12. La danse gitane

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Sidoh était assez égaré. Le jardin de printemps était très beau et sa jeune compagne ne tarissait pas d'éloges à ce sujet.

La jeune fille lui avait été présentée par sa sœur, sous le nom de Licana Silverius, elle avait des cheveux argenté ainsi que des yeux rouges comme les braises encore chaudes de la cheminée. Du point de vue du jeune duc, la jeune fille ressemblait à une petite fille, pas bien grande, curieuse et agitée, il avait eu du mal à la cerner lors de son arrivée, trois jours auparavant.

Elle était une noble bien étrange, bien sûr Levira avait bien omis le fait que sa camarade était un dragon - qui avait failli la dévorer - et l'avait invitée à loger chez elle le temps que Lord Landeila revienne. Le duc se rendait pendant la moitié d'un mois sur les terres des Baskerville.

Licana avait été initiée à l'étiquette par sa nouvelle amie. Il fallait avouer que la jeune fille n'avait aucune manière : elle mangeait comme un titan, marchait pieds nus ( « Ça fait mal aux pieds » disait-elle ), disait tout ce qui lui passait par la tête et ne parlait que d'Ymir. Ymir était un sujet très - voir extrêmement - délicat chez les nobles, cela se comprenait : cette terre n'abrite rien d'autre que des monstres hideux et primitifs incapables de penser. À part Levy aucun nobles n'exerçait la "profession" de Chapardeur et heureusement pour eux, ces gens était des fous, respectés de personne.

Combien de fois Licana avait-elle simuler des repas en compagnie de Levira ? Combien de fois s'était-elle étalée sur le sol du haut de ses escarpins ? Combien de grimaces avait-elle tirées cherchant à atteindre un sourire ? Combien de fois avait-elle du endurer les fausses critiques de la jeune duchesse afin de se retenir à chaque insultes ? Combien de fois Levira avait soupiré d'exaspération ? Combien de fois avait-elle pris la fille-dragon en otage devant les domestiques avant qu'elle ne sorte n'importe quoi ? Combien de fois avait-elle cogné la jambe de son élève de son pied discrètement sous la table ?

Kem quant à lui se contentait d'observer sous le regard meurtrier de sa maîtresse.

Tant de peine en seulement deux jours, le 30e du 8e mois de Miraclis de l'an XII759 Licana n'était pas devenue une aristocrate mais elle ne commettait plus les gaffes des derniers jours, ( les coups d'éventails en papier avaient été très efficaces ).

Sidoh avait posé de nombreuses questions à la jeune novice et celle-ci s'empressait toujours de répondre...mais toutes ses réponses fuyaient la question principale : qui était-elle ?

- Et celle-ci, comment elle s'appelle ?

Licana était penché sur un buisson d'où émergeait une jolie fleur pourpre. Enfin c'était surtout plein de petites fleurs qui étaient tellement proches les unes des autres qu'elles formaient une sorte de sphère colorée.

- Cette plante est une azalée, elle porte aussi le nom de rhododendron, répondit le jeune duc.
- Je crois que je vais retenir azalée, c'est plus facile, répondit la jeune fille.
- En effet, mais c'est plutôt étrange.
- De quoi ?
- D'habitude les gens de la haute classe utilisent les noms scientifiques des plantes, déclara le jeune duc...le sourire au lèvres.

La jeune fille regarda Sidoh de travers.

- Oh yééééh ! Ces mots là ne sont bons qu'à nous écorcher la langue ! Mais bon si ces fous préfèrent se détruire la parole c'est leur problème.

Sidoh regarda sa jeune compagne avec de grand yeux, jamais personne n'avait osé jeté de tel mots à la figure d'un noble. Était-elle inconsciente ? Ou bien courageuse ?

Le jeune duc resta interdit devant la jeune fille aux cheveux argentés. Le jeune homme tourna la tête : Guilhem, le messager No Humano le demandait. Il se posta devant lui et commença :

« La fin du mois se concluant au dernières lueurs de ce jour, le Consistorium demande tous les ducs et conseillés afin que commence la réunion mensuel suivant le rapport des Délateurs. Lord Sidoh Baskerville, vous ainsi que votre père, le duc Vincent Baskerville êtes attendus dans l'Arène. Mes sincères salutations. Albert Humlauch. »

Guilhem partit laissant Sidoh sur l'allée de pavés. Sidoh était épuisé, la fin du mois était toujours une période d'agitation au Consistorium.

Un craquement se fit entendre, et le jeune homme se retourna et vit une azalée devant lui.

- À ton avis c’est mieux de quel coté ?

Licana se tenait devant lui, une azalée dans sa chevelure qu'elle avait décoiffée. Elle se tourna vers une autre fleur qu'elle arracha aussitôt.

- Qu'est ce qui vous prends ?! cria Sidoh. Ces plantes ne sont pas des pâquerettes ! On ne peut pas les arracher comme bon nous semble !

