17. Le chant du dragon résonne

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Levira était d'une humeur assez...perturbante. Son esprit tressautait de la colère à l'excitation.

Sa dernière rencontre avec son ancien client - qui au passage était le fils aîné de la famille qui la haïssait le plus - l'avait mise hors d'elle. Non seulement elle avait manqué de vigilance mais en plus elle s'était faîte manipulée par un autre et pire un HOMME ( ce qui pour une Baskerville est la pire humiliation ).

Avec humeur de chien dont était dotée sa maîtresse, Karen n'osait même pas ouvrir la bouche alors qu'elle serait les lacets du corset rouge de la robe que la duchesse avait choisie sur le marché. Encore du rouge évidemment.

Le Grand Recueil avait déjà commencé, mais qu'importe il n'était que 20h. Il restait encore huit heures à la jeune duchesse pour pouvoir jouir de ce premier jour de fête. Dans huit heures la musique aura cessé de faire danser les cœurs pour laisser place aux petites caravanes vigneronnes venant exciter les papilles de fin connaisseurs ( et la vessie de bons gros soulards ).

La rue principale ne ressemblait guère à ce que l'on voyait chaque jour : les gens qui passaient ne portaient ni fanfreluches, ni fraises, ni robe de paysanne. Partout où l'on posait le regard on pouvait voir des loups, des masques de Pierrots, des parures en métal brut, des couleurs vives ou bien sombres. Kem profitait de l'occasion pour revêtir sa fière silhouette de tigre blanc.

Levira avait revêtu la robe à lacets écarlate de la Danseuse rouge, l'un de ses contes favoris.

Malgré les bibliothèques entières qu'elle avait avalées, la jeune fille n'arrivait pas à se remémorer en quel personnage Metalicana s'était déguisée. Maintenant qu'elle y songeait, la vendeuse ne l'avait pas précisé. Mais Levy se doutait que son amie avait choisi cette tenue plus pour le coté pratique que pour le coté traditionnel : celle-ci n'était composée d'une robe blanche à fines bretelles. Un corset de métal taillé comme une dentelle lui serrait la poitrine alors que de multiple chaînettes lui parcouraient ses jambes et bras nus. Une fois de plus le dragon faisait preuve d'un sens de l'honneur ahurissant, apparemment ce ne sera pas demain la veille qu'elle renoncerait à son titre de Dragon de Mercure.

- Joli tenue !

Les deux filles aperçurent la silhouette menue de Noël, des manchettes bleues aux bras ainsi qu'une robe de même couleur représentaient à merveille le caractère de la jeune fille. La poupée de chiffons bleus. Ce petit être de tissus dont le corps avalait toutes les larmes de son amie afin qu'elle n'en verse plus une seule. Elle tenait dans ses bras des dizaines de petites peluches, la jeune fille avait en effet croisé quelques-uns de ses "prétendants" - qui n'avait toujours pas compris qu'elle avait vingt ans et non quinze.

Levy échangea quelque mots avec son amie avant de la quitter avec un drôle de pressentiment : Noël n'avait elle non plus aucune idée de la nature de la tenue de la fille-dragon. Qui plus est personne n'était vêtue de cette façon et Metalicana était l'objet de regards curieux et étonnés.

La grande place était bondée mais compte tenue de sa largeur on pouvait largement se déplacer sans heurter une personne quelconque.

Les musiciens agitaient les cordes de leurs guitares, de leurs violons, d'autres soufflaient dans de longs tubes de verre fissurés. La musique entrainait avec elle les centaines de citadins éparpillés dans toute la ville, mais cette année était étrangement particulière. Jamais Levira n'avait vu un aussi grand nombre de Bulles Écho dans la ville. Les gens dansaient sur la place, mais aussi dans les rues, dans les bars, sur les toits pour les plus fous.

Licana pouvait percevoir chaque mouvements. Chaque claquement de talons. Chaque cordes tendues et vibrantes. Elle aimait cette fête. La joie était perceptible dans chaque sons, chaque sourires. Elle se demandait si cette ordure de Ryo souriait lui aussi. Cette idée lui donnait la nausée et elle préféra admirer ces jupons colorés voler dans toutes les directions, suivant les mouvements gracieux de leurs propriétaires.

Levira eut vite fait de trouver un cavalier pour accompagner ses pas alors que Kem survolait la place pour contempler une bande d'adolescents se dandinant sur le toit d'une maison - dont le locataire était particulièrement râleur.

