62. Quarantaine

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Dès les premières heures de voyage, des plaques rouges se développèrent sur mes jambes et sur le haut de mon ventre. Le médecin de bord qui me rendait visite en combinaison avait très vite identifié la source microbienne et un antibiotique auquel l’organisme extraterrestre ne pouvait résister. L’avantage de la plupart des pathologies extraterrestre, c’est qu’elle n’avait développé aucune résistance à nos médicaments et remèdes. Le scientifique était plutôt confiant. Je gardais donc le lit, sans même mon smart-data pour m’occuper, comme une prisonnière. On m’avait donné un uniforme que je changeais toutes les vingt-quatre heures. Mes seules occupations étaient les visites de mes proches. Mercedes avait été très marquée par les combats, et elle pensait ne pas pouvoir tenir plusieurs années dans un ESAO. Kylie était au petit soin pour l’aider à remonter la pente. Héloïse disait qu’elles avaient de la chance d’être toutes les deux en vie, elle ne les imaginait pas l’une sans l’autre. Elles étaient d’autant plus proche après ces durs évènements. Les visites quotidiennes d’Héloïse étaient les plus longues. Elle s’asseyait en tailleur face à la porte vitrée et me parler des heures. La première fois, elle avait ressassé les morts, pleuré les Carcajous qui nous avaient quittés. Dès le lendemain, elle ne se concentrait plus que sur l’amour entre Kylie et Mercedes, faisant écho à ses propres sentiments pour moi. Le troisième jour, je l’écoutais, me laissais rire à sa bonne humeur, aux anecdotes de la vie à bord qu’elle narrait. Elle déjeunait avec moi, dînait avec moi, elle était aussi collante qu’un poisson lécheur de vitre dans un aquarium. L’autre personne à me rendre visite quotidiennement était mon père. S’il ne s’attardait pas aussi longuement qu’Héloïse, il venait en seconde place. Je lui avais sauvé la vie, il me le rappelait chaque jour. Je lui demandais à chaque fois à quoi ça aurait servi de faire des enfants si ça n’était pas pour couvrir ses arrières.

En ce quatrième jour de voyage, le lieutenant Conti s’approcha de la vitre. Je me levai du lit et la saluai, avant de m’empresser de remettre mon t-shirt dans mon treillis.

— Laissez, Clarine. On n’est pas en cérémonie.

Ses yeux se posèrent sur mes pieds nus, tandis que je notai qu’elle m’avait appelé par mon prénom.

— Désolée, mon lieutenant. Je tourne en rond, ici, alors je reste dans le lit.

— J’ai eu le médecin de bord. Il m’a dit que la fièvre était tombée et que les blessures se soignaient bien.

— Oui. Je ne me gratte presque plus les jambes. Le champignon part avec des peaux mortes. Il m’a donné des antibiotiques de compétition.

— Tant mieux. Je préfèrerais que vous n’ayez pas à prolonger la quarantaine avant de redescendre sur Terre. Je venais vous faire part du débriefing. Toute l’informatique des Crustacés que nous avons remontée de la planète n’a pas révélé ses secrets. En revanche, les équipes de renseignements nous ont indiqué que cela faisait quatre jours que les communications étaient au point mort. Les avant-postes des Crustacés sont tous isolés. L’armée Africaine va donc mener des vagues d’assaut sur tous les secteurs où leur activité a été référencée. Les colonies vont être un peu plus sûres pendant un certain temps.

— C’est une bonne nouvelle.

— De mon côté, j’ai été impressionnée par votre sang froid, votre rapidité d’analyse et votre leadership. Vous avez proposé des stratégies, vous avez soutenu votre camarade pour qu’elle puisse tirer et vous avez une nouvelle fois fait la folie de quitter votre ESAO. Mais cette fois-ci, je suis d’avis que vous auriez été exécutée par les Crevettes en charge de dépouiller les cadavres. Les Carcajous vous doivent beaucoup.

— Ce qu’il en reste.

— Ce n’est pas une unité où l’on fait de vieux os.

— Je n’ai pas revu l’Iroquois. Mais je sais que Saïp et lui étaient comme les doigts de la main.

— Kirsan est très affecté par la disparition de Saïp. Ils s’étaient connus au service militaire. Mais il s’en remettra.

— Comme moi et Rita.

— Oui. Il faut essayer de se raccrocher à l’idée que leur sacrifice n’a pas été vain. Je sais que c’est facile à dire…

— Ne vous inquiétez pas. Je ne suis pas émotive comme…

— Héloïse ?

— Elle s’est vraiment urinée dessus ?

— Qui vous a raconté ça ?

— Elle.

— Dans ce cas, je peux vous le dire. Oui. Je serai tentée de dire qu’il faudrait qu’elle arrête de travailler avec vous, mais vu votre avenir au sein de votre régiment, ça ne devrait pas poser de souci.

— Mon avenir ?

— Votre avenir d’officier.

