Solitude

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 Il est temps d'écrire. Mais pour qui ? Pourquoi ? Dans le monde d'avant, on se levait et on prenait la parole. On vitupérait, on invectivait, on alertait; et tout à coup, le silence assourdissant de ces corps allongés, si jeunes, le sourire encore aux lèvres. Des yeux équarquillés des témoins dont le cri reste dans les gorges encombrées d'horreur.

 Pourtant, il est temps d'écrire. Sur qui ? Sur quoi ? Sur l'urgence, que chacun peut avoir à embrasser les siens, à étreindre, câliner, et se souvenir. Mais de quoi ? En relisant par exemple Marcel Proust, on perçoit toute la nécessité du rapport humain. Au delà de la cosmogonie proposée, la couleur dominante qui demeure, peut être; renvoie à toute la nécessaire humilité qui nous incombe. En bref, seul, nous ne sommes rien.

 Le pauvre Swann, couronné, puis méprisé par les Verdurin, ne doit peut être qu'à ses relations, à leurs souvenirs, de ne pas sombrer dans la médiocrité. On pourra opposer qu'il finit pourtant seul, mais, en va-t-il autrement ?

 Que comprendra-t-on ? Des corps hâchés par l'horreur ? Nous précipiterons-nous demain vers un avenir meilleur ? Constitué autout de valeurs humanistes et plurielles ?

 Dans la sarabande d'À la recherche du temps perdu, les auteurs de ces balais mondains constituent les couleurs d'un arc-en-ciel social et psychologique, dont on peine à déterminer les intentions; et c'est peut être la volonté de l'auteur que d'inviter à placer la jauge de l'importance. L'importance humaine à sa juste position. En effet, quel qu'en soit le tempérament, ces figures participent à une mosaïque évidente. L'importance qu'elles ont, vient non pas tant de leur implication, à tel ou tel niveau du microcosme où elles évoluent, mais de la nécessité de leur présence, à toutes.

 Ainsi, l'élégant Swann ne peut-il se targuer d'aucune supériorité ? Face entre autres à une Madame Verdurin pourtant irritante, voire grotesque, souvent inculte. Et Proust réduit ce faux conflit à néant, en opposant la puissance du pouvoir de l'hôtesse à l'élégance de Swann.

 L'idée n'est donc pas de reconnaître l'absolu besoin hiérarchique de notre société, mais de rappeler, de marteler que la chaîne que nous formons, ne serait exister s'il en manque un seul maillon actif.

 Toutefois, on ne peut pas s'en tenir là. De cette importance existencielle, découle également le principe absolu de la pensée, lequel achève de nous distinguer d'un simple substrat familier. C'est de la naissance et de l'évolution des sociétés que s'exprime le monde, pour le meilleur et pour le pire. L'union sacrée entre toutes, du concept et de l'agir qui l'accompagnent.

 Mais alors, pourra-t-on dire, il faut de fait accepter celui ou celle qui au nom d'un présupposé, soumet l'autre au royaume de sa propre pensée ? Il n'existe de gouvernement de cette dernière, que s'il est polysémique, discutable et fondé sur l'analyse de multiples regards sur le monde. Historiquement, les grandes avancées ne se sont jamais produites lorsque l'un d'entre nous, tapant du point sur la table, imposait sa vérité en précepte. La pensée n'est que mouvement. Dès l'instant où elle se fige, elle arrête une vision empirique et déjà obsolète de ce qu'elle est, la vie.

 Par conséquent, oui, il est temps d'écrire. Non pas tant pour y résister, comme on l'entend à l'envie, que pour être littéralement. De la même manière que lorsqu'on boit un café au soleil, tout simplement parce que cela fait du bien. Il faut persister et penser, parce que cela fait tout simplement du bien.

 Il n'est pas certain qu'on éradiquera cette cancéreuse inquiètude qui fait désormais partie de notre quotidien, mais on peut vivre avec cette maladie, la réduire au statut de désagrément bénin, puisque nous n'avons pas le choix, puisque désormais il en va de la sorte.

 Pourquoi la plume s'est-elle dirigée vers Proust ? Parce qu'il faut aller vers ceux que l'on aime, ceux que l'on côtoie, pour supporter cette paradoxale solitude. Parce qu'elle a peut être besoin d'être rassurée, de trouver une galerie foisonnante, où chacun a sa place, et de celle-ci, au moins, on sait que personne ne s'effacera jamais dans l'obscurantisme aveuglant d'une douce nuit parisienne de novembre.

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