19. La femme aux larmes d'encre

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Levira se tenait devant la fenêtre de sa chambre.

Licana et Kem attendait dans la bibliothèque, devenue leur quartier général - peu utilisée. Ils tentaient de se remémorer ce qui avait bien pu provoquer ce mutisme chez leur amie, en vain. Ils n'avaient rien vécu de semblable.

- T'es son Mirage toi ! déclara Licana. Tu ne pourrais pas regarder dans ses souvenirs ?

Kem baissa la tête.

- J'ai bien peur que cela ne serve à rien, finit-il par répondre.

Licana soupira de déception mais elle pouvait sentir une étrange sensation émanant du Mirage. Une sensation maintes fois éprouvée.

Kem baissa la tête et vida son fardeau dans une voix morne.

- Son esprit me rejette.

Licana releva la tête brusquement en grimaçant d'incompréhension.

- Mais tu viens littéralement de son esprit ! C'est impossible !
- Pourtant c'est le cas...

Le silence s'imposa entre les deux amis.

Kem voyait bien la requête qui illuminait les prunelles de la fille-dragon.

Quel affreux souvenir. Levira ne voudrait pas en parler. Elle le refuserait. Mais ceci n'était qu'une excuse pour le Mirage aspirant ne pas évoquer ce jour éclairé de ce soleil funeste.

- C'est déjà arrivé par le passé. Il y a huit ans, Levira, moi, Sidoh et nos parents étions partis afin de fêter l'anniversaire de Lord Landeila sur ses terres. La route avait été très longue, interminable pour des enfants de neuf ans. Un jour alors que nous traversions le duché Ackermann, nous nous sommes éloignés du cortège. Nous sommes tombés sur des enfants qui chassaient le lapin. Nous avons fait connaissance et puis il nous ont appris à dresser des collets. C'était drôle et assez simple. Nous avons rit, c'était vraiment une merveilleuse journée...

Licana ignorait ce qu'était un lapin, un collet ou même comment chasser comme un humain, mais elle savait à la voix nostalgique du Mirage que cette journée avait été joyeuse. Joyeuse comme auraient dû l'être toutes les journées d'enfants.

- Levira et moi sommes partis de notre côté avec un autre enfant. Nous n'étions pas très éloignés de la Bordure : Levy voulait voir Ymir. Nous nous sommes approchés et nous avons contemplé Ymir, la Bordure, le Pays Perché, tout n'était plus qu'un lointain souvenir devant ces terres sauvages...Et c'est à ce moment là que des brigands nous ont attaqué. "Une nobliarde ! Ça va nous rapporter gros !" qu'ils disaient. "Et regarde un peu son Mirage ! On devrait pouvoir en tirer plus d'un millions ! Elle est si mignonne c'est vraiment du gâchis de la vendre !" Ils riaient, on pleurait, on tremblait, on hurlait à l'aide, on se débattait pour leur échapper. L'autre enfant gesticulait de trop...et c'était une fils de paysan...il ne valait rien, disaient-ils...ils se sont mis à rire et l'un d'eux à empoigné son poignard et l'a appuyé sur la gorge de notre ami...Levy et moi hurlions à en perdre le souffle...»

Licana garda les yeux fixé sur le Mirage. Ce récit lui pesait sur le cœur.

- Ils sont morts ? demanda-t-elle d'une faible voix.

Kem secoua la tête.

- Le noir total. Le néant. Je ne sais rien de la suite. J'ai dû disparaître. Lorsque je suis réapparu les trois bandits étaient étendus sur le sol. Morts...

Silence. Tristesse. Solitude.

- ...Après..."ça", l'esprit de Levy m'a "rejeté" pendant deux jours. Deux jours pendant lesquels Levira refusait de parler. Deux jours où ses yeux n'avaient plus aucune lueurs, pendant lesquels ma maîtresse était au plus mal alors que malgré toutes mes supplications j'étais incapable de savoir pourquoi !

Licana sentit que cette situation enragait Kem. Être incapable de savoir était une sensation vraiment insupportable. Elle le savait. Elle avait eu assez de temps libre pour s'en apercevoir.

- Ça fait quoi ? dit-elle.
- Je viens de te le dire ! gronda Kem d'une voix faible.
- De disparaître ? corrigea-t-elle.

Le néant. Le Mirage se souvenait parfaitement de ce paysage vide, silencieux et terrifiant.

La fille-dragon se leva. Elle sortit de la bibliothèque et prit le couloir de l'aile est.

Si Kem n'arrivait pas à comprendre, alors elle le ferait pour lui.

Levira était toujours devant la fenêtre.

Elle se risqua à jeter un coup d'œil dehors. Les rues étaient pleines de curieux qui lisaient la presse alors que les enfants hurlaient le gros titre imprimé sur les premières de couvertures.

« Massacres aux six capitales ! » « Liphia rescapée de la Tragédie de Gjavyr ! »

Les rues pullulaient de monde. Les enfants insouciants riaient tandis que d'autres questionnaient leurs parents avec curiosité.

