Qu’est-ce qu’un démon ? Dans l'imaginaire collectif, c'est un être maléfique et puissant, venant d'un monde sombre et mystique. Mais laissez-moi vous révéler ce qu'est vraiment un démon. Nous ne sommes pas des entités autonomes nées dans les profondeurs de l'enfer. Non, nous sommes créés par les humains, indirectement. Les pensées des hommes engendrent des démons. Il en existe une multitude : le démon de la paranoïa, celui du nihilisme, le démon de la discipline, le démon Homelander... Chaque pensée humaine, chaque concept abstrait peut donner naissance à un démon, faisant de nous l'espèce la plus vaste et diverse qui soit. Il est impossible de tous les recenser car de nouveaux démons apparaissent à chaque instant. Même un démon Zeta pourrait voir le jour si suffisamment de personnes y pensent assez longtemps.

Le premier démon est aussi vieux que le premier homme. Nous avons toujours été là, depuis les débuts, mais à nos origines, nous n'étions pas des êtres physiques. Nous n'étions que des entités invisibles, des ombres capables d'influencer légèrement le monde sans jamais l'affecter directement. Mais un jour, un démon a changé le cours de notre existence : le démon de la matérialisation. Sa pensée était si abstraite qu'il semblait inutile, jusqu'au moment où il a réussi à nous donner une forme physique, avant de disparaître à jamais.

Avec cette nouvelle enveloppe de chair, nous pensions pouvoir enfin explorer le monde humain. Mais dès notre apparition, les hommes nous ont chassés. Nos formes monstrueuses étaient suffisantes pour justifier leur haine et leur violence. Nous avons été traqués, tués, un par un. Seuls quelques-uns d'entre nous ont survécu en se transformant, en adoptant des apparences humaines pour passer inaperçus. C'est ce que j'ai fait. Je suis le démon de la Purge. J'ai choisi de prendre l'apparence d'une femme aux longs cheveux, espérant ainsi me fondre dans la masse.

Ma première rencontre avec les humains fut troublante. Je déambulais dans les rues des grandes villes, fasciné par leur architecture et leur culture. Tout semblait fonctionner autour de l'argent et du travail, un système étrange mais logique, garantissant que chacun ait une raison de contribuer à la société. Mais pour moi, qui arrivais sans repères ni identité, il était difficile de comprendre comment m'intégrer. Je ressentais une aura de méfiance autour de moi, les gens semblaient instinctivement me repousser. Alors, comme bien d'autres, je me suis retrouvé à vivre dans la rue, errant parmi les sans-abris.

C'est là que j'ai eu ma première vraie interaction avec un humain. Un vieil homme, aussi perdu que moi, partageait ses histoires de vie, ses pertes, ses petites joies. Pour lui, parler de ses souvenirs, même les plus banals, apportait un peu de réconfort dans ses journées sombres. Un jour, par simple geste de compassion, j'ai touché sa main. Aussitôt, il s'est effondré, mort sur le coup. J'ai compris alors que, sous cette forme physique, j'avais des capacités spécifiques. Mon pouvoir : voler l'espérance de vie de ceux que je touche, même à travers leurs vêtements. Seule la soie semble être une barrière à cet effet funeste.

Cette révélation m'a bouleversé. Voir des gens mourir par ma faute, sentir leur vie s'écouler entre mes doigts, cela me hante. Les souvenirs de chaque mort que j'ai causée reviennent sans cesse, me tourmentant. Pourquoi sommes-nous arrivés à cette existence ? Pourquoi un être comme moi existe-t-il ?

Quelques années après mon arrivée, le pays que j'avais choisi pour habiter, la France, entra en guerre contre l'Allemagne. Ce furent six années d'horreur et de chaos. Sous l'occupation allemande, j'ai été témoin des pires atrocités de l'humanité. Des armes de destruction massive utilisées sans remords, des innocents massacrés. En tant que démon, immortel par nature, j'étais condamné à voir ces crimes sans fin. Avec d'autres démons, nous avons tenté de nous intégrer dans cette société humaine, de paraître normaux, en usant de ruses et de déguisements. Certains parmi nous ont même trouvé des moyens de s'infiltrer dans la médecine pour mieux cacher notre nature.

Lorsque la guerre prit fin, j'ai décidé de changer d'identité. En changeant de forme, j'ai opté pour celle d'un homme, correspondant mieux aux standards de beauté humaine, espérant que cela rendrait la vie un peu plus facile. Mais même en tant qu'homme, la vie n'était pas simple. J'ai rencontré le démon Sanglier, victime de discrimination raciale, et j'ai réalisé que les problèmes humains dépassaient de loin notre propre lutte pour survivre.

Les années passaient, mais je restais, immortel et inchangé. Je voyais ceux que je connaissais disparaître les uns après les autres, tandis que moi, je continuais, inexorablement. J'ai essayé d'établir des connexions, de créer des liens, mais à chaque fois, le résultat était le même : la perte, la douleur, la culpabilité. Les démons sont les seuls à comprendre une partie de mon fardeau, mais même eux ne peuvent ressentir le poids de chaque vie que j'ai écourtée, de chaque âme que j'ai aspirée par inadvertance.

Je me demande souvent quel est le sens de mon existence. Ai-je un but ? Une raison d'être ? Chaque matin, je me réveille sans véritable raison, porté par l'inertie de la survie. J'ai déjà tenté de mettre fin à mes jours, mais sans succès. Le démon de la dépression lui-même a essayé sans y parvenir. Peut-être que les premiers démons ont trouvé une fin, mais nous, nous sommes pris dans cette éternité de tourments.

Et pourtant, je continue. Je suis condamné à exister tant que les humains penseront, créeront. Peut-être que, lorsque l'humanité cessera de penser, alors seulement je pourrai trouver la paix. En attendant, je continue mon voyage sans fin, à la recherche d'un sens, d'une réponse, ou peut-être simplement d'un peu de réconfort dans ce monde où je ne suis qu'une ombre parmi tant d'autres.