15. Pour certains, il faut se souvenir pour avancer...pour d'autre il faut oublier

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Dix jours depuis ce fameux soir. L'homme au Mirage bulldog suivait depuis un moment tout les évènements en lien avec les Chapardeurs. Le lapin que lui avait posé la jeune Nightway ce fameux soir ne l'avait pas enchanté.

Mais l'heure n'était pas au ruminements…il scruta ses camarades, encapuchonnés dans leurs robes pourpres. L'homme connaissait cet endroits depuis bien des années et pourtant il ne pouvait toujours pas estimer le nombre de personnes fréquentant cet endroit. Il serra sa pierre polie dans sa main. Chacun en recevait une, l'homme était fier de celle qu'il possédait. Elle n'était pas vraiment spéciale : ce n'était qu'un vulgaire caillou polie, lisse au toucher. Il n'était pas vraiment fier de la pierre...mais de la posséder.

La salle où il avait été réunis avec les autres était sombre, les seules sources de lumières provenaient de vieilles bougies. Les pierres formaient des arches au-dessus de sa tête, cinq arches de pierres abritaient un escalier chacune ainsi qu'une chaire. Alors que des murmures fusaient de partout une clochette tinta dans le couloir de pierre...le silence devint roi...les grelots tintèrent dans le noir...cinq silhouettes apparurent.

La première était vêtue d'une robe blanche surplombée de chapelets en bois. Le porteur de la tunique blanche était un homme d'âge avancé. Il avança vers le premier pilier et prit place dans la première chaire.

La seconde silhouette était un homme chaussé de sandales et vêtu d'un simple drap blanc retenu par une ceinture de cuir et qui descendait sur ses jambes. Il avança vers le second pilier et prit place dans la seconde chaire.

La troisième silhouette appartenait à un homme énorme paré d'énorme bijoux ainsi que d'un manteau bleu royal. Il avança vers le troisième pilier et prit place dans la troisième chaire.

Une femme vêtu d'une robe noire ainsi que d'un voile assorti s'avança. Il était impossible de voir ne serait-ce qu'une infime partie de son corps. Elle avança vers le quatrième pilier et prit place dans la quatrième chaire.

La dernière silhouette était enveloppée dans un manteau noir, son visage dissimulé par un foulard gris, sous son habit l'on pouvait entendre des tintements clairs et fluides. Elle s'avança vers le dernier pilier et prit place dans la dernière chaire.

L'homme à la robe blanche leva les bras vers le ciel et prononça haut et fort :

- Au nom du lynx, de l'espadon, du cobra et du faucon...rendons hommage à Dieu !

L'homme au Mirage bulldog s'agenouilla ainsi que tout les membres de l'assemblée. Tous déposèrent leur pierre polie devant eux, puis dans un seul et même geste il firent un signe de croix sur leur corps.

- Au nom du lynx, de l'espadon, du cobra et du faucon...

Pontifex était sage, du moins c'est ce que l'homme pensait. Il avait abandonné les Dieux pour se tourner vers un seul. Le Dieu. Il ne comprenait pas tout ce qu'il disait mais il avait foi. Qui était donc ce Dieu ?

L'homme aux sandales de bois s'avança alors :

- Rendons hommage à celle qui nous a donné notre mission...Rendons hommage à la grande créatrice...rendons hommage à son Dieu...rendons hommage à Dieu...messagers de la grande créatrice...

Tous se levèrent et ensemble dirent :

- Rendons hommage à la Volonté d'Ymir...

Le reste de la cérémonie se déroula comme à l'accoutumé.

Schriftgelehrter et Pontifex parlèrent pendant de longues minutes mais jamais on n'entendit la voix de Konig, de Tote ou même de Klinge.

L'homme partit rejoindre son maître : Schriftgelehrter. Cela devait faire au moins dix ans qu'il était entré dans la communauté et neuf ans qu'il était devenu le Second du scribe. Le nombre d'années passées lui importait peu, les années n'ont pas leur place ici, le temps était exclus, c'était ainsi. Alors qu'il ne restait plus qu'eux dans la salle il en profita pour faire son rapport.

- Ainsi elle n'est pas venue...

- Non maître Schriftgelehrter.

- Cela ne nous arrêtera pas, rien ne se mettra entre nous et la grande créatrice.

- Que se passe-t-il Schrift ?

