Chapitre 28 -Terre- Il est de retour

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Monde 1 : Terre

Amélia

  Amélia se réveille tôt ce matin. Ses paupières sont lourdes après une nuit agitée où son esprit n’a trouvé aucun repos. Elle reste allongée, fixant d’un air absent les hélices de son plafonnier qui tournent lentement au plafond. L’envie de se rendormir la tente, mais son cerveau refuse de s’apaiser. Émelie occupe toutes ses pensées.

  Elle revoit leur conversation de la veille, ce moment suspendu où elles ont échangé de tout et de rien. Avec Émelie, Amélia n’a pas besoin de jouer un rôle. Elle n’est ni la professionnelle rigoureuse face à ses collègues, ni la séductrice des vendredis soir. Avec elle, c’est différent. Elle se sent entière. Libre.

  Ce n’est pas une simple amitié ni de l’amour. Ce qu’elle ressent est plus profond, plus intime. Ce sentiment, difficile à nommer, oscille entre une affection sincère et une attraction inexplicable.

  Les bras croisés derrière la tête, Amélia laisse ses pensées vagabonder entre leurs deux réalités, étudiant les similitudes et les divergences : leur métier, leur entourage, leurs relations… Un détail lui revient. Elle aussi a connu un certain Jack, il y a des années, à la fac. Serait-ce le même ? Si c’est le cas, alors elle comprend ce qu’Émelie endure.

  Elle revoit la scène comme si c’était hier : une volée de marches, un recoin sombre, des éclats de rire étouffés… et Jack, pressé contre une étudiante. Ce jour-là, elle avait rompu et coupé tout contact.

  Et si, dans l’autre monde, Émelie n’avait jamais découvert ses infidélités ? Si elle n’avait jamais entendu ce bruit au détour d’un couloir, jamais surpris cette trahison ?

  Cela voudrait dire qu’une seule décision sur un infime détail peut suffire à réécrire un destin.

  Amélia soupire et se tourne dans son lit, incapable d’apaiser cette spirale de réflexions. Finalement, elle se lève et ouvre les volets. Les stigmates de la tempête sont encore visibles dehors : un parasol déchiré gît dans un buisson, des papiers et des plantes cassées jonchent la cour.

  Elle fronce les sourcils. Voir tous ces dégâts à l'extérieur lui donne l'impression d’être dans un piège et cela l’oppresse. D’ordinaire, elle irait courir pour s’éclaircir l’esprit, mais aujourd’hui, impossible. Résignée, elle se dirige vers la cuisine pour préparer son petit-déjeuner.

Son cerveau refuse de lâcher prise. Elle repose sa tasse et allume la radio d’un geste machinal. Une mélodie douce emplit aussitôt la pièce. Elle ne connaît pas l’artiste, un certain Juzzie Smith avec le titre "Superheros" mais peu importe. Les notes résonnent en elle, un souffle d’évasion.

  Elle ferme les yeux. Ses mouvements s’accordent au rythme de la musique, fluide et léger. Sans réfléchir, elle danse, contourne la table basse, longe le canapé, se laisse porter. Un instant hors du temps. Elle monte le volume, emportée… jusqu’à ce que de violents coups frappés à la porte ne la fassent sursauter.

  Amélia n'attent pourtant personne. Inquiète, elle se dirige vers la lucarne, et aperçoit une silhouette masculine, le visage en partie dissimulé sous une casquette.

  Encore en pyjama, elle part vite enfiler un legging et une veste, puis retourne vers l'entrée, attrapant au passage sa batte de baseball. Elle en a toujours une, elle a connu assez d'homme pour savoir que faut se méfier de certains.

  Les coups reprennent.

  La veille, elle a parlé de cette femme à la bague avec Émelie, de ce qu’elles ont vu… Il y avait aussi un homme qui l’accompagnait. Est-ce eux ? Sont-elles réellement suivies ? Son rythme cardiaque s’accélère, son souffle se coupe. Munie de son arme de fortune, elle inspire profondément et, d'un ton qu’elle espère ferme, lance :

  — Oui ? C’est pourquoi ?

  Une seconde de silence, puis une voix masculine répond :

  — Bonjour, c’est Adam, le neveu de la propriétaire !

  Amélia relâche un soupir et pose une main sur sa poitrine. Rien d’inquiétant, elle arque un sourcil, bien au contraire. Elle ouvre la porte.

Il enlève sa casquette dès qu’il aperçoit Amélia.
  — Désolé de vous importuner à cette heure-ci, s’excuse-t-il en replaçant ses cheveux décoiffés.
  — Bonjour ! Ce n’est rien… balbutie-t-elle en jetant un coup d’œil nerveux derrière lui.
  — J’espère ne pas vous avoir trop effrayée. Je suis désolé si je vous ai fait peur, ajoute-t-il, gêné de la voir si tendue.
  — Oh non pas du tout! Je suis heureuse que ce soit vous.

Un sourire se dessine sur le visage anguleux d’Adam.
  — Pour tout vous dire, c’est ma tante qui m’envoie. Elle a des difficultés à se déplacer et m’a demandé de venir vous voir pour vérifier que vous n’aviez pas eu de souci à cause de la tempête.

