64. Level up

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Le retour sur Terre à l’aube m’avait été très agréable. C’était comme la sensation de sortir d’un cauchemar. Sentir les premiers rayons de notre soleil, respirer l’air de notre atmosphère, c’était des sensations toutes simples mais qui grandissaient l’importance de défendre notre planète en maintenant éloignées les frontières interstellaires.

Nous avions gagné nos régiments respectifs pour quelques heures. Mes camarades de formation étant en exercices de deux jours, nous ne les croisâmes pas. Héloïse était partie réceptionner les ESAO au hangar, tandis que j’avais été convoquée auprès de la colonel. Assise dans le couloir de la tour Européenne dans mon uniforme d’apparat, je patientais en regardant les messages vidéo. Le premier était de Mako :

« Salut ma poupée ! Y a des vidéos de toi qui circule sur Internet. T’es vraiment une grande tarée ! Total respect ! Surtout celle où tu bloques une Crevette à poil et que tu lui éclates la tronche ! J’espère que tu te remets bien ! J’ai vérifié la liste des disparus, et je suis trop contente que tu ne sois pas dedans. J’ai… J’ai vu qu’il y avait Rita Perugini. »

Le lieutenant Conti avait eu raison au sujet des vidéos. Je savais Internet rapide, mais pas à ce point. Je répondis un message caméra également :

— Salut Mako. Rita est morte en super héroïne. Elle a buté un Crustacé que personne n’avait vu jusqu’à aujourd’hui. Mais, je vais bien. J’ai été convoquée chez le colonel Paksas, et j’attends. Je te fais plein de bisous et dès que je peux prendre ma perm, je passe te voir. J’ai plein de choses à te raconter.

J’écoutai le second message qui provenait de ma mère. N’ayant pas facilement des nouvelles de sa part, je devinais à l’avance qu’elle avait vu une des vidéos.

« Clarine ! Je suis… Je suis choquée ! Choquée de te voir… complètement nue sur des vidéos et encore plus d’apprendre que tu pilotes une de ces machines. Tu… Tu m’as menti, tu as menti à ton père, tu as menti à toute la famille en te disant officier. — Une renifla un sanglot. — Pour moi tu n’es plus ma fille ! »

La vidéo se coupa sèchement. Je pinçai les lèvres, je ne savais pas si je devais m’en préoccuper. J’ignorais si le temps la ferait revenir vers moi. J’ignorais si ça me rendait triste d’être reniée. Le troisième message était de mon frère.

« Salut soeurette. J’ai débarqué y a une semaine et y a une heure, les copains m’ont passé des vidéos hallucinantes ! Je n’ai pas encore osé leur dire que t’étais ma sœur, à cause du côté ESAO et tout, mais t’es badass ! Ça, on est tous d’accord pour dire que t’es une putain de guerrière ! J’ai eu papa juste avant, il m’a dit qu’il était sur le même vaisseau et qu’il était super fier. Je pense que je ne vais pas appeler Maman. Avec un peu de chance, elle ne le saura jamais. Avant que je reparte, faut qu’on se fasse une bouffe avec Papa ! On s’appelle. Bisous ! »

Il venait de me redonner le sourire. Je m’apprêtai à lui répondre lorsque les pas du colonel Paksas bruissèrent dans ma direction. Je me levai, au garde-à-vous. Elle me salua avec un sourire affable et me fit signe de la suivre.

— Comment allez-vous ?

— Bien, mon colonel.

— Vous avez eu vent des vidéos qui ont fuité ?

— Oui. Ça n’a pas d’importance.

Elle ferma la porte de son bureau et sortit deux flûtes et une bouteille de champagne.

— Nous trinquerons dans une semaine, à la cérémonie de remise des médailles et d’honneur aux morts. Mais je voulais trinquer personnellement avec vous. Je vous prie donc d’accepter ce verre comme si c’était un ordre.

— À vos ordres, mon colonel.

Je saisis la flûte et l’entrechoquai délicatement contre la sienne. Après la première gorgée, elle me confia :

— Il y a longtemps que les ESAO n’avaient pas été mis à l’honneur.

— Nous n’avons fait que combattre aux côtés des autres.

— Si vous n’étiez pas sortie de votre ESAO, on parlerait simplement d’une bataille gagnée. Une belle bataille. Mais les images diffusées à travers le monde et par-delà les colonies, d’une jeune fille qui combat nue contre des créatures en carapaces, c’est inspirant. Vous symbolisez la hardiesse qui fait la valeur des guerriers. J’ai déjà reçu cinq demandes d’interview pour des plateaux télévisés.

— Pourquoi veulent-ils vous interviewer ?

Elle rit.

— C’est vous qu’ils veulent interviewer.

— Vous pouvez refuser, je ne saurais pas quoi dire.

— Je n’ai pas le choix que d’accepter. Nous avons déjà beaucoup de difficulté à recruter. J’ai besoin que vous deveniez la porte-parole, que vous exorcisiez l’opinion que les gens ont des ESAO. Vous êtes une des rares à avoir choisi volontairement une carrière de pilote, vous êtes intelligente, votre courage est indiscutable, et vous êtes mignonne.