La silhouette aux tintements s'approcha du groupe qui fut rapidement rejoins par Pontifex et Konig.

- Rien qui ne puisse altérer l'Histoire, Klinge, répondit l'intéressé.

- Rien ne doit souiller mon domaine cher sujet, déclara l'homme aux bijoux.

- Laisse ton domaine à ceux qui savent le protéger Konig, rétorqua Klinge, tu n'es bon qu'à t'empiffrer et à donner des ordres !

- C'est mon devoir en temps que roi !

- Roi de mes deux ouais !

- Tu dois aimer ton prochain comme tu t'aimes toi-même Klinge, dit calmement Pontifex, Dieu te montreras la voie du salut mais avant cela tu dois faire un effort.

- Excusez-moi...

Les quatre maîtres se tournèrent vers le Second.

-...où est le maître Tote ?

- Elle est partie accorder son jugement.

- Bon...et pour Eclipse ? demanda Klinge.

- Tout sera prêt mais j'ai besoin de temps, répondit Schriftgelehrter.

- Tu te souviens de notre mission ? demanda Pontifex.

- Je ne l'oublierai jamais, la Grande créatrice nous a chargé, à nous, de transmettre sa volonté, de la suivre dans son action divine. C'est moi qu'elle a chargé d'accomplir l'Histoire. Nous réussirons.

- Mes sujets t'appartiennent ô mon fidèle compagnon, l'action approche à grand pas, répondit le roi.

- Ce soir, le message de la Volonté sera transmis, son ordre sera accompli. Le Reflet sera retrouvé et propagé. Memento Mori !

Ensemble dans une voix sombre et mystérieuse, les phénix prononcèrent ces deux mots.

Memento Mori. La Quinque triomphera...la Quinque demeurera.

Kem en avait assez et pour une fois lui et Licana était du même avis : après une journée épuisante de Chapardage Levira les avait faits veiller jusqu'à une vingt-trois heures pour ensuite les réveiller à cinq heures du matin tout ça parce qu'elle ne tenait pas en place. Miraclis s'était achevé, un nouveau mois sur les dix-huit avait commencé ainsi que la fête de Ptah. Le temps était ensoleillé et il faisait chaud dès le matin.

Miraclis ,le 8e mois, vient juste de s'achever, Zenos a été le 4e mois de l'année. Donc les seuls mois avec un climat d'été ce sont Olmari et Demia ! pensa Levira.

Trois mois avec de hautes températures et un grand soleil, on ne pouvait pas rêver mieux, cela n'était pas arrivé depuis des années. Levy rayonnait, son anniversaire se déroulerait donc en plein été, un temps parfait pour une tea party. Licana ,elle, somnolait et rageait, ses yeux soulignés de poches noirâtres, elle était déjà énervée par la bagarre d'il y a deux jour et ce réveil matinal - bien trop - n'arrangeait en rien la situation actuelle. La relation entre Kem et Licana s'était franchement améliorée depuis que le Mirage stellaire avait eu vent de cet exploit.

Licana fut surprise de constater que Levy n'enfila pas sa tenue de Chapardeuse mais une robe bourgeoise couleur écarlate, quand à elle, elle avait rallongé ses cheveux jusqu'au reins et avait pris un bustier ainsi qu'une jupe bouffante grise qui lui arrivait un peu au-dessus des genoux - après un petit découpage à la lame de mercure -, elle n'avait jamais vraiment aimé les robes longues, elle était trop gênée dans ses mouvements.

Maintenant qu'elle y songeait Levy portait beaucoup de rouge et ce n'est qu'une fois sortie dans la rue qu'elle osa lancé le sujet :

- Pourquoi portes-tu beaucoup de rouge ?

Kem sentit sentit sa maîtresse ralentir le rythme, la jeune fille regarda alors son amie et lui lança :

- Parce que c'est assortie à mes yeux !

