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C'est en s'infiltrant derrière une double porte métallique que Semi découvre un accès aux souterrains de Medera. Des tunnels, autrefois aménagés pour transporter les humains d'un bout à l'autre de la cité dans de grandes boîtes argentées de forme fuselée. Il y fait noir, le sac et l'inconnu pèsent sur ses épaules et Hapy se montre agité. Mais ils n'ont pas le choix. Le sable s'engouffre avec le vent à travers toutes les ouvertures qu'il trouve et le risque d'effondrement est plausible.

Ils descendent après que Semi ait allumé la petite lampe torche qu'il garde accrochée à la poche de sa veste. Le sol est glissant et la visibilité, réduite à cause de son masque. Une poussière noire et crasse se dépose sur ses vêtements à mesure qu'il avance. Elle habille les murs et tout ce qu'il est susceptible de toucher pour garder l'équilibre.

  • C'est vraiment une idée de merde de descendre là-dessous, grogne-t-il.

Mais ce sont des tunnels. Il existe forcément une ou plusieurs sorties. Si le poids mort qui ronfle sur ses épaules pouvait se réveiller, la progression serait plus facile. D'autant qu'ils n'ont que deux heures pour quitter la ville sans trop de dégâts sur leurs organismes. Alors il marche, ignore le cri agonisant de la structure d'acier à chaque bourrasque de vent et déambule au milieu de morceaux de métal et de câbles emmêlés. Il pense aux premiers colons qui ont vécu la Première Calamité, un hiver volcanique qui a réchauffé le climat et changé le paysage pour ce qu'il est aujourd'hui : sec, aride, où seuls les plus forts parmi la faune, la flore et une poignée d'humains ont pu survivre. Ce qui s'est passé ensuite ? Difficile à dire, mais toutes les légendes évoquent Apollonia, l'étoile qui brille plus fort que toutes les autres dans le ciel de Pax Prima. En vérité, ce n'est pas important aujourd'hui. Ce qu'il faut, c'est résister, braver la mort qui guette derrière chaque dune, prenant la forme d'une bête féroce aux crocs acérés, d'un frère affamé ou d'une tempête de sable blanc dans laquelle gronde un tonnerre assourdissant.

Semi a besoin d'une pause. Les muscles engourdis, il décide de s'arrêter dans l'une des cabines en métal qui accueillaient autrefois les voyageurs et qui gisent, maintenant, la plupart couchées dans les ténèbres de la Citadelle. Il imagine comme ça devait être confortable à l'époque. Ou plutôt, il fantasme. Quand il dépose son paquet sur l'un des sièges abîmés, il voit l'homme qui devait se rendre à son travail au moment où, à des milliers kilomètres de là, la roche basaltique en fusion se préparait à jaillir des profondeurs pour se déverser en un raz-de-marée de feu liquide ; il voit la petite fille tenant la main de sa maman pour se rendre à l'école, ce lieu dont les Anciens racontent qu'on éduquait les enfants pour en faire de futurs membres productifs de la société ; il voit les visages inquiets lorsque le sol s'est mis à trembler sous leurs pieds et que tout s'est arrêté. Les Anciens disent que l'éruption du Thyatira a duré tout un cycle, bouleversant l'équilibre naturel. Ils disent que le ciel s'est obstrué, que ceux qui n'étaient pas morts par le feu avaient péri par l'air, et que la seule chose qui avait permis à l'humanité de survivre, hormis sa folle obstination, était d'avoir creuser pour se protéger de la colère de Pax Prima.

Peut-être qu'ils ont raison. Les Anciens, il y en a de moins en moins et une bonne partie n'est qu'une bande de vieux détraqués qui radotent et déforment des propos qu'on leur a rapportés. D'ailleurs, le Protectorat les chasse de Damzaat lorsqu'ils font trop de zèle. Ils excitent les foules et font peur aux crédules quand le Protectorat veut instaurer l'ordre – le sien –, quitte à terroriser les déviants.

La terreur, c'est le mot... Semi soupire. L'heure n'est pas à la réflexion. Et il sait que Medera n'a pas chuté directement à cause d'un volcan. Elle a servi d'abris pour les réfugiés climatiques, et c'est justement dans ces vieux tunnels qu'on trouve la trace de leur passage. Il souffle. Le fardeau qu'Hapy lui a imposé – con de chien – est toujours inconscient. Il se penche au dessus de son corps amolli sur le siège. Il n'a pas eu le temps de le fouiller ; il va le prendre maintenant. Il le détaille : ses protections sont sommaires. Il porte bien un masque qui, à vue d'œil, a l'air efficace, dissimulant ses traits et même son regard derrière du verre teinté. Mais sa veste kaki est trop légère et ses gants – plutôt des mitaines – ne servent à rien en l'état. Une chose est sûre, il est blanc. Trop pour un pilleur. Et maigre. Son treillis flotte sur les cannes qu'il a en guise de jambes. Peut-être a-t-il voulu fuir la misère en s'aventurant dans Medera en quête de quelque chose à troquer. Mais il a des coupons. Tellement que c'en est stupide de se balader avec dans les Terres Désolées. Pourquoi est-il ici quand il possède un tel trésor sur lui ? Il devrait mener la grande vie dans les tunnels de Damzaat, trinquer à la santé du Gouverneur et coucher entre les plus belles cuisses de la cité. Un fou. Encore un...