J’opinai juste de la tête, sans savoir quoi penser de cette annonce. Mais comme je doutais pouvoir trouver à nouveau du plaisir dans un ESAO, c’était plutôt une bonne chose. Devant mon silence, le lieutenant me dit avec un sourire :

— En tout cas, si vous ne vouliez pas que toute l’humanité vous voit nue, c’est un échec. Vous avez été captée par toutes les caméras embarquées encore en état de fonctionner. Presque tout nos soldats. Attendez-vous à ce que ça fuite sur Internet.

Je soupirai en laissant ma tête retomber. Elle poursuivit :

— Si ce n’est pas un gars d’ici qui la diffusera, ce sera un des tacticiens en charge d’analyser l’opération. Si vous voulez y survivre, faites-en une fierté. Dites-vous que vous devenez un symbole. Votre père, lui, est très fier de vous, il le dit bien trop souvent.

— Ça ne m’étonne pas.

— Ça étonne tous ses anciens camarades, en tout cas. Bon isolement, sergent.

— Merci mon lieutenant.

Deux jours plus tard, les démangeaisons ayant totalement disparu, les bilans sanguins étant sains, j’allais enfin pouvoir sortir. L’infirmier à la vitre me dit :

— Tout est OK.

— Vous êtes sûr ?

— Vous mettez en doute mon diplôme ou la médecine ?

— Désolée. Je veux juste être sûre que je ne vais contaminer personne.

— Ce n’est pas un virus, je vous le rappelle.

— D’accord. Je sors par le sas, je suppose.

— Oui. Vous ôtez tous vos vêtements, y compris l’élastique de vos cheveux.

Je n’avais plus de gène vis-à-vis de la nudité. Je me dévêtis complètement, dénouai mes cheveux, et fourrai le tout dans la benne de transfert. J’entrai dans le sas puis posai les pieds dans les empreintes, un peu plus large que la hauteur des épaules, comme je l’avais vu faire dans sa combinaison intégrale depuis plusieurs jours. Je tendis les bras à quarante-cinq degrés vers le haut en présentant les paumes aux rampes. La porte se referma. La voix du médecin nasilla à travers le haut-parleur :

— On retient sa respiration.

À peine eussé-je inspiré que les rampes m’aspergèrent de bactéricide. Les jets me fouettèrent haut en bas, depuis toutes les directions, le visage, le cou, les seins, et derrière les oreilles. Puis ils battirent de bas en haut, jusque dans la raie culière puis s’interrompirent.

— On ne bouge pas.

Les gouttelettes ruisselaient en chatouillant désagréablement. La soufflerie vint immédiatement du haut vers le bas assécher ma peau. Lorsque la cabine fut aussi sèche qu’à mon entrée, la porte en face de moi s’ouvrit. Je traversai le pédiluve et le médecin me désigna l’uniforme plié qui m’attendait. Il me mata jusqu’à ce que je fusse vêtue, puis déclara :

— Le prochain bilan sera à me transmettre par votre gynécienne avant le débarquement. Bonne fin de voyage.

— Merci, dis-je sans le penser.

Il quitta l’infirmerie, et je pensais à voix haute :

— Vicelard.

Je nouai mes cheveux, puis coiffai le béret. Cela faisait du bien de retrouver l’uniforme. Je quittai l’infirmerie, chaussures aux pieds. Je n’avais envie de revoir qu’une seule personne ou chose en cet instant, c’était mon Furet. Je me dirigeai donc sans détour jusqu’au pont inférieur. J’arrivai au parking. La cloison des ESAO était ouverte sur le hangar. Ils étaient tous en piteux état, mais pires étaient les restes de la Lionne de Rita et de mon Furet. J’eus un pincement au cœur en pensant à ma camarade. En revanche, voir mon Furet suspendu au palan, sans jambe ni bras, me donna envie de vomir. Je retins mes larmes, prise d’une soudaine montée d’émotions. La gynécienne des Lionnes que je n’avais pas vue me demanda :

— Ça va, ma petite ?

— D’ordinaire, je ne suis pas émotive, mais de voir mon Furet comme ça, ça… ça me bouleverse.

— C’est normal, t’en as vécu des choses à l’intérieur. Mais faut pas te mettre dans ces états, c’est qu’un peu de fils et de ferraille, on va te le remettre en état.

— Je sais, c’est con.

J’essuyai les larmes avec ma main. Elle haussa les épaules.

— Non, ce n’est pas con. Y a des mecs qui ne partent pas au combat sans leur fusil fétiche, des pilotes qui refusent certains vaisseaux. On s’attache émotionnellement aux objets, c’est comme ça.

Un cri de joie suraigu résonna dans tous les hangars. Héloïse arriva en courant comme une folle. Elle me bondit dessus. Ses jambes se refermèrent autour de moi. La gynécienne des Lionnes m’empêcha de tomber en arrière. Héloïse couvrit mon visage de baisers.

— Tu vas la tuer, lui dit la mécanicienne.

— Je suis trop contente de retrouve mon lieutenant.

Elle posa sa tête sur mon épaule. La mécano conclut :

— T’es cinglée.

— Cinglée d’amour ! chanta Héloïse.

Elle redescendit, elle prit ma main, m’embrassa sur la joue d’un air de dire qu’elle respectait la règle de ne pas me galocher. Puis elle me tira par la main.

— Viens, on va voir les filles !

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