Licana ne fut pas satisfaite de cette réponse, mais elle n'insista pas étant donné qu'elle avait pris l'habitude à ce que la jeune duchesse ait tout le temps le dernier mot. Licana dévia alors son regard vers les boutiques et les stands de rues : des vêtements jaune criards, des bijoux gigantesques au point que cela en devenait ridicule, des masques de clowns, leur maquillage excessif et ces expressions comiques et exagérées. Licana fut attirée par une douce odeur qui lui était familière et fut surprise de constater que certains bijoux étaient réalisés dans du vulgaire acier brut. Ils étaient tellement faux et grossiers que le dragon aurait eu une indigestion en ingurgitant ce métal ingrat et pourtant les gens se pressaient pour acheter ces bibelots sans valeur et peu coûteux. Levira entraîna son amie dans une boutique qui d'ordinaire était une boutique de senteurs, celle-ci n'avait rien à voir avec celle qu'elle était auparavant, des bocaux étaient posés sur les étalages et contenaient un liquide rouge dont l'odeur était si forte que même l'odorat d'un humain aurait été agressé. Licana, détentrice d'un odorat surhumain, pouvait sentir son nez la démanger à cause de l'odeur trop forte.

- Licana ! Approches.

La fille-dragon se hâta de rejoindre la jeune duchesse qui tenait l'un de ces bocaux dans ses bras. Elle ouvrit le couvercle tout en invitant Licana à sentir le contenu. À peine eut-elle humé le liquide qu'elle fut prise d'une nausée insupportable et se tint le nez comme pour le protéger.

- QUELLE ODEUR ! C'EST DU SANG !

- Quel odorat ! Ça put autant ?

- Je sens que je vais vomir, dit Licana ( au bord de l'évanouissement ). Pourquoi il y a du sang en bocal sur les étagères d'un magasin de parfum...

- C'est pour cette nuit, déclara Levira enjouée, mais ça put vraiment tant que ça ?

En voyant l'état de son amie la jeune fille n'insista pas et reposa le bocal.

- Je crois qu'il vaut mieux abandonné l'idée de l'Œil de sang, dit Kem.

- Dommage...j'imaginais bien Licana dans ce rôle.

Levy acheta tout de même un bocal de sang puis partit.

Les deux jouvencelles s'engagèrent alors dans une autre avenue, tout avait brusquement changé. Cette joyeuse confiserie ou s'alignaient harmonieusement arlequins et pain d'épice vendaient maintenant...des ongles de toutes les couleurs, des yeux luisants, des poignards, des petits nuages noirs...Licana commençait vraiment à se demander à quoi pouvait rimer tout ces accessoires sordides. Levira prit alors un œil et le fit rouler sur sa langue. Intriguée, Licana en prit un et fut surprise de constater que l'œil avait un goût sucré. Le chocolat s'était métamorphosé en poignard, les pâtes d'amande en ongles, décidément il y avait quelque chose d'étrange ce jour-là.

- Ce soir, c'est le Grand Recueil !

Licana se tourna vers Levy. Son amie avait fait une bien étrange déclaration.

- Le Pays Perché est un pays fait de contes et de légendes, les autres pays possèdent aussi une culture fictive mais préfèrent se fier au progrès plutôt qu'aux mythes et à l'Energie. Il existe des dizaines d'histoires, expliqua-t-elle, elles font la fierté de notre pays c'est pourquoi le premier soir de la fête de Ptah, tout les habitants de Crya se déguisent en un personnage de conte.

- Et le sang...

- Il a été donné par de fidèles clients ,dit Kem, la récolte du sang est strictement basée sur le volontariat.

- Ce n'est le comment que je veux savoir, protesta Licana, c'est le pourquoi !

Levira était bouche bée. La présence de sang aurait-elle scandalisée Metalicana Silverius, le dragon de mercure ? Elle ne s'était jamais posé la question, depuis tout petits elle et son Mirage avaient vu des hommes et des femmes en haillons, le corps décoré de ce liquide écarlate, ils n'avaient jamais été choqués ni même n'avaient ressenti ne serait-ce qu'un haut-les-cœurs.

- Vous les humains, vous ne pouvez supporter la guerre à cause du sang versé alors pourquoi maintenant prenez-vous plaisir à en voir sur l'étalage d'une boutique. À vous voir on dirait que vous prenez ça comme une bague ou ne serait-ce qu'un bibelot !

- Malheureusement...contrairement à ce que peuvent pense certaines personnes...toutes les histoires ne se déroulent pas sans malheurs.

- Comment ça ?!

- Ces contes sont pour la plupart tragiques...mais étrangement c'est ce qui les rends si passionnants !

Faux.

- Si c'est vrai...

