Le pacte - partie une

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Je me réveille dans un grand lit à baldaquin, dont les rideaux rouges sont fermés. En repoussant les couvertures, je constate que je suis vêtue d'une longue chemise de nuit. Qui est-ce qui m'a changé et, surtout, que je fais-je ici ? Où suis-je ?

Mes souvenirs viennent répondre à mes questions : j'ai accepté de suivre cet inconnu dans sa demeure pour écouter sa proposition. Je dois donc certainement me trouver dans sa maison. Je prie juste pour qu'il n'ait pas osé prendre la liberté de me changer, auquel cas je m'assurerais de le lui faire regretter. . .

Je tire les rideaux pour m'extirper du lit, lorsque je vois deux femmes aux longs cheveux blonds retenus en un chignon se tenir droites face à moi, les mains jointes sur leur tablier à la bordure en dentelle blanche. Elles portent un uniforme de femme de chambre à la française orné de rubans au col et au sommet de leurs bas noirs. Elles s'inclinent respectueusement en me disant :

- Bonsoir.

- Qui êtes-vous ?

Elles se redressent et plongent leurs regards dans le mien pour me répondre, révélant leurs iris écarlates :

- Notre maître, qui vous a amenée ici, nous a ordonné de vous apprêter pour le repas de ce soir, m'explique l'une d'entre elles, pendant que l'autre me tend sa main gantée de blanc.

Je lui tends la mienne avec méfiance et elle m'aide à me lever d'un geste ferme, mais souple et délicat. Elles commencent par me conduire dans la salle de bain attenante et tentent de me retirer mon vêtement, mais je m'écarte vivement en leur assurant :

- C'est bon ! Je peux me laver moi-même. J'aurais juste besoin d'affaires pour me rhabiller une fois que j'aurai fini. . .

- Nous pouvons vous laisser prendre votre bain seule si tel est votre désir, mais je crains que la tenue que nous vous avons préparée ne soit compliquée à mettre seule, me prévient l'une des deux femmes.

Quel genre de tenue ont-elles bien pu me réserver pour que je ne sois même pas capable de l'enfiler seule ? Pressée de me retrouver en toute intimité pour me baigner, je les congédie :

- Nous aviserons plus tard. Pour le moment, je souhaite être seule.

- Bien, mademoiselle, disent-elles en s'inclinant en choeur.

Elles restent courbées lorsqu'elles s'éloignent à reculons. Une fois la porte de la salle de bain fermée, je retire la chemise de nuit pour me glisser dans la baignoire. L'eau chaude me fait un bien fou ! Je sens tous mes muscles se détendre et pousse un soupir de satisfaction. Je reste ainsi pendant quelques minutes, totalement immobile, profitant du bien-être que me procure la chaleur de cette eau. Pendant ce temps, je m'interroge sur mon hôte. Hormis qu'il est beau, qu'il a de drôles de goûts vestimentaires, qu'il travaille dans le commerce et qu'il peut m'aider à assouvir pleinement ma vengeance, je ne sais rien de lui. Oh, sa maison me donne quelques indices, comme le fait qu'il apprécie vraiment tout ce qui est ancien, au vu du décor classique de la chambre et de la salle de bain, et qu'il doit être fortuné pour avoir pu se procurer des objets d'un tel luxe, mais ça ne suffit pas à bien connaître quelqu'un. Je ne sais même pas comment il s'appelle. . .

Comprenant que réfléchir ne me permettra pas d'en savoir plus, je me décide à savonner mes cheveux et mon corps, puis rince le tout et enfile un peignoire certainement laissé à mon intention.

Quand j'ouvre la porte de la salle de bain pour rejoindre la chambre, je trouve les deux domestiques pointées à l'entrée de celle-ci. Elles s'écartent pour me céder le passage, puis se dirigent vers les vêtements qui ont été alignés sur le lit pendant mon absence et reviennent, l'une avec des bas blancs, l'autre avec une chemise.

- Ça va, leur dis-je. Je peux les mettre moi-même.

Elles me les confient et se retournent. J'en profite pour enfiler ce qu'elles m'ont donné, puis leur lance :

- C'est bon. Quelle est la suite ?

Je grimace en constatant qu'elles approchent avec un corset. Non seulement je me rends compte que je vais fort probablement finir affublée d'une tenue datant de la même époque que celle de mon hôte, mais en plus, je sais à quel point porter ce sous-vêtement peut être une réelle torture. . .

Elles le placent sur mon corps, puis l'une d'entre elles me contourne pour le lacer dans mon dos. Je m'attends à me retrouver étouffée, mais à ma grande surprise, elle se contente de l'ajuster à ma taille. Comprenant sans doute la raison de mon soupir de soulagement, celle qui me fait face m'explique :

- Ce n'est pas un corset baleiné, il n'enserre pas la poitrine. ll se contente de la soutenir et ne peut donc pas entraver votre respiration. Nous avons pensé qu'il vous serait donc le plus agréable à porter.

- Oh. . . Merci pour cette délicate attention.

- Nous ne faisons que notre devoir, répond-elle en s'inclinant.