Licana se retint de lui hurler dessus.

Pense à l'éventail, pense à l'éventail, pensa-t-elle.

- Pourquoi cela ? demanda-t-elle calmement. Les fleurs, ça pousse, ça éclot, ça fane. Quitte à faner, autant faner avec grâce.

Alors Levy, je suis toujours un monstre pachydermique et sans manière ?

Elle s'approcha et tendit la seconde fleur au jeune duc, pris au dépourvu :

- Et en plus c'est bon pour le moral, si tu continues à tirer une telle tête tu vas finir par avoir des rides avant l'heure.

Sidoh fixa la jeune fille puis la fleur, jamais personne ne s'était ainsi comporté devant lui...étrangement il se sentit libéré d'un poids considérable.

Voyant que son interlocutrice n'allait pas baisser sa main, le jeune duc prit la fleur et regarda Licana s'éloigner en trottinant, sa robe noire suivant ses mouvements enfantins et assurés.

Sidoh fut le premier surpris lorsqu'on lui fit remarquer le sourire amusé sur son visage, mais il ne parla pas de cette entrevue avec la nouvelle confidente de sa sœur.

Metalicana fut quelques peu déboussolée alors les domestiques se pressaient de toutes parts, amenant de drôles d'instruments ainsi que des tapis rouges persans. Elle croisa Lisa, la femme de chambre en charge de la sienne ainsi que Hanz ,l'horloger, son monocle était bien pratique : les montres à gousset étant la proie de tout les tire-bourses de la ville, le brillant ingénieur avait mis au point une montre aussi fine et aussi transparente que du verre, le tout relié à une chaîne, celle-ci lui servait de monocle et lui seul pouvait voir en une fraction de seconde l'heure qu'il était. Ce petit tour de passe-passe fut longtemps resté inexplicable si bien que l'horloger de la famille Baskerville fut surnommé Das Zeit Auge, l'œil qui voit le temps, un nom qui resta sur l'enseigne de sa boutique depuis cette histoire.

Lisa était gentille et appliquée mais surtout très persévérante, il le fallait bien lorsque l'on s'occupait d'une invité aussi bordélique. Elle était mignonne et Licana - dans toute son honnêteté habituelle - lui avait demandé comment pouvait-elle encore rester en tant que soubrette dans ce manoir : ses manières étaient si adorables et innocentes qu'elle aurait dû trouver un mari depuis longtemps.

Une ribambelle d'homme et de femmes arrivèrent par la porte arrière du manoir. Ils étaient bien différents de tout ceux que Licana avait pu voir : des cheveux sombres, les hommes comme les femmes. Leur peau était cuivrée, les habitants de la ville avaient tous la peau clair. Leurs yeux tout comme leurs cheveux étaient sombres. Alors que les monarques grouillant dans la demeure étouffaient dans leurs robes à cent-mille jupons et leurs chemises de soie doublée d'un manteau de velours sombres, ces gens là n'avait pour habits qu'une simple tunique claire et colorée. Certains des hommes avaient rabattu leur tuniques jusqu'à la taille et dévoilé leur torse, un tissu brodé passant par-dessus leur épaule et attaché à la ceinture. Ils n'avaient pas de chaussure, seulement des chaussons paré des couleurs les plus chaudes que l'on pouvait trouver : rouge, orange, doré, pourpre, violet. Les turbans qui ornaient leur tête laissaient s'échapper quelques plumes et perles flamboyantes tandis que tintèrent les grelots qu'ils portaient aux poignets.

Ils étaient robustes et souriaient. Leurs épaules soutenaient toutes sortent d'objet, un étrange tambour, une étrange guitare ainsi qu'un long tubes de bois gravé curviligne.

L'ambiance était palpable et pourtant, malgré le nombre ahurissant de personnes présentes dans les corridors personnes n'osait s'approcher d'eux...ou plutôt personne n'osait leur gêner le passage. Les femmes pourtant si envahissantes se faisaient toutes petites tandis que les hommes les plus arrogants s'excusaient chaque fois qu'il les gênaient.

Les femmes, ou plutôt la femme car elle était la seule, portait une robe brillante de mille couleurs ainsi qu'un voile tout aussi coloré. Ses yeux clairs parcouraient le manoir avec éblouissement et s'arrêtèrent lorsqu'ils croisèrent ceux de la fille-dragon. Elle sourit et passa son chemin.

Licana traversa les couloirs à l'aveuglette espérant trouver Levira par un heureux hazard. Elle la trouva dans la bibliothèque, Kem endormi sur ses genoux pendant que sa maîtresse somnolait devant un épais livre.

- T'es tout le temps comme ça après une nuit blanche ? demanda Licana. Si c'est le cas je me demande comment ta famille font pour ne pas remarquer tes escapades.
- Bof...C'est pas ça, répondit l'intéressé, c'est juste à cause de mon livre.
- Qu'est ce qu'il a ?
- C'est ennuyeux.
- Pourquoi tu changes pas de roman ?
- Parce que je ne peux m'arrêter quand j'en commence un.