Licana scrutait la jeune fille...sa voix tremblait...la fille-dragon n'avait pourtant rien dit...pourquoi protestait-elle...Kem ne comprenait pas...il avait toujours eu du mal à lire dans l'esprit de sa maîtresse...mais là...le lien qui les reliait disparut...comme s'il n'avait jamais existé.

- Levy ?

La jeune duchesse prit conscience de la tête qu'elle tirait et remit son masque de joie habituel.

- Ce n'est rien.

Licana savait bien que cela n'était qu'un mensonge de plus, mais ignorant ce qui pouvait se cacher derrière ce masque de ténèbres elle décida de ne pas s'acharner : pourquoi s'acharner sur ce que l'on ne sait pas.

Le soleil avait déjà tourné à l'orange flamboyant lorsque les trois compagnons eurent finis leurs achats, Levira avait hâte de pouvoir défiler dans les rues parée de sa superbe robe rouge, prétextant une envie pressante elle laissa Kem et Licana devant le magasin.

- Elle croyait vraiment que j'allais avaler son mensonge ?

Inutile d'être un génie pour comprendre que la fille-dragon avait deviné, ni même pour voir que Levy n'allait pas du tout bien.

- Dis Licana...

- Hum ?

- Pourquoi es-tu si obstinée à retrouver tes souvenirs ?

La voix de Licana se fit alors plus grave, plus mélancolique, une voix qui semblait venir du Palais des Calamités, le Ravch'joorak comme disaient les Grashkirs.

- As-tu déjà eu l'impression de stagner, commença Metalicana, de ne jamais pouvoir avancer. C'est pour ça que je veux les retrouver, pour avancer.

- Tu as besoin de te souvenir pour avancer...c'est vraiment ironique...Pour certains il faut se souvenir pour avancer...pour d'autre il faut oublier.

Levira en était à son cinquième verre, le citron avait toujours réussi à la calmer, c'était sucré et acide, le goût idéal pour les cœur tourmentés.

Pourquoi personne ne s'était soucié de cela ? Pourquoi n'y avait-il que des contes où la mort et le malheur avait un rôle ? Il y avait bien quelque contes joyeux mais...Et pourquoi se souciait-elle de cela ? Cela ne dérangeait donc personne ? Tout le monde était donc habitué à cela. Elle n'était pas la seule à rester de marbre face à ces histoires sinistres.

Si, tu l'es.

Levira demanda un sixième verre et l'avala d'une traite. Encore elle !

Encore toi !

Tu es la seule.

Vas-t-en ! Laisses-moi !

Pourquoi serais-tu choquée...toi qui as les yeux remplis du sang de ce pauvre homme...

MAIS LAISSES-MOI ! SORS DE MA TÊTE ! SORS ! SORS !

Levira quitta le café. À chaque pas l'espoir de ne plus entendre cette satanée voix revenait dans son esprit. Mais rien n'y fit. Licana lui avait dit qu'elle faisait resurgir ses souvenirs oubliés, l'inverse se produisait également. Pourquoi revenait-elle maintenant après toutes ces années ? Levira inspira un grand coup.

La voix avait disparu.

Comme elle fut apparue.

La fille aux cheveux de neige observait la scène, elle pouvait l'entendre, cette petite voix, elle voyait tout, elle entendait tout.

La femme vêtue de noir avançait dans la ruelle, elle jubilait, elle avait servi la Créatrice. Cet homme étendu sur le sol ne se relèverait plus. Ce n'était pas mal ! Tote le savait. Ce n'était pas un crime ! Le seul criminel c'est lui...c'était lui...

J'ai bien fait, pensa-t-elle, tout ce que je fais c'est pour la Créatrice. Memento Mori ! La Quinque triomphera, la Volonté triomphera !

La fille aux cheveux de neige fixait la femme du haut de son toit. Son Mirage était nerveux, il y avait de quoi s'en faire : sa maîtresse avait cessé d'arborer son sourire angélique. Son regard était sévère et ses yeux dépareillés le rendaient encore plus acéré. L'heure n'était plus aux rires.

La femme vêtue de noir arborait un sourire emplis de fierté, Tote, la Mort, quel nom merveilleux ! Cela devait faire environ cinq ans qu'elle eut obtenu ce titre.

- Elle me dégoute...pas toi Carne ?

Pour toute réponse, la fille aux cheveux de neige reçut un grognement de la part du chien à trois têtes.

- Bon, bon, d'accord...mais ne vas pas attraper d'indigestion...

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