Un démon attachant

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- Peux-tu me promettre que ça marchera ? demande-t-elle en tenant la plume d'une main tremblante.

- Tu as ma parole, Simonne, ainsi que celle du Diable.

Elle renifle pour tenter de lutter contre ses larmes, puis appose sa signature sur le parchemin. L'écriture est déformée par le tremblement de sa main, mais qu'importe : elle s'est engagée. J'ai encore une fois réussi.

Comme la fois précédente, Lucifer approche et fais apparaître une petite flamme au bout de son index, avec laquelle il inscrit son nom sur le document. Notre cliente pousse un cri de surprise et de terreur mêlées en demandant :

- C. . . C. . . Comment est-ce possible ? Qui est-ce qui. . . Oh. . . Alors il existe vraiment ? Il. . . Il est là ?

Elle dit ces mots en scrutant les alentours d'un regard craintif, tout en tremblant de façon incontrôlable.

Je sens soudainement la main de Lucifer se poser sur mon épaule et, avant que je n'ai le temps de me retourner pour lui demander ce qui lui prend, la porte de la chambre s'ouvre à la volée, laissant apparaitre Thomas. Il jette un coup d'oeil circulaire à la pièce, puis, remarquant l'état de choc et de panique de sa femme, il lui demande :

- Qu'est-ce qui t'arrive ? Pourquoi as-tu crié ?

- Euh. . . Je. . . bredouille-t-elle en regardant autour d'elle d'un air perdu.

Je comprends aussitôt que je suis à nouveau devenue invisible à ses yeux.

- Eh bien ? s'impatiente son époux. Tu n'as aucune explication à me donner ? C'est toujours mieux que l'excuse ridicule de tout à l'heure pour tenter de justifier la raison pour laquelle tu t'es embellie.

- Thomas. . .

Ce dernier pousse un long soupir, puis tourne les talons en déclarant :

- Laisse-tomber. Fais ce que tu veux. Je sors.

Quelques secondes plus tard, la porte d'entrée claque. Simonne fond à nouveau en larmes. Nous restons là, à l'observer pleurer. Lucifer esquisse un sourire sadique, se léchant de temps à autre les babines, tandis que son regard écarlate brille de gourmandise. Pour ma part, ma langue reste évidemment dans ma bouche, mais je ne peux m'empêcher d'afficher une mine ravie en voyant l'une de celles qui m'a abandonnée à mon sort souffrir.

Quand, enfin, elle s'endort, nous quittons sa chambre pour nous rendre dans celle de la petite Mia. Elle dort à poings fermés dans son lit orné dans le thème des princesses, serrant contre elle une licorne en peluche. Je contemple sa bouille d'ange innocent pendant de longues secondes, puis demande d'une voix qui se veut impassible :

- Nous allons donc devoir la tuer ?

- Regretterais-tu le choix de la dette ?

- Absolument pas ! m'écrié-je en serrant les poings, sans doute plus pour me convaincre moi-même que pour le persuader.

- Tu sais, tuer des enfants dans la torture est amusant, mais l'inconvénient est que s'ils meurent en petits innocents, ils entrent directement au Paradis sans même passer par la case du jugement. Il est hors de question que j'offre à un misérable être humain cette chance. Je vais donc m'arranger pour qu'elle vive aussi longtemps que nécessaire, annonce-t-il avec un sourire cruel, même si ce n'est bien sûr pas moi qui décide de ce genre de choses, ajoute-t-il entre ses dents avec un air frustré.

Il prend une grande inspiration, puis reprend d'un air calme et confiant :

- Laisse-moi m'en occuper. Un couple auquel j'avais soutiré un pacte vient enfin d'honorer sa dette. Ils seront ravis de cette petite, je n'en doute pas.

- Qu'en est-il de Simonne ? Vous êtes vraiment capable de la faire revenir dans le passé ?

- Tu n'es tout de même pas aussi crédule que cette pauvre femme, me lance-t-il avec sourire moqueur.

- Oh, mais alors. . . lâché-je, choquée qu'il se soit engagé dans un pacte dont il ne puisse pas honorer sa part.

- Elle aura l'impression d'être revenue en arrière et d'avoir changé les choses, m'explique-t-il. Je ne peux pas contrôler le temps, mais je peux influencer la mémoire humaine. Tu as encore fait du bon travail, Malicia, m'assure-t-il en caressant mes cheveux bruns. Laisse-moi maintenant m'occuper du reste.

Un tourbillon de flammes m'entoure aussitôt et, lorsqu'il se dissipe, j'aperçois Tsad, à l'emplacement où se trouvait son maître quelques secondes plus tôt. Les mains croisées dans le dos, il me sourit sous son épaisse moustache blanche :

- Bonsoir, mademoiselle, et bon retour à la maison. Le repas est servi et n'attend que vous.

Il me fait signe de le suivre et je lui emboîte le pas jusqu'à la salle à manger, où il me tire une chaise, sur laquelle je m'assieds. Mon regard est attiré vers la place d'en face, qui est naturellement vide, me laissant une impression de grande solitude. . .

Une fois mon repas avalé, je regagne ma chambre. Je trouve Mimi et Sassa en train de finir de préparer mon lit pour la nuit. En remarquant mon arrivée, elles plongent dans une révérence respectueuse :

- Bonsoir, mademoiselle. Comment allez-vous ? demandent-elles d'une même voix.

- Je vais bien, merci. Et vous ? Ça va ?

Elles se contentent d'acquiescer en souriant. Je m'installe sur le lit, puis pousse un long soupir, qui pousse Sassa à s'enquérir :

- Êtes-vous sûre que tout va bien ?

- Hein ? Oui, c'est juste que. . . Je n'avais encore jamais mangé sans Lucifer dans cette demeure. Ça m'a fait bizarre. Je me suis sentie étrangement seule alors que j'étais entourée de Tsad et des autres domestiques chargés du service.

- Il me semble que notre seigneur vous fait toujours la conversation à table, raisonne Mimi, ce qui n'est pas le cas d'oncle Tsad et des autres. Ça explique peut-être votre sentiment de solitude.

- Certes, mais. . . Je pense que ce n'est pas tout. J'ai dû m'habituer à la présence constante de Lucifer, malgré le peu de temps depuis lequel je le connais, ce qui fait que je vis son absence comme un manque. C'est troublant. Je ne m'étais encore jamais attaché à quelqu'un aussi rapidement. . .

Je ne m'étais encore jamais non plus confiée à quelqu'un aussi facilement. Peut-être est-ce leur bienveillance et leur innocence qui me conforte autant. La couleur de leurs iris témoigne de leur nature démoniaque, mais, contrairement à leur maitre, rien dans leur regard ou leur attitude ne me glace le sang. J'en oublie parfois qu'elles sont des démones. Elles ont l'air si. . . humaines. . .

- Nous sommes aussi attachées au seigneur Lucifer, m'assure Sassa avec un large sourire. Nous n'aurions jamais pu survivre jusqu'ici, sans lui. . . ajoute-t-elle avec une pointe d'émotion dans la voix, pendant que son regard se perd dans le lointain, comme si elle revenait dans le passé. . .

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