Licana acquiesça, puis se souvint des personnes à la peau cuivrée.

- Au fait c'est qui ces gens avec la peau caramel ?
- Hein ? demanda Levy en tournant la tête.
- J'ai croisé des gens dans le manoir avec la peau couleur caramel.
- Est-ce-qu'ils transportaient des instruments de musique ?!

Le ton de la duchesse avait bien changé, elle était maintenant toute excitée.

- C'est quoi des instruments de musique ?
- Des objets qui font un joli bruit.
- Je sais pas mais ils transportaient de drôles de chose, il y avait un gros bol de bois fermé par un morceau de tissu et aussi des petites boules qui font “diling-diling”.
- Non ! C'est aujourd'hui ?!

Kem se réveilla en sursaut et sauta des genoux de Levira. La jeune fille se leva et partit en courant de la pièce, laissant Metalicana à nouveau seule. Licana regardait la porte d'un air incrédule et s'apprêtait à piocher un livre dans l'étagère quand la porte se rouvrit dans un bruit assourdissant et que la main de la jeune duchesse attrapa le bras de son amie l'entrainant dans les corridors avec une force ahurissante.

Levira traina Licana jusqu'à la grande salle qui était maintenant décoré d'étranges tapisseries, des divinités à six bras en tailleurs, des éléphants blancs, des oiseaux de flammes, des femmes en saris dansant répandant de longues trainée de poudre bleue. Des tapis persans jonchaient au sol, sur ses tapis se trouvaient les tambours, les sitars, les grelots, les vînâs. Une foule de nobles s'étaient agglutinées autour de cette scène exotique. Ils chuchotaient, ils observaient les hommes à la peau cuivrée du coin de l'œil.

- Heureusement que tu me l'as rappelé.

Licana se tourna vers Levira et l'interrogea sur le sens de cette étrange scène.

- Aujourd'hui, l'un des spectacles les plus attendus dans tout le pays va se dérouler devant tes yeux.
- C'est quoi ?
- Une danse des indiens de Grinz ! répondit Kem.
- Les indiens ne vivent qu'à Grinz, du coup chacune de leurs représentations est très attendue, continua Levira.
- D'accord mais ça consiste à quoi au juste ? demanda Licana. Et c'est quoi Grinz ?
- Chut ! Ça commence !

Le son du sitar coupa court à tout les bruits de l'assistance.

La femme à la peau halée retira son voile. Elle se planta devant les mille paires d'yeux qui la fixaient. Ses jambes allèrent à droite, puis vers la gauche. Ses bras décrivirent des courbes dans les airs.

Licana ne sut ce qu'il se passait, elle n'était plus dans le salon. Elle appela Levy mais ne la vit pas.

Elle se trouvait dans un jardin, les arbres étaient secoués par le vent. Les fleurs arrogantes se pavanaient, les haies étaient taillées, le sol était dur : des dalles de grès rose. Un magnifique jardin taillé digne d'un conte de fée.

« Joues avec moi Metalicana. »

Le dragon tourna la tête. D'où provenait cette voix ?

« Tu viens ? »

Licana scrutait le paysage sous tout les angles.

« Je m'ennuie moi toute seule ! »

Encore une fois, la petite voix s'intensifiait.

« Tu veux pas jouer ? »

- MAIS OÙ ES TU ! hurla la fille-dragon de toutes ses forces, irritée.

« Bah là. »

Metalicana se tourna.

Une fillette bien petite se trouvait devant elle. Sa peau halée, ses cheveux bruns sombres, son sourire, elle ne devait pas avoir plus de treize ans. Licana essaya de regarder plus attentivement, de se souvenir mais rien n'y fit : impossible de voir le visage de la fillette...impossible de s'en souvenir.

La fillette tourna le dos à la jeune fille et aussitôt elle partit.

Licana se lança alors à sa poursuite, hors de question qu'elle laisse ses souvenirs lui filer sous le nez, pas encore !

À peine eut-elle fait un pas que le sol se déroba sous ses pieds.

Elle était maintenant sur une sorte de rampe, une muraille de pierre. À ses pieds...ou plutôt sous ses pieds se tenaient des hommes sans visages précis. Des hommes c'était tout. Elle se tenait bien en hauteur et pourtant malgré la scène qui se déroulait devant elle, Metalicana ne pouvait toucher ce qui l'entourait...sa main traversait tout ce qu'elle voulait toucher.

Était-ce elle le fantôme ? Ou bien était-ce paysage féerique ?

Le groupe d'homme ne bougeait point, ils tremblaient. L'un d'eux trouva la force, quoique très faible de parler.

Les paroles d'un homme terrorisé.

...Arriè...arrière sale monstre...Arrière Metalicana !

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