Semi s'étonne de ne trouver aucune arme sur lui. Rien. Pas même une lame bricolée à la va-vite pour se défendre en cas d'agression. Inconscience ou stupidité ? Au moment où il approche sa main lourdement gantée pour soulever son masque et découvrir son visage, tout à coup, l'inconnu se réveille et se jette sur lui en poussant un cri de dément. Ils tombent au sol.

  • Eh ! Attends ! proteste Semi, tandis que son assaillant tente de trouver une prise autour de son cou.

Mais il n'écoute pas, sûrement persuadé d'être engagé dans une lutte pour sa vie. Ce sont les grognements de Hapy dans l'obscurité qui le font sursauter.

  • À ta place, j'éviterais de le contrarier. C'est lui qui t'a sauvé.

Profitant de sa confusion, Semi lui assène un coup au visage qui l'envoie sur le côté et l'immobilise d'un genou sur la poitrine avant de le menacer de son surin. Il entend sa respiration contrariée derrière son masque. Elle pue la crainte et l'effroi. Il appuie plus fort pour être certain qu'il sent la pointe de sa lame à travers ses vêtements.

  • Qu'est-ce que vous voulez... ?

C'est une voix jeune et terrorisée qui résonne dans l'habitacle.

  • Qu'est-ce que je veux ? répète Semi. C'est toi qui m'as sauté à la gorge alors que j'essaie de te sauver.
  • Que... ?
  • J'ai buté le mec qui t'en voulait. Tu ferais mieux d'être reconnaissant.

Un silence.

  • Il est... mort ? demande l'inconnu.
  • J'espère bien. Je lui ai fracassé le crâne à coups de barre de fer. C'était un coriace.

Semi l'entend hoqueter sous son masque. Ou est-ce un sanglot ? Peu importe. Les faibles n'ont pas leur place dans le désert. Il devrait s'estimer heureux d'être tombé sur lui.

  • Tu dois être blessé, non ? interroge-t-il finalement. Il t'a projeté contre un mur et t'as perdu connaissance.

Il sent ses mains se desserrer autour de ses poignets et les voit glisser lentement à l'arrière de son crâne. Oui, il est blessé.

  • On peut pas rester ici si tu veux être soigné.
  • Pourquoi tu m'aides ?
  • C'est pas gratuit.

Ils se taisent. L'inconnu sait qu'il fait allusion au contenu de son sac.

  • Laisse-moi les carnets, dit-il, plus calme.
  • Les gribouillages ? Qu'est-ce que tu veux que je foute avec ça ? Non, ce qui m'interpelle, c'est pourquoi t'as autant de coupons sur toi. Où est-ce que tu les as trouvés ?

Pas de réponse.

  • Tu peux pas les avoir trouvés ici, poursuit-il. Ils sont neufs, parfaitement enroulés sur eux-mêmes, et c'est le Protectorat qui a mis en place ce système pour faciliter le troc et contrôler le commerce. Alors quoi ? Tu les as volés ? T'as braqué un de leurs convois ? C'est pour ça que t'es venu te cacher dans ces ruines ?
  • Ce n'est pas ça...
  • Alors c'est quoi ?

Toujours rien. Il n'est pas décidé à parler.

  • Très bien, conclut Semi. Ils sont à moi maintenant. T'aurais dû faire attention. À commencer par te procurer une arme pour te protéger des gens comme moi et l'autre colosse. Qu'est-ce qu'il te voulait d'ailleurs ?
  • Alors ?
  • La même chose que toi je suppose...
  • J'en connais pas mal des pilleurs. Aucun avec ce genre de marques sur le visage et certainement pas assez fous pour s'aventurer dans les zones irradiées sans masque...
  • Peut-être qu'il était vraiment fou alors...

Semi n'aura donc pas la réponse. Ça se comprend. Au moins, il n'est pas complètement idiot. Le pilleur a d'autres questions mais Hapy se met à grogner de son côté. L'écho étouffé de pas rapides leur parvient. Semi se penche et chuchote :

  • On n'est pas tout seuls...

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