49. Débriefings

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Le réveil fut moins difficile que je soupçonnais. Mon corps était reposé, et je pus aller prendre mon petit-déjeuner avant les autres. L’unité des blindés n’était pas là, j’étais quasiment seule, dans l’immense réfectoire, absorbée dans le bourdonnement de la réfrigération des îlots. Elke fut la première à me rejoindre. Elle me salua par une question :

— Lève-tôt aussi ?

— J’aime bien me réveiller à mon rythme.

— Je comprends ça.

Elle ne parla plus. Visiblement, elle avait elle aussi besoin de calme et de sérénité. Mon smart-data bipa et m’annonça une convocation au siège de l’armée de l’air européenne, auprès du colonel Paksas. Caitlin et Mercedes furent les suivantes. Caitlin s’enthousiasma :

— C’est cool de retrouver certaines habitudes.

Je trouvais tout aussi agréable de retrouver les filles, ça changeait du confinement avec les Carcajous Maudits. Je suivis mes anciennes habitudes rigoureusement, me brossai les dents avant de me présenter en t-shirt et en short aux abords engazonnés du bâtiment. À huit heures tapantes, nous étions toutes alignées face à l’adjudant-chef Charlène Morvan. L’officier aux long cheveux roux semblait de bonne humeur. Elle s’attaqua directement à Rita :

— Perugini ! Vous avez grossi ! Vous ne faisiez pas de sport à bord ?

— C’est juste ma poitrine mon adjudant ! C’est l’excitation de vous revoir !

Evidemment, nous éclatâmes toutes de rire. L’adjudante semblait habituée à l’insolence de Rita car elle répliqua aussi sec :

— Je te jure que je vais te faire mouiller, et pas comme tu l’entends !

— Oui, mon adjudante !

— En position de pompe sur les mains et on attend que ça chauffe.

Je me plaçai en position et jetai un œil à Rita. C’était plus de la boutade que de l’insolence. Visiblement, passer de recrue en formation à pilote changeait la donne avec l’instructrice.

— Bien, pour faire passer le temps, Perugini va nous dire si elle a tué plus de Crustacés qu’elle n’a dragué de marins.

— À cent pour cent, mon adjudant. Je ne couche qu’avec ceux de l’armée de terre.

— C’est bien. On te félicitera pour ta loyauté.

— Fontaine !

— Oui mon adjudant ? soufflai-je.

— On m’a narré tes exploits ! J’aimerais que toutes les filles ici aient des ovaires aussi solides que toi !

— Merci, mon adjudant.

— Allez on tient bon, Encore quatre minutes, et je ne veux pas voir une seule paire de miche toucher le sol d’ici là. À mon top, vous aurez dix secondes pour vous aligner de la plus petite à la plus grande. Ce matin, vous allez en chier.

Mes bras commençaient déjà à trembler, et je doutais pendant un instant de mon plaisir à retrouver l’ambiance.

Abdominaux, sprints, pompes… nous en bavâmes durant deux heures sous le soleil estival. Alignées, détrempées par la sueur comme promis, des orteils jusqu’aux cheveux, je me sentais vidée de tout. L’instructrice n’était pas en reste, elle avait fait tous les exercices, en véritable leader. Il aurait été honteux d’abandonner. À chaque genou posé au sol, je m’étais empressée de serrer les dents et de reprendre la position.

— Exceptionnellement, vous avez quinze minutes pour vous présenter en salle de briefing. Je parle aux apprenties-pilotes. Je crois savoir que vous autres avez du travail.

Nous marchâmes d’un même pas, sans un mot. Héloïse, muette, faisait le constat que nous nous étions encroûtées durant le vol de retour. Le visage rougeaud de Kirsten laissait tout de même comprendre que la barre avait été haute. Je suivis les autres au vestiaire, sans même réfléchir, comme un zombie.

— J’ai les bras qui tremblent, gémit Caitlin.

— Rita, déclara Kirsten. Ça y est, je te déteste. Je n’ai jamais morflé comme ça.