Metalicana ne dansa pas, elle restait là à regarder. Sans qu'elle ne sache pourquoi, la bride de souvenir qui l'avait assaillis il y a deux jours revint.

Pourquoi donc cet homme avait-il air d'avoir rencontré le diable ?
Pourquoi donc hurlait-il ?

La fille-dragon plongea dans une profonde réflexion.

Qu'avait-elle fait ?
Qu'avait-elle été ?

Les chansons passèrent et se succédèrent emportant avec elles les heures de fête. Une. Puis deux. Puis quatorze. Puis soixante-sept. Puis cent...Puis ce ne fut qu'à la cent-treizième musique que Licana daigna enfin bouger.

L'homme au Mirage bulldog attendait. Il attendait le signal. Sa tunique pourpre lui arrivait jusqu'au cheville, tout comme celles de ses "frères" qui se tenaient derrière lui.

Il mènerait sa mission à bien. Il avait beaucoup trop travaillé pour pouvoir échouer maintenant.

La Volonté se trouvait là !
La Grande Créatrice était là !
À seulement quelques ruelles !
Elle était là ! À Liphia !

Il jubilait, ses yeux brillant de milles étincelles. Maître Schriftgelehrter avait vu juste. Bientôt le grand holocauste allait débuter.

Attendez-moi Grande Créatrice ! Attendez et je saurais me montrer digne de vous.

Les sons ne parvinrent aux oreilles de Levira et de son Mirage, mais Metalicana pouvait les entendre. Ces petits sons ne serraient-ce qu'infime. Et elle savait que ce n'était pas seulement due à son ouïe de dragon...il y avait autre chose.

Sans bruit elle s'avança, ne sachant où elle allait. Elle avançait et c'était tout. Son pied droit alla se poser sur une dalle de la place. Sans explication elle se mit à tourner.

Levira scruta Metalicana, intriguée. Elle le fut encore plus quand la mélodie devint de plus en plus forte...

Du piano...un morceau de piano inconnu des grand recueils d'opéra et des manuels des grandes écoles de musique.

Cet air lui rappelait les dalles de grès roses...Cette mélodie...Elle la connaissait...

Elle posa son pied devant elle, puis elle ne vit plus la grande place, ni Levira et son faux sourire, ni les clowns et leurs larmes de peinture, ni Noël et son regard inquiet, ni ces hommes en tuniques pourpres qui surgissaient, leurs bottes claquant sur les pavés...les torches enflammées à la main...la lumière scintillant sur leur lames...

Metalicana dansa et sentit l'odeur de la peur emplir le nouveau paysage qui se matérialisait sous ses pas.

Son piédestal était plus petit et plus étroit, la fille-dragon remarqua...se souvint de ce qu'elle était en train de fouler...Un pilier d'argent...Le dragon effectua une pirouette gracieuse et quitta la colonne cylindrique...pour se poser avec une élégance rapide et fluide sur une autre plus basse. Autour d'elle gisait des morceaux de métal empilé les uns sur les autres, un reste de charpente de mercure se trouvait devant elle, soutenue par des piliers de même taille. Certains d'entre eux étaient brisés. Le bruit du métal sous ses pas sonnait comme des carillons, alors que le doux vents faisaient danser les herbes folles et les fleurs flamboyante.

Metalicana était là, dansant sur les colonnes des ruines de ce temple d'argent. Le dragon tourna les yeux, découvrant le gardien du temple...un squelette de dragon...Une architecture osseuse qui abritaient joyaux, or, soie, mets que le temps avait épargnés...La fille-dragon contempla ce trésor perdu protéger par cette carcasse ayant appartenu à un être fort majestueux...Un trésor bien convoité...

Metalicana ne cessait de s'élancer, retomber sur ses pieds, envoyer ses bras dans les cieux dont elle se sentit maître...Elle baissa les yeux, scrutant de haut ce monde qui paraissait si petit et dérisoire.

Un homme...non onze hommes se tenaient là, à ses pieds...leurs visages étirés, leurs yeux sortant presque de leurs orbites...ils tremblaient...certains hurlaient...

Metalicana continua sa danse, comprenant peu à peu la raison de cette torpeur.