Son ton est sincère, mais Amélia peine à détacher son regard de ses yeux d’un vert intense.
  — Oh ! Remerciez votre tante, et vous pouvez la rassurer : je vais bien. Il y a juste eu quelques petits dégâts dans le jardin. Si vous voulez voir, entrez, je vous en prie.

  Adam franchit le seuil, et, lorsqu’il passe devant elle, une fragrance musquée l’enveloppe. Elle ne peut s’empêcher de détailler son dos, ses épaules larges, et son bermuda bleu qui met en valeur sa silhouette athlétique. Un instant, elle se surprend à imaginer ses mains glissant sur ses biceps, puis sur sa poitrine. Elle l’enlacerait et sentirait la chaleur de son corps tout contre le sien…

  Elle se ressaisit violemment. Qu’est-ce qui lui prend ? Elle est ici pour faire un break et non retrouver son ryhtme d'avant. Elle ne va pas lui sauter dessus, ni lui faire un sourire enjoleur, ni même le manger des yeux. Elle va juste se contenter d'agir comme une simple locataire qui reçoit la visite du proprio. Enfin le neveu du proprio...

  — Je vais faire le tour du jardin pour constater les dégâts, annonce-t-il.

  — Monsieur ?

  Il se retourne vers elle.

  — Adam.

  — Pardon ?

  — Appelez-moi Adam.

   Son sourire la déstabilise. D’ordinaire sûre d’elle, Amélia sent son assurance flancher en croisant son regard émeraude, et cette fossette qui se creuse lorsque ses lèvres pleines s'étirent.

  — Adam ? répète-t-elle bêtement.

  — Oui, répond-il d'un air amusé.

  Ah, ce sourire... Il lui faut un effort certain pour ne pas se liquéfier sur place.

  — Vou… voulez-vous boire quelque chose ? bégaye-t-elle.

  — Un thé ne serait pas de refus, merci.

   Tandis qu’Adam nettoie les débris, Amélia file dans la cuisine, une main plaquée sur sa poitrine comme pour calmer ce traître de cœur qui s’emballe sans son autorisation.

  Pendant que la bouilloire chauffe, elle jette un coup d’œil par la fenêtre. Dehors, Adam travaille avec application. Il replace la table et les chaises sur la terrasse, puis le temps d’un moment, il s’arrête et fixe la maison. Une ombre de mélancolie passe fugacement dans son regard. Puis, comme si de rien n’était, il reprend ses tâches.

  Amélia se demande ce que cela peut signifier. Elle en mettrait sa main à couper : pendant un court instant, il avait l’air triste.

  Intriguée, elle prépare un plateau avec deux tasses fumantes et quelques biscuits, puis le dépose sur la table du jardin. Elle saisit un mug, et se dirige vers Adam, se répétant mentalement tel un mantra: Ne le drague pas, ne le drague pas, ne le drague pas…

  Mais alors qu’elle s’avance vers lui, une masse poilue surgit à ses pieds.

  Elle trébuche.

  Tout se passe en une fraction de seconde : ses mains se tendent, le récipient bascule, le thé s’échappe évitant de justesse sa peau… Et elle tombe. Alors qu'elle pensait s'humilier devant le plus bel homme du coin, deux bras puissants la rattrapent in extremis. Son corps percute le sien. Son souffle se suspend.

  — Vous allez bien ? Vous ne vous êtes pas brûlée ? s'inquiète Adam.

  Amélia, toujours collée à lui, peine à articuler une réponse.

  Il esquisse un sourire amusé.

  — J’en déduis que non.

  Elle s’éloigne précipitamment, les joues en feu.

  — Wouf !

Un magnifique colley australien au poil mi-long, noir et blanc, les regarde, visiblement ravi de la situation.

  — Orthos ! Je t’avais dit de rester à la maison ! proteste Adam.

  Ce dernier baisse les oreilles. Cependant Adam, ne peut résiter à le caresser avec affection avant de se tourner vers elle.

  — Désolé pour ça.

  Amélia secoue la tête, encore troublée.

  — Ce n’est rien. Il est superbe ! Elle se baisse et enfonce ses mains dans le pelage de l’animal, qui en profite pour lui lécher le visage en retour.

   Elle rit, attendrie par cette boule de poils, et, au fond d’elle, la remercie de l’avoir fait trébucher pour qu’elle atterrisse dans les bras de ce bel homme.

  — Il n’est pas méchant, c’est un joueur qui adore les câlins.

  Tous deux, accroupis, caressent le chien, heureux de recevoir autant de papouilles en même temps.

  Un raclement de gorge interrompt soudain cet instant de complicité.

  — Amélia ?

  Le sourire qui illuminait son visage en présence d’Orthos et d’Adam s’efface instantanément, son cœur rate un battement.

  Cette voix, elle la connaît trop bien. Celle qui, autrefois, la faisait vibrer… mais qui, il y a peu, lui a aussi inspiré de la crainte.

  L’air se fige autour d’elle.

  Lentement, son attention se glisse vers une silhouette à contrejour, debout, près de la petite barrière qui mène à la plage.

  Adam à côté se redresse, son regard oscillant entre Amélia et le nouvel arrivant. Il la perçoit se crisper.

  — Tu le connais ? demande-t-il doucement.

  Amélia ne répond pas tout de suite. Son esprit tourne à toute vitesse. Pourquoi maintenant ? Pourquoi ici ?

  — Oui… murmure-t-elle enfin.

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