— Ouais, mais ça fait du bien, répondit ma conscrite en ôtant son t-shirt.

— Exactement, souligna l’instructrice en entrant derrière nous

L’adjudant-chef se déshabilla en même temps que nous. L’impudeur de ce lieu provoquait toujours autant de gêne chez moi. Je gagnai les douches avec celles que la présence de l’instructrice rendait muettes. Kirsten dévisageait la plastique de pin-up de Rita, comme si c’était une prédatrice entrée sur son territoire. Les yeux dans le vague de Mercedes s’accrochèrent à ma peau. Je me plaçai côté d’Elke qui semblait être la seule à ne pas porter de jugement sur le corps des autres.

L’adjudante et mes anciennes camarades quittèrent rapidement les douches. Rita en rit lorsqu’elles furent parties et que nous traînions encore sous les jets.

— J’avais oublié qu’on prenait des douches aussi vite.

— On prend de mauvaises habitudes, conclut Héloïse.

— Vous faites quoi cet aprem ?

— Je change le blindage des jambes du Furet de Clarine.

— Et toi ?

— Je suis convoquée à la tour de l’armée de terre, répondis-je.

— Il n’est que dix heures passées de dix minutes. On se retrouve au mess ?

— Je vais aider Héloïse, éluda Elke en quittant les douches.

— Je vais vous aider aussi, annonçai-je.

Nous abandonnâmes Rita pour gagner nos casiers. J’enfilai avec plaisir l’uniforme sur ma peau humide, puis j’accompagnai les deux gynéciennes au hangar. Mon Furet aux cuisses transpercées attendait qu’on le soignât. Les deux filles se saisirent de dévisseuses sans même se concerter. Je questionnai :

— Je peux vous aider ?

— Pour le moment, non, après tu pourras peut-être, me sourit Héloïse.

Je me contentai alors de les observer désosser le squelette de vérins, vérifier les articulations et la pression hydraulique, jusqu’à ce que midi sonnât.

Après déjeuner, pour la première fois, je portais l’uniforme d’apparat blanc et noir afin de me présenter à la tour de l’armée de Terre. Mes manches affichaient mes galons de sergent. J’avançais avec un sérieux qui ne laissait rien imaginer de la fille lubrique qu’une pilote était censée être. Je regardais les visages que je croisais en essayant d’imaginer chez chacun d’eux, une sexualité secrète. Lorsque j’arrivai dans le hall, le lieutenant Conti était présent. Elle me salua de la tête avant d’articuler :

— Bonjour sergent.

— Bonjour, mon lieutenant.

— C’est le colonel Paksas qui vous a convoquée ?

— Oui.

— Elle doit vous estimer.

— Je n’ai pas le profil d’une pilote, je crois que ça lui a fait plaisir. Et j’ai fait bonne impression lors de la simulation à l’embauche.

La porte s’ouvrit, alors Orinta Paksas s’avança vers nous. Elle s’adressa à Conti directement :

— Ravie de vous revoir lieutenant, dans des circonstances moins tragiques.

— Moi aussi, mon colonel. Contente que l’enquête interne soit close.

— Szabo et l’équipage ayant volé en poussière, nous ne saurons malheureusement jamais le fond de l’histoire. Suivez-moi.

Nous lui emboîtâmes le pas dans le couloir, passâmes devant la porte de son bureau, puis nous entrâmes dans un amphithéâtre dans lequel se tenaient un amiral, un général d’escadrille et le général cinq étoiles de l’armée de terre, face à un colonel qui visiblement avait la parole. Les discussions s’interrompirent devant un écran représentant une planète. Lorsque la porte fut fermée, Paksas s’apprêta à nous présenter, lorsque le général cinq étoile de l’armée de terre s’exclama :

— Voilà notre héroïne !