Elle était beaucoup plus petite qu'à la seconde précédente, ses sandales avaient disparu, ses pieds si frêles au contact froid du métal. Sa robe blanche était toujours là...mais à la bonne taille, ses ornements avait laissé place à une simple cordelette dorée qui lui serrait les reins.

Alors que ses pas glissaient sur l'argent de longs serpents sortaient de par les murs...Non...pas des serpents...Elle leva le bras ordonnant au serpents mouvants de plonger...pour se planter dans la poitrine d'un des onze malheureux...des onze profanateurs il n'en resta plus que dix...Dix âmes perdues condamnées à mourir sous les lames d'argents qui sortaient du sol, des fentes, des murs, des colonnes...condamnées à mourir sous les lames de Metalicana.

Elle sauta d'une colonne. Il n'y avait rien en dessous. Rien d'autre que le sol.

Une rivière argentée sortit d'entre les dalles où poussaient quelques mauvaises herbes et s'éleva dans les airs, puis elle se figea, stoppée dans sa danse, dure et froide comme l'argent. Metalicana se posa élégamment. Le contact de ses pieds contre le métal produisant un son cristallin et froid. Elle tournoyait, ses pieds glissaient sur la rivière figée.

Ce que voyait le dragon c'était un groupe de misérable pilleurs, des hommes armés. Forts, habiles de leurs main, au nombre de cicatrices sur leurs corps il avait l'expérience du combat. Celui auquel on cédait tout. Celui dont on ne pouvait être vainqueur. Ils n'étaient pas humains...

Mais si ces hommes n'étaient pas humain, ce qu'ils fixaient était un monstre, une bête, un démon, une sorcière. Voilà ce qu'ils voyaient. Une petite fille dansant et chantant sur les ruines d'un temple d'argent, dont la seule voix faisait jaillir le métal du sol. Une petite fille en robe blanche si haute, si puissante, si pure, que les gouttes de sang versées n'iront jamais salir.

Metalicana porta la main à son buste, ses doigts rencontrèrent des lignes dures, fines, précises...Elle fixa le petit objet dans sa main relié à une chaînette dorée autour de son cou...Un dragon...non pas un dragon...elle...

Un rire parvint à ses oreilles et ses yeux se posèrent instinctivement sur la carcasse du dragon. Ses orbites vides étaient noirs comme les ténèbres...alors comment la fille-dragon avait-elle pût déceler le sourire du crâne...

Elle referma sa main sur son sosie miniature, ses yeux de flammes fixaient les pilleurs, féroces. Elle reprit sa danse et se mit à chanter encore plus fort...mais d'elle même cette fois-là...ce n'était pas son corps qui se mouvait seul, elle le voulait...elle savait pourquoi elle dansait...elle se souvenait très bien pourquoi...

- Je me meure, ce trésor je ne pourrait plus le protéger.
- Ça peut mourir un dragon ? demanda Licana.
- Tant que ce trésor existera je continuerai de vivre.
- Pourquoi ?
- Parce que c'est ce pourquoi j'ai vécu tout ce temps.

Les lames de métal fusèrent de partout. Les mouvements furent plus rapides.

- Qu'a-t-il de si spécial ?
- Ce sont les présents de ceux qui me priaient, je n'ai pas pût les protéger alors je protégerai ce qu'ils m'ont offert à la sueur de leurs fronts.

Metalicana le savait, elle ne devait pas laisser ses misérables voleurs s'emparer de ces richesses.

- Donnes-moi ton pouvoir et je le protégerai pour toi !

C'était une promesse.

Comment avait-elle pût l'oublier. Le vieux dragon. Ces paroles. Son rôle. Sa maison. La Volonté d'Ymir...Jumistelle... Comment avait-t-elle pût oublier cette amie...Celle qui riait à la vue des bandits détalant la queue entre les jambes. Celle qui composait de nouvelles mélodies. Celle qui se couchait à pas d'heure et se levait au aurore. Celle qui avait fait courir cette légende. Celle qui avait créer Metalicana.

Après tout ce temps elle savait enfin. Elle pouvait enfin avancer. Elle savait qui elle était. Elle pouvait enfin continuer à chercher le cœur léger.

Licana. Jeune fille qui d'une seule rumeur et du pouvoir d'un dragon devint le Dragon de Mercure. Metalicana Silverius.

Je te retrouverai Jumistelle, pensa la fille-dragon, je te retrouverai et je saurai enfin tout.

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