— Merci.

— Croyez-moi, ça a son importance.

— Une fille moche passerait pour une mal baisée qui a besoin d’ESAO ?

— Sans doute. Une jolie fille a surtout toujours plus d’écoute tant de la part d’un public masculin que féminin.

— Je comprends. Je tâcherai d’être à la hauteur.

— Vous aurez juste à répondre aux questions. Vous serez briefée avant chaque entrevue, ne stressez pour ça. Et vous reprendrez le service avant que les médias se soient lassés.

— À ce sujet, je ne pense pas que je pourrais piloter à nouveau.

— Qui vous demande de piloter ?

— Vous ne voulez plus que je pilote ?

— J’ai deux grandes visions concernant votre carrière à moyen terme. J’ai ici votre avenant de contrat pour une promotion au rang de lieutenant.

— Vous êtes sérieuse ?

Elle rit à nouveau.

— Pourquoi ? Ça vous étonne ? J’ai débriefé avec le lieutenant Alessia Conti et nous avons le même avis à votre sujet. Et deuxièmement, pour les téléspectateurs, voir qu’on peut devenir officier chez les ESAO, c’est important. Ce qui n’enlève rien à ce qui a motivé ce choix. Votre courage, votre sang-froid, votre capacité à diriger votre équipe. Ne croyez surtout pas que ce n’est pas mérité.

— Non, mon colonel.

— J’ai le rapport de votre gynécienne. L’absence de désir peut être temporaire, et il ne faut surtout pas que vous fassiez une fixation dessus. Nous avons du viagra féminin qui permet d’enclencher un engorgement des tissus érectiles, et une lubrification du vagin. Si malgré son utilisation, vous ne parvenez plus à ressentir de plaisir, et bien nous adapterons votre poste. Le général Santos et moi aimerions reformer une unité complète d’ESAO. Nous comptons sur une bonne communication dans les médias pour relancer le recrutement, et comme vous serez à la tête de cette future unité, vous serez la meilleure porte-parole. Cette unité sera composée exclusivement de F-11 de dernière génération. Si vous ne retrouvez pas le goût du pilotage d’ici les premiers recrutements, ce n’est pas un souci, ça ne vous empêchera pas de diriger l’unité. Votre Furet sera remis à l’une des futures recrues, celle qui l’aura n’en sera que fière.

J’opinai en sentant mon cœur se pincer à l’idée qu’une autre que moi pilotât mon exosquelette. La colonel ajouta :

— Nous allons également modifier un peu la formation des gynéciens. Votre manière d’encourager Mercedes Muñoz a été un déclencheur. Je voudrais que les gynéciens soient plus intimes avec les pilotes et qu’ils sachent narrer des scènes érotiques pour aider leurs pilotes à se recentrer sur les énergies. Mais il faut pour cela bien connaitre les goûts de chacune.

J’opinai à nouveau, puis elle m’invita à lui faire part de ce qui pourrait être changé dans le quotidien des ESAO. Mais ayant déjà vécu le combat à bord d’un exosquelette, ses idées étaient déjà construites et communes aux miennes. J’étais ravie d’être sollicitée dans la construction de cette unité et d’être une référence, mais je restais toujours mal à l’aise avec le rang de lieutenant. Avant que nous nous séparions, elle me demanda en me tendant mon contrat :

— D’autres questions ?

— Vous êtes vraiment sûre pour le rang de lieutenant ? Entre sergent et lieutenant, il y a d’autres grades qui me conviendraient.

— Je ne vous nomme pas lieutenant pour que ça vous convienne, mais pour que ça convienne au poste que nous allons créer.

— Mais je n’ai participé qu’à deux opex. Et je n’ai que dix-neuf ans.

— Vous aurez toujours plus d’expérience que les merdeux qui sortent de l’école des officiers. Je vous ai dit que c’était mérité. Si vous êtes mal à l’aise avec ça, dîtes-vous que c’est un ordre.

Le ton était tranchant et n’autorisait pas davantage de discussion.

— Oui, mon colonel. Ce sera un honneur.

— Vous récupérerez votre uniforme avant la cérémonie. Je veux que vous soyez en tenue d’officier devant les caméras.

— À vos ordres.

Je signai l’avenant à mon contrat, m’obligeant à servir trois années de plus au minimum.

Le bus me redéposa au premier Régiment d’Artillerie Mobile. Je me rendis directement au magasin, procéder à l’échange d’uniforme. Le robot-poulpe restait stoïque derrière la grille.

— Lieutenant Clarine Fontaine.

Ses petites turbines soufflèrent, ses tentacules choisirent la boîte déjà prête et la glissèrent dans ma direction.

— Je peux vous rendre cet uniforme maintenant ?

— Affirmatif, lieutenant.

J’ôtai la veste et les épaulettes de ma chemise et les fourrai dans la boîte. J’accrochai mes galons de lieutenant, vêtis la veste aux galons dorés, puis coiffai la casquette d’officier. J’étais heureuse d’arborer, je voulais que mon père me vît ainsi lorsque j’arriverai ce soir.