Soudainement les rues se teintèrent de rouge et hurlements rugirent dans sa tête. La jeune fille recula brusquement.

Je l'ai fait pourtant ! Je l'ai fait ! Alors pourquoi continues-tu à me harceler !

Cela faisait des heures qu'elle scrutait les rues par la fenêtre. Des heures que le paysage de la veille prenait la place des rires.

Elle n'arrivait toujours pas à accepter d'avoir changé, "réécrit" le passé. Elle ne l'avait pas fait. Elle ne voulait pas. Elle ne pouvait l'avoir fait.

Je ne l'ai pas fait !

« - Allez, balance-le par dessus la Bordure, les monstres d'Ymir nous le revaudront !
- Mon couteau a envie de se dégourdir la lame, alors il est pour mon joujou !
Tous se mirent à rire. Le garçonnet hurlait à s'en fendre les poumons... »

La jeune éplorée se cogna dos au mur et s'effondra lentement sur le sol.

Je n'ai rien fait !

« L'homme s'approcha et agrippant fermement la tignasse brune de Gregor approcha lentement sa lame, son rire sonnant le glas...»

Je n'ai rien fait ! C'était pas moi !

« Fais le ! »

Laisse moi ! C'était pas moi ! Je ne l'ai pas fait !

« Fais-le ou il mourra ! répéta la voix »

Je n'ai pas utilisé cet horrible pouvoir ! Je n'ai rien fait !

« Tu veux regarder ton ami se faire égorger ?! Fais-le ! »

Je ne veux pas ! Je n'y suis pour rien ! Je n'ai rien fait ! Je n'ai rien fait !

« Dis mon nom ! »

Je n'ai rien fait ! Je n'ai rien fait ! Je n'ai rien fait ! Laisse moi ! Vas-t-en ! Vas-t-en ! Sors de ma tête !

« Elle tremblait, parvenant à sortir ne serait-ce qu'un s...»

Ce n'était pas moi !

« - Scripta...»

SORS DE MA TÊTE ! JE NE T'AI JAMAIS VOULUE ! VAS-T-EN !

« Levira ne voyait rien. Il n'y avait plus de Bordure. Plus de Kem. Plus de Gregor. Plus d'Ymir. Plus de voleurs. Il n'y avait plus que les lignes boueuses sur le bras du bandit. Il n'y avait plus que ce mot...»

Je n'ai jamais voulu qu'il...

« Cet horrible mot. »

Je ne suis pas un monstre !

« Meurs »

- JE NE L'AI PAS TUÉ !

Helgrimm sentait encore cette satanée migraine. Elle l'avait privé d'une nuit de sommeil.

Une nuit qui allait également lui arracher toute tranquillité pour au moins cinq jours. Il n'y avait qu'à jeter un œil à son mécène pour le savoir.

- Au lieu de t'acharner sur ce pauvre livre tu devrais chercher un moyen de savoir ou était la Volonté, lança-t-il avec agacement.

Mais le bruit de page ne cessa point.

- Inutile ! Elle était à Liphia ! répondit l'hôte.

Il n'avait jamais été aussi excité que cela depuis fort longtemps, quinze ans au moins.

- Sais-tu seulement à quelle point Liphia est immense ?
- Plus grande que là où nous sommes ?

Helgrimm se tut. Il était vrai que cet endroit était bien plus qu'immense, gigantesque même !

- Certes...non, mais...
- Pff...

Désolé que l'une des six capitale soit minuscule à tes yeux, pensa Helgrimm.

- De toute façon, qu'importe où elle se trouve ! C'est elle qui viendra à nous !

Le vieil homme s'étouffa avec son thé et cracha bruyamment. Les mots de l'insouciant sonnait le début de la longue agonie.

- Tu ne vas tout de même pas faire ça ! s'égosilla-t-il. Tu sais ce que tu risques ! Ce qu'elle risque ! Ce que nous risquons tous ! Je refuse que tu nous entraînes tous en enfer juste pour exaucer ce rêve impossible !
- Mon rêve ne se réalisera jamais.
- Alors pourquoi continues-tu d'enchaîner folies après folies pour lui ?!
- Pour la simple raison que ce n'est pas mon rêve.

Helgrimm se massa la tempe. Il n'en pouvait plus de ce monstre.

Un jour viendra où, cherchant à obtenir ce que tu n'as pas, tu perdras tout ce que tu possèdes.

L'insouciant replongea dans son livre.

- Les rêves ne se réalisent pas. C'est pour ça que ce ne sont que des rêves...

Les pages se succédèrent les unes les autres, griffonnées de multiples notes.

- C'est pour ça que c'est mon but et non mon rêve. Je trouverai la Volonté d'Ymir ! Peu importe le prix ! L 'Histoire a été réécrite ! Je te l'avais bien dit que tu avais bien fait de rester ici ! Elle peut réellement changer le monde à volonté ! C'est bel et bien une Amie ! Je peux déjà sentir le vent de la Porte qui s'ouvre ! Je peux déjà voir Prélude !

Et pour commencer, il faut que je mette la main sur Levy Nightway ! Il me faut La femme aux larmes d'encre !

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