On m’octroya quelques applaudissements. Je discernais chez le général l’œil lubrique de celui qui m’avait vue nue par l’enregistrement du Furet. C’était comme s’il essayait de me voir sans mes vêtements. C’était répugnant tant ça se lisait sur son visage et déstabilisant de ne pas savoir si c’était mon imagination qui mal-interprétait ses rictus. Le colonel debout au pupitre attendit que le général lui redonnât la parole d’un geste de la main :

— Pouvez-vous résumer la situation au lieutenant Conti et à son intrépide sergent. Un résumé très court.

— À vos ordres. La collecte des informations nous a permis de mettre à jour un nombre de petites bases relais de communications disséminées sur des planètes ou des satellites situées dans différents systèmes stellaires, mais également de localiser l’Etat-Major des Crustacés. Alors évidemment, nous parlons là de la faction principale de nos ennemis. Ce qui est intéressant, c’est qu’elle n’est pas dans un des systèmes les plus occupés par ces saloperies. Ils l’ont caché dans un système secondaire. Nous allons envoyer des coursiers à chaque navire afin de planifier l’attaque. L’Amiral Schwarz, ici présent, va coordonner toute la stratégie de la marine afin de faire une percée dans les lignes ennemies. Vous allez jouer un rôle de double-détente. Vous allez reprendre la mission initiale du Gulo-Gulo et vous attaquer à une base-relais des Crustacés sur un satellite composé d’azote gelé en orbite de la géante gazeuse Cendrillon II.

— Ici pas question de sortir le cul à l’air, s’esclaffa le général.

— Pour cette mission, ajouta Paksas, vous disposerez de deux ESAO supplémentaires.

— Tout à fait, acquiesça le colonel. Votre attaque attirera des vaisseaux Crustacés, et le Lycaon-Pictus sortira du trou de ver douze heures après votre arrivée afin de les surprendre. L’action menée, vous aurez neutralisé les renforts les plus proches de l’Etat-Major ennemi. Nous mènerons des attaques similaires sur les trois autres systèmes stellaires limitrophes que les Crustacés occupent. Trois attaques divisant la flotte ennemie, au même moment. Notre propre flotte fera ensuite route vers le point névralgique des décisions de nos ennemis. Les équipes d’ESAO mèneront l’assaut sur une planète tropicale à l’atmosphère viable. Impossible de balancer une ogive nucléaire sans éradiquer la biocénose. Un seul et unique objectif, détruire les générateurs de bouclier afin que nous puissions bombarder le site avec des tirs plasmas. Une fois le site détruit, l’armée de terre se chargera de tuer les survivants et de récupérer toute l’informatique.

J’avalai ma salive sans prononcer un mot. Le Lycaon-Pictus était le vaisseau des Lionne de Venus, et donc celui aussi sur lequel exerçait mon père. Cela voulait dire que nous allions être engagés dans les deux prochaines batailles, peut-être même sans nous croiser une seule fois.

— Vous embarquerez à bord du Caracal-Caracal, ajouta le Général à notre attention.

Je compris que c’était la conclusion. Paksas me fit signe de sortir. Conti resta à l’intérieur.

— Le général tenait à vous rencontrer. C’est bien qu’il vous ait accordé ce petit aperçu de la mission. Vous ferez à nouveau équipe avec les Carcajous Maudits. Les deux autres pilotes qui seront sous vos ordres seront le soldat Mercedes Muñoz, et le caporal Kylie Varguas. Elle a été déchue de la citoyenneté Américaine car elle s’en est pris à un de ses supérieurs. C’est une histoire sur fond historique. Elle est du Sud, et sa supérieure était du Nord. Malgré l’Empire qui est sensé les unifier, les Américains issus du Grand-Mexique ne seront jamais acceptés par les Nords-Américains.

— Ils en veulent toujours au Mexique d’avoir annexé le Sud des Etats Unis au vingt-deuxième siècle ?

— Et d’avoir hispanisé leur langue nationale. Nous l’avons sortie de la prison militaire, parce que nous avons besoin de pilotes et qu’elle parlait européen. Si elle s’en sort honorablement, elle aura la nationalité européenne.