Je quittai le robot-poulpe, puis marchai dans le hangar. Les compartiments étaient toujours vides des ESAO de mes camarades. Un palan tenait le mien et les étincelles m’indiquaient qu’un soudeur était à l’œuvre. Héloïse et un garçon découpaient proprement les membres sectionnés pour assembler du neuf. Pris dans leur travail, ils ne me virent pas arriver.

— Hum.

Héloïse tourna la tête vers moi. Ses yeux s’arrondirent et elle balbutia :

— Putain de bordel de sainte-mère la pute !

L’homme me salua officiellement, alors elle l’imita en riant.

— Je te l’avais dit ! Je te l’avais dit ! Lieutenant Fontaine ! Ha ! Ha !

— Oui. Tes vœux ont été exaucés.

— Pause ! John ! Faut que je discute avec mon lieutenant.

Il opina et s’éloigna. Héloïse se mordit la lèvre en me dévorant du regard. Rita avait raison, elle fantasmait sur ceux qui réussissaient, qu’ils fussent hommes ou femmes. Je lui ouvris mes bras et elle se lova en posant sa bouche sur la mienne.

— Je suis venue te dire au revoir.

— Tu vas retrouver ton père ?

— Oui. Il a réservé un chalet dans le Jura.

— Ce n’est pas loin, c’est cool.

— Ouais… Ça va faire bizarre de se retrouver ailleurs que dans un croiseur. Et puis je voulais t’annoncer que du coup, tu ne seras plus ma gynécienne.

— Tu ne vas plus piloter ?

— Sauf miracle, non. Sans libido, pas de pilotage.

— Mais on continuera à se voir ?

— Je monte une grosse unité, j’aurai besoin d’un gynécien en chef.

— Ça veut dire combien une grosse ?

— Entre dix et vingt pilotes, selon le succès du recrutement.

— Genre ? Une unité cent pour cent ESAO ?

— C’est le projet.

Elle rit et dessina la scène avec ses mains.

— J’imagine, le lieutenant Fontaine passant en revue vingt nanas alignées en tenue de pilotage…

— T’as de sacrés fantasmes.

— Oh ouais ! Je me chargerai du recrutement de chacune sur le simulateur. Je connaîtrai la chatte de chacune de tes pilotes.

— Si ça te fait plaisir. Allez, j’y vais.

Je l’embrassai sur la bouche. Elle courba les sourcils. Elle me dit lorsque je pivotais les talons :

— À dans une semaine, mon amour.

Je la saluai de la main sans me retourner

Le taxi vint me chercher au pied du Régiment.

Après quelques heures de route, j’arrivai dans les hauteurs d’un petit village jurassien. Mon père et mon frère sur la terrasse, me saluèrent, en short de bain, un verre à la main.

— Bonsoir ma chérie…. Je veux dire lieutenant !

— Bonsoir papa.

— Salut sœurette !

Je montai les marches avec mon sac, et acceptai de chacun d’eux une étreinte. Mon père me regarda et secoua la tête.

— À qui as-tu volé cet uniforme ?

— J’ai donné mon nom à un robot-poulpe.

— Ils t’ont bombardé de pilote à lieutenant ? demanda mon frère.

— C’est politique, dis-je. Mais c’est mérité.

— Clairement ! Moi, je n’irai pas combattre la teub à l’air.

— Allez, vas mettre un maillot et viens te baigner avant la fraîche ! insista mon père.

Je m’éloignai vers la chambre qu’ils m’indiquaient, enfilai un deux pièces noir et gris, puis les rejoignis sur la terrasse. Je glissai dans l’eau. Me trouver en famille, au soleil avec eux dans l’eau, je trouvais l’instant plus agréable que n’importe quel câlin d’Héloïse

— Rien que pour des moments comme ça, ça vaut le coup de se battre.

— Clairement, acquiesça Marin. Et donc, t’as prévu d’aller voir Maman dans ton bel uniforme de lieutenant ?

— Non. Elle ne me considère plus comme sa fille.

— Elle va changer d’avis. Tu la connais. Elle a dû réagir comme ça parce qu’une commère lui a lancé une pique.

— Je vais d’abord aller voir ma meilleure amie.

— Hello la Dingo ? demanda mon père en choisissant un verre.

— Non, une autre. Mako.

— C’est qui Hello la Dingo ? demanda mon frère.

— C’était ma gynécienne. Ça reste aussi ma meilleure amie. J’ai une meilleure amie civile, et une militaire.

Mon père me passa un verre de vodka et se replaça dans la piscine. Il ajouta :

— Je gage que si elle pouvait te brouter le minou, Hello la Dingo le ferait.

— Elle est en admiration devant moi, c’est tout, éludai-je. Et si on peut éviter de parler de mon minou, ça serait génial. Juste pour que j’ai l’impression d’être en famille, et non pas encore en service.

— À vos ordres, c’est toi et ton frère les plus gradés, dit mon père en levant son verre. À la famille Fontaine ! Zigouilleurs de Crustacés de génération en génération.

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