MORTEL NOVEMBRE
Ce n'est pas un hasard si la fête de ce qui nous fait peur arrive le dernier jour avant novembre.
Ce n'est pas vraiment une fête, c'est un avertissement: novembre, c'est l'enfer.
Dédé l'avait bien capté. Son Dehors novembre exprimait un refus de ce mois funeste. Un déni de lucidité, trop lucide.
Noémie comme Dédé. Son anniversaire tombait le 17 novembre, au cœur du mois des morts, à ce moment inexorable où ses réserves mentales venaient à s'épuiser, où son réservoir de résilience était à sec et juste avant que son esprit ne se mette à ruminer, désespéré.
Cette année, cependant, Noémie avait planifié une voie de sortie. “Dehors novembre” est devenu son mantra.
C'était une suggestion de sa psy qui l'invitait à se prévoir du temps pour des activités plaisantes et pour fréquenter les gens qu'elle aime. Mais Noémie savait que ce conseil n'avait aucune valeur pour elle. Trop de pression, trop de risques d'échec. De toute manière, Noémie n'était pas bâtie ainsi. Elle n'aimait pas le gris, le beige, le tiède, la mollesse, l'indécision, l'indolence et les compromis. Non, Noémie était intense de naissance.
Elle commença ses recherches sur le BDSM, hantant les soirées et les donjons. Elle apprit les rudiments nécessaires à sa stratégie automnale: revêtir les habits d'une dominatrice autoritaire, sadique et sans scrupules. Magasinage ciblé et séances de gym intensives pour maximiser sa force complétèrent sa préparation.
Cette année, le 1er novembre tombait un samedi. Noémie put aisément trouver une soirée pour sa première séance de domination. Sur place, elle dénicha aisément un homme pour subir ses foudres. L'homme semblait obsédé par les hautes bottes en cuir noir de sa nouvelle maîtresse. La nervosité de Noémie s'envola avec ces regards. Deux minutes suffisent pour négocier les limites du duo enthousiaste.
Leur scène se déroula à merveille. En infligeant une incroyable souffrance à un inconnu, Noémie ressentait le fort épisode d'euphorie et de joie libératrice qu'elle avait espéré. C'était une vengeance symbolique. Les traumatismes qu'elle avait subis enfant et que personne ne voyait, sa douleur psychique infinie que personne ne comprenait, s'associaient maintenant pour se venger de l'univers. Ils remerciaient Noémie, très fière de l'efficacité de son plan anti-novembre.
Vers la fin de la scène, alors que le corps de l'homme tremblait d'épuisement, entièrement zébré et parsemé d'ecchymoses, au moment pile où sa bouche s'ouvrait pour crier son safe word, c'est plutôt le cri de Noémie qui déchira l'ambiance. Noémie ressentit une émotion puissante, un véritable tsunami. La dominatrice s'effondra dans un sanglot inédit, total. Affaissée au plancher, dur et froid, elle avait perdu tout contrôle sur son corps.
Une spectatrice de la scène, plus âgée, courte, ronde et affichant un immense décolleté, s'agenouilla près de Noémie. Elle l'enlaça dans ses bras et colla le visage de cette dernière sur la partie exposée de ses énormes seins chauds.
- Chut, ça va aller. Maman est là. Maman est là…
Dans l'étreinte de Carole, Noémie s'est graduellement calmée, plus que jamais calmée. Carole venait de mettre novembre dehors.
23 septembre 2025
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