autre gémir sans savoir qui c’était. Un flash de lumière percuta le sol. Je me posai comme une fleur au milieu du champ de ruines urbaines. J’avais envie de recommencer tout de suite. Mercedes se posa lourdement à cent mètres de moi. Je questionnai :

— Ça va 143 ?

— J’ai le cœur qui va lâcher.

— Moi aussi ! C’était génial !

— Je n’ai pas réussi à tirer, mais ce n’était pas loin.

— Pas loin, c’est une bonne nouvelle.

— J’ai réussi ! J’ai réussi ! s’exclama Caitlin.

Son Koala dansait sur place, ce qui nous fit toutes rire.

— Ici contrôle, articula Héloïse. On rentre au bercail.

— On ne fait pas un deuxième saut ? questionnai-je.

— Non. Le temps de rentrer à Luxembourg, il ne sera pas loin de midi. Mais ne t’inquiète pas, cet après-midi, tir sur cible.

— Cool.

Les transporteurs apparurent. Je me laissai accrocher, néanmoins sur ma faim. Le soleil illuminait l’Europe et nous survolâmes les montagnes en direction de l’Ouest. Tout en me détendant, je profitais du panorama.

On nous déposa après plus d’une heure de vol sur la piste d’entraînement. Depuis le ciel, j’aperçus dans les compartiments des hangars trois F10 couleur sable. Héloïse, debout au milieu du couloir des ESAO nous attendait.

— Encore un super tir, Clarine.

— Tu peux t’occuper de Mercedes, je vais me décrocher toute seule.

— D’accodac !

Je fermai le rideau, puis ordonnai à mon Furet de me libérer. Mon vagin était encore abondamment humide, le transmetteur le quitta, luisant de mes envies. Après avoir nettoyé la selle, je déposai mes lentilles dans leur boîte, puis rejoignis le vestiaire. N’ayant pas transpiré, j’essuyai mon entrecuisse et enfilai directement mon uniforme.

Je croisai mes camarades à la porte du vestiaire, et m’approchai des hangars voisins aux miens pour admirer un des F10. Il n’était pas beaucoup plus grand que le Furet, mais il avait vraiment cette tête trapue de félin avec ses canons de gueule et la dentition qui, comme mon modèle, pouvait être utilisée en cas de manque d’énergie. L’ESAO que j’avais toujours utilisé en arcade était un des rares dont je connaissais chaque fonction sans l’avoir piloté. Si je n’avais pas été attachée à mon exosquelette actuel, sans nul doute que l’envie de le piloter m’aurait titillée davantage.

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