— Donc, je ne lui parle pas de l’histoire de son pays.

— Non. Vous savez, si le sujet vient, de quel côté vous placer.

— Oui, mon colonel.

— Ne jouez pas la carte de la folie, s’il vous plaît. Désormais, vous aurez deux pilotes qui comptent sur vous pour les guider et les encourager quand elles seront en panique sur le terrain.

— Oui, mon colonel.

— Elle arrivera demain. Le caporal Carlier la recevra à l’infirmerie pour lui implanter un catalyseur de seconde génération. Vous ferez un premier exercice en équipe dès l’après-midi. Si mon pronostic est juste, vous n’aurez pas le temps de vous entraîner davantage. Le Caracal-Caracal est déjà prêt à appareiller.

— D’accord.

— Bon courage.

— Merci, mon colonel.

Deux lieutenants hommes semblant attendre pour entrer dans la salle de réunion, elle me salua d’un regard affable et retourna leur ouvrir la porte. L’amiral et le général d’escadrille quittèrent la pièce, laissant la place aux deux hommes. Chacun allait affiner la stratégie de son corps d’armée. Je quittai à pas calmes le bâtiment. J’étais à la fois satisfaite de savoir à quoi m’attendre et à la fois salie de n’avoir été conviée que pour qu’un général salace me vît en vrai.

Le bus me reconduisit aux abords du Régiment. Elke et Rita étaient en civil devant les portes, souriantes. C’était curieux de voir les gens sans uniforme. Rita, était vêtue d’un pantalon moulant de cuir vert artificiel. Elle gardait une veste en cuir à la main, et portait un débardeur jaune vif sur lequel des formes géométriques rouges apparaissaient aléatoirement. Elke malgré sa coupe courte me sembla plus féminine que sa pilote. Elle portait une petite robe légère à bretelle, adaptée à la saison, du rose sur les lèvres et de grandes boucles d’oreille. Elle était chaussée de simples sandalettes blanches avec des fleurs roses. Cela ne correspondait pas à l’image que je m’étais faite d’elle. Rita s’exclama :

— Ah bah, ça aura duré moins longtemps que prévu ! — Je haussai les épaules. — Ils t’ont convoquée pour te féliciter.

— Plus ou moins.

— C’est-à-dire ?

— C’est juste un général qui voulait voir la star de son dernier porno. Bientôt toute l’armée m’aura vue à poil.

— On ne te voit que de dos, sois fière de ton p’tit cul.

— Je ne pense pas que le général n’ait eu accès qu’au début de l’enregistrement. Il a dû visualiser toute la mission.

— Demande à Héloïse si le circuit caméra est resté actif longtemps après que tu te sois désharnachée, me dit Elke.

— Pas besoin, répondis-je. C’est dans le manuel du protocole de mission. Tous les enregistrements sont maintenus en continu du début à la fin de mission. Les capteurs de santé et de suivi de mission sont sur le réseau secondaire.

Elke pinça les lèvres. Et Rita conclut :

— Allez ! Il n’y a pas mort de femme ! Je te fais plein de bisous, Poupée, nous avons le droit à six jours de permission. Le Mustela Nivalis doit ravitailler et faire son check up.

Elle me fit la bise. Elke hésita puis l’imita, et elles s’éloignèrent vers la station de bus. Il ne me restait plus qu’à remettre le treillis et retrouver Héloïse au hangar. Je me demandais si Rita participerait à l’offensive. Six jours, c’était court, trop pour qu’elle reprenne simplement sa routine avec les Renseignements. Ça pouvait supposer qu’elle ferait partie d’une seconde vague d’assaut

Revêtue de mon précieux treillis, rangers aux pieds, je longeai le couloir des pilotes en humant l’odeur du béton et de l’acier chaud qui me laissait nostalgique. Héloïse était au hangar, mon Furet était comme neuf, sellerie ouverte et nettoyée. J’avais très envie de le piloter et paradoxalement, nulle envie de me mettre nue.

— Salut lieutenant !

— Sergent, corrigeai-je.

— Je ne perds pas espoir.

— Il faudrait que je survive à la mission qui nous attend.

— Ils t’ont briefée ?

— Plus ou moins. Je ferai équipe avec Mercedes et une Américaine. Nous aurons deux attaques à mener. Une pour faire diversion et une pour raser le centre de commandement des Crustacés.

— C’est cool pour Mercedes. Et pourquoi une Américaine et pas une autre des filles ?

— Faut croire qu’elles ne sont pas prêtes. L’Américaine a de l’expérience.

— Tu veux t’entraîner un peu ? — Je secouai doucement la tête. — T’es sûre ?

Elle appuya sur sa tablette. La selle remonta à l’intérieur et elle me posa des questions sur la future recrue, des questions auxquelles je n’avais aucune réponse. Le colonel Orinta Paksas n’allait pas tarder à lui envoyer ses nouveaux objectifs.

Le soir même, nous attendions les filles à la porte de la cantine. Elles arrivèrent, souriantes, les cheveux trempés, les yeux fatigués. Kirsten regardait son smart-date en marchant, Sadjia et Caitlin se racontaient comment elles avaient vécu leur orgasme, alors que Mercedes suivait en retrait, les épaules lourdes. Caitlin s’exclama en nous apercevant :

— Hey ! Vous ne saurez jamais ce qui arrive à Mercedes !

— Elle part en mission ? devina Héloïse.

Elle feignit d’être déçue que nous connaissions la réponse.

— Elle a été affectée au Caracal-Caracal, sous les ordres d’un lieutenant. Elle a son briefing demain.

— Avec nous, sourit Héloïse.

Mercedes esquissa un sourire en croisant mon regard, alors je poussai la porte du réfectoire. Héloïse rassura Mercedes sur le lieutenant Conti, mais l’anxiété s’affichait en format poster sur le visage de notre amie. Elle n’avait aucune envie d’aller combattre. Elle n’était ici que pour échapper à la prison dans laquelle le député de la Nouvelle-Catalogne l’avait injustement fait emprisonner.

Je m’assis à côté d’elle avec mon assiette de frites et alors qu’elle regardait son plateau sans y toucher, je posai ma main sur la sienne.

— Désolée que tu doives aller combattre.

— Il fallait bien que ça arrive un jour.

— S’ils te laissent ton Rhino blindé, t’as des chances de ne pas y rester, lui dit Héloïse.

— C’est combien, ton contrat ? interrogea Kirsten.

— Cinq ans.

— Comme nous toutes, dit Sadjia.

— Cinq ans à jouir dans une boîte de conserve pendant que tes camarades tombent, ajouta Kirsten.

— Super ! grinça Héloïse. Ça remonte tout de suite le moral ! Regardez Clarine, elle en est revenue.

— Ce n’est pas comparable. Elle est surdouée, sourit Caitlin.

— Ou supersensitive du clito, proposa Sadjia d’un air rêveur.

— Pas plus que vous, déclara Héloïse.

— Non, piloter c’est ton fantasme, on sait, me dit Caitlin. Bien avant les frites.

— Imagine si je pilote en mangeant des frites, plaisantai-je.

Caitlin écarquilla les yeux :

— Tu fais des blagues ? Ta première opex t’a changée.

Sadjia et Héloïse rirent en chœur, du coup, leurs yeux se croisèrent, et je n’eus pas besoin d’être dans leur tête pour y voir l’espace de deux secondes un accord tacite.

La nuit tombée, n’ayant pas sommeil, j’errai dans le hangar pour passer un moment avec mon Furet. Il était majestueux dans l’obscurité, et mon cœur battait d’impatience de retourner à bord. J’observais ses articulations, toute cette musculature artificielle qui me faisait vibrer. J’étais accroc à lui, plus qu’à toute autre machine. Je n’avais pas envie de tester un autre ESAO, je ne voulais que celui-ci, celui avec lequel je n’avais fait qu’un dès mon premier jour. Ce premier jour me revint en mémoire, par son intensité, son mélange de nouveauté, d’anxiété et de découverte. C’était la première fois que j’insérais un instrument entre mes fesses et je n’aurais jamais imaginé avant ce jour pouvoir y trouver du plaisir. Son transmetteur vaginal m’avait également laissée une sensation de chamboulement. Quant à ses premiers pas vibrant à travers moi, ils avaient scellé notre destinée.

— Demain, murmurai-je. Demain.

J’imaginais qu’il entendait mes mots rassurants, je passai ma main sur sa jambe d’acier, puis longeai le couloir pour gagner les escaliers. De la lumière passait sous le vestiaire, alors j’ouvris la porte pour aller l’éteindre. C’est alors que je vis la silhouette nue d’Héloïse collée dos au carreau. Je fis un pas en arrière pour me cacher et entrefermai silencieusement la porte. Elle haleta :

— Mais comment tu fais ? Je suis sûre que je n’ai pas été aussi douée.

— Non, j’ai super kiffé, répondit Sadjia. Et puis c’était ton premier cunni.

— Mon troisième.

— Tu ne m’as pas dit, coquine.

— Tu ne le dis pas, mais je l’ai fait avec le lieutenant des Carcajous. Je n’ai pas arrêté de me vanter, je prétendais qu’une femme lécherait toujours mieux qu’un homme. Du coup, elle m’a testée.

— Et ça s’est bien passé ?

— Elle a joui. Mais elle préfère quand même quand c’est fait par un homme. Enfin, un, l’Iroquois. Donc je ne sais pas si je suis douée.

— Elle t’a quand même essayée deux fois.

— Non, la seconde fois, c’était Clarine.

— Oh le scoop ! T’as brouté Clarine !

— Non, ne t’enflamme pas, ce n’est pas le scoop. Ça n’a pas duré cinq secondes. Elle n’a carrément pas apprécié.

— Tu l’as prise par surprise ?

— Non. Ça avait bien commencé.

— Mais raconte-moi.

— Ce qui reste à bord doit rester à bord. Elle va me tuer si je te raconte.

— Je ne le répèterai pas. Sauf peut-être à Caitlin, qui après le répètera à tout le monde. Non, je déconne ! Je te jure. C’est notre secret, t’en as trop dit pour me laisser comme ça.

— Rita et moi, nous nous sommes invitées sous sa douche. Elle était fâchée parce que j’avais montré la vidéo où elle descend de son ESAO pour buter des Crevettes. Pour nous faire pardonner, Rita a suggéré que je la savonne. Rita savonnait son dos, et moi ses seins et…

— T’arrêtes pas !

— Et ça s’est super bien passé. Elle s’est laissée aller, elle avançait les hanches vers moi, elle avait envie, elle prenait du plaisir. J’avais vraiment le feeling avec son corps. Et au lieu de continuer, j’ai voulu la faire jouir avec la langue, et là, ça a tout coupé.

— Dommage.

— Ouais, lâcha la voix amère d’Héloïse.

— Tu l’aimes encore ?

— Je suis dingue d’elle. Elle est… elle est courageuse, elle est réfléchie, elle est… Elle est parfaite.

— Tu devrais lui reproposer un massage sous la douche, si c’est son truc.

— Non ! Elle refusera.

— T’en sais rien. En attendant, nous avons du savon, de l’eau, tu peux te perfectionner sur moi.

— Tu ne vas plus avoir d’énergie pour demain.

— Ça me titille de vous imaginer. Je suis curieuse de savoir comment tu as fait.

Je remontai vers le dortoir. Notre discussion à bord avait mis les choses au clair, mais n’avait pas effacé son attirance. J’étais trop naïve de l’avoir espéré. Il faudrait peut-être que j’ai une discussion avec Héloïse, ou peut-être pas.

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