22. Séparation stratégique 

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Scripta avait disparu, laissant Levira seule. Mais cette fois-ci elle ne reviendrait plus. La jeune fille était à nouveau dans sa chambre, la salle ainsi que son ancêtre s’étaient évanouis.

Elle n’arrivait pas à se sortir les derniers mots de la femme aux larmes d’encre.

« Attrape moi si tu peux et alors je t’accorderai un vœu. »

Elle ne pouvait croire ce qu’elle venait de voir, elle voulait comprendre, elle se concentra et appela Scripta silencieusement en boucle dans sa tête.

Réponds ! Reviens !

Son incompréhension engendra une rage longtemps endormie.

Maintenant que je t’appelle, pourquoi tu ne me réponds pas ?! Reviens bordel !! Reviens Scripta !!

Mais la créature s’était évaporée, il n’y avait plus aucune trace d’elle, seulement son pouvoir qui restait encré en Levira.

Levira cessa ses appels vains. Elle inspira un grand coup et réfléchit plus en détails qu’avant au sens que prenaient les évènements.

Un homme me demande de lui rapporter une fillette vivant sur Ymir et qui possède un immense pouvoir. Un dragon vient me voir pour que je l’aide à retrouver ses souvenirs, le seul qui lui reste est celui d’une fillette. Un groupe de personnes en pourpre provoque un massacre que j’efface en réécrivant l’histoire grâce aux pouvoirs d’une créature qui vit dans mon esprit…

Trop de choses différentes et pourtant la jeune fille ne cessait de penser que tout était lié. Soudain, les paroles de Licana lui revinrent en tête :

« Pourquoi est-ce qu’il n’y a qu’avec toi que je retrouve la mémoire ?! »

Tout s’était assemblé à l’écoute des dernières paroles de Scripta, mais ce fut à ce moment là que Levira prit conscience du sens de tout ce qui s’était passé.

Tous les souvenirs de Metalicana avaient un rapport avec la fillette : quand elle l’appelait, quand elle lui courait après pour jouer…

Si il n’y a qu’avec moi qu’elle se souvient excepté le Danse Gitane, c’est que j’y suis liée. De plus elle a des impressions de déjà-vu ! Je connais donc fillette ! Je connais donc ce que cherche mon client. Et cette lettre ! Des symboles hérétiques et un massacre orchestré par des hommes masqués et habillés pareils. Helgrimm en fait parti ! C’est sûrement une secte ! Une secte qui recherche la fillette ! Qui recherche la Volonté d’Ymir ! Scripta vit en moi ! Scripta est capable de changer l’histoire rien qu’en l’écrivant, c’est le pouvoir le plus puissant qu’on peut trouver ! Elle vient de me dire que ce monde est le sien ! C’est elle la fillette d’Ymir ! C’est elle la Volonté ! C’est pour ça que Licana se souvient de son passé avec moi !

Levira se mit à rire. C’est justement lorsque tout s’assemble que tout paraît évident. Comment n’avait-elle pas pu le comprendre avant ? Tout était clair pourtant !

L’excitation et la rage se mêlaient l’une à l’autre. Pourquoi maintenant ?! Maintenant que l’objet de son désir était juste sous son nez, celui-ci disparaissait sans rien laisser derrière lui autre qu’un pouvoir qui lui paraissait comme une malédiction.

Le rire se fit de plus en plus silencieux et rauque. Puis les larmes commencèrent à couler pour la seconde fois. Des larmes de rage qui auraient pu faire fondre les roches les plus dures.

La jeune duchesse se releva, quittant les tapis de sa chambre.

Elle savait quoi faire.

On ne se moque pas de moi ainsi Scripta !

Une bonne entra le visage anxieux, sûrement du à l’humeur précédente de sa maîtresse.

- Miss ? appela-t-elle timidement. Lord Vincent a quitté le manoir pour le Consistorium…euh…et en raison de la prochaine absence de votre frère il vous confie le manoir…

Continuer de faire tourner le manoir même au plus mal, elle reconnaissait bien là son père.

Levira n’attendit pas une seconde de plus et passa la porte prestement sous le regard hébété de la petite bonne.

- Je ne peux pas, préparez-moi trois repas, un faucon et un Gousset d’Une demie, ordonna la jeune fille. Et prévenez mon frère que je souhaite le voir dans une heure.
- Bi…bien miss ! bégaya la petite jeune fille.

Levira traversa les couloirs jusqu’au bureau de son père et s’assit sur le siège d’ébène et de soie.

Si personne ne me dit rien et qu’il faut que je me débrouille par moi-même, qu’on ne vienne pas me dire que j'aurais pu simplement demander.

Il était temps de sortir le grand jeu.

Que la fête commence !

Sidoh avait la tête lourde : entre les révélations de son père et le départ de celui-ci il ne savait plus que penser.

Levira était entré quelques secondes plus tôt et lui avait plaquer son projet dès l’ouverture des hostilités. Un projet qui lui aurait bien fait recracher sa liqueur si son verre n’avait pas été vidé il y quelques instants.

- Tu veux aller où ?! redemanda-t-il plus étonné que jamais.
- Je veux me rendre au manoir Greyfox aujourd'hui même, répéta la jeune fille le regard sévère.
- Pour quelle raison ?! Tu t’es enfermée pendant toute la journée refusant catégoriquement de sortir et maintenant tu me dis que tu veux partir non seulement du manoir mais aussi du duché. Et pour voir les gens les moins recommandables du territoire, je peux savoir ce qui a bien pu t’arriver à la soirée du Grand Recueil ?
- Je ne me sentais pas bien aujourd’hui voilà tout, mais peut-être voudrais-tu connaitre avec exactitude le déroulement de mes cycles rouges ? interrogea sa jeune sœur avec une ironie.
- I…inutile !

Levira sourit. Maintenant qu’elle avait enterré les questions de son frère sous un gros mensonge aussi ridicule que gênant, il ne lui restait plus qu’à lui sortir ses raisons encore plus mensongères.

- Je ne suis peut-être pas aussi importante que la duchesse Ackermann, mais Papa ne me laisse pas non plus dans l’ignorance.

Tu parles j’ai du débouler devant Kem comme une folle pour lui demander les nouvelles