Quand sa collègue finit de lacer le corset, elles me passent une crinoline en métal, un jupon, puis une robe rouge à étages et à manches courtes découvrant les épaules, serrée à la taille par un ruban noir. Le décolleté est orné de dentelle du même blanc que les longs gants de soie qui accompagnent le tout. Le buste, quant à lui, est orné de brodures en or représentant des plantes entrelacées.

Elles m'aident ensuite à m'asseoir face à la coiffeuse, tâche rendue ardue par la crinoline que je porte, et s'attaquent à mes cheveux. Bien qu'elles prennent soin de les démêler avec douceur pour ne pas les abîmer, leur lutte contre les noeuds qui se sont renforcés de jour en jour m'arrachent quelques grimaces de douleur. Elles parviennent malgré tout à les rendre lisses et soyeux en quelques minutes, puis m'affublent de la fameuse coiffure de l'impératrice Élisabeth d'Autriche sur le portrait de Franz Xaver Winterhalter, allant même jusqu'à me piquer dans les cheveux des étoiles, non pas de diamant, comme sur le tableau, mais de rubis, qui se marient mieux avec ma robe écarlate.

Elles ajoutent quelques bijoux assortis pour compléter la tenue, puis me passent aux pieds des chaussures à talons noires. Au moment où je m'apprête à me relever, pensant que nous en avons enfin fini, elles appliquent une pression sur mes épaules, me contraignant à me rasseoir.

- Nous ne vous avons pas encore maquillée, se justifie l'une des deux.

Je pousse un soupir de résignation et les laisse m'appliquer divers produits sur la figure. Elles blanchissent ainsi mon teint, rougissent ma bouche, passent une touche de rose sur mes joues devenues pâles à cause de tout ce que j'ai traversé, puis posent du mascara sur mes cils, se contentant de faire briller mes paupières sans leur donner de couleur.

- Maintenant, vous voilà prête, déclarent-elles en choeur.

Elles m'aident à me relever et me conduisent hors de la chambre. Nous traversons un long couloir muni d'un tapis rouge. Les murs sont ornés de chandeliers en or, de miroirs et de portraits représentant tous le propriétaire des lieux. N'a-t-il donc aucune famille ?

Nous arrivons devant un grand escalier et j'aperçois mon hôte en bas de ces derniers. Les bras croisés dans son dos, il semble m'attendre. Les deux femmes s'immobilisent et je comprends que je dois poursuivre seule. Je commence donc à descendre avec précaution les marches, tout en tenant les pans de ma robe pour ne pas marcher dessus. Ma lenteur et ma maladresse semblent amuser l'homme, car il m'observe faire en souriant. Vexée, je décide d'accélérer le pas pour le détromper, mais je ne réussis qu'à perdre l'équilibre. Je lâche en cri pendant que je tombe en avant, redoutant le moment où ma tête touchera le sol, mais il n'en est rien. Au lieu de ça, mon front cogne le torse de mon hôte et je sens ses bras m'envelopper. Comment a-t-il fait pour me rejoindre aussi vite ?

Ce dernier m'aide à me relever en riant doucement. Je fronce les sourcils, mais le laisse prendre ma main et nous finissons de descendre ensemble. Quand nous arrivons en bas, il me tourne autour pour m'observer sous toutes les coutures, puis rend son verdict, accompagné d'un sourire charmeur :

- Tu es ravissante.

- À quoi rime tout ça ? Je pensais que nous devions parler de votre proposition.

- Nous allons en discuter tout en mangeant.

Il m'offre son bras. Je pense à le repousser, puis je me dis qu'il serait plus sûr de l'accepter pour éviter de retomber. Nous nous rendons ainsi jusqu'à la salle à manger et nous installons chacun au bout d'une longue table garnie de plats en tous genres : salades et potages côtoient un rôti de porc et des desserts.

- J'ai demandé à ce que tout soit servi en même temps afin que mes serviteurs ne viennent pas couper notre passionnante conversation, m'informe-t-il en saisissant une bouteille de vin rouge.

Il quitte sa chaise pour venir me servir, puis retourne à sa place et remplit lui-même son verre en poursuivant :

- Je t'ai promis de t'aider à assouvir ta vengeance, mais tu te doutes bien que je ne fais rien gratuitement. Voilà pourquoi je te propose de devenir mon assistante personnelle. En plus d'être nourrie, habillée et logée, je t'offrirai, le moment venu, la possibilité de faire souffrire toute l'Humanité, en représailles de ce qu'elle t'a fait subir. Qu'en dis-tu ?

- La proposition me semble trop alléchante, rétorqué-je. J'ai bien plus à gagner que vous dans cette histoire, ce n'est pas normal. Un fin négociateur s'assure au moins de faire part égale.

- Excuse-moi, j'ai peut-être oublié de préciser qu'en entrant à mon service, tu acceptes de me vendre ton âme.

- Pardon ?

- Tu as bien entendu. Si tu deviens mon assistante personnelle, je prendrais soin de toi et t'aiderais à accomplir ta vengeance, mais ton âme sera mienne pour l'éternité.

J'éclate de rire :

- Ha ha ha ! Quelle bonne blague ! lancé-je en avalant une gorgée d'alcool. Vous vous êtes pris pour le Diable ?

C'est à son tour de rire :

- Ha ha ha ! Bien sûr, puisque je suis le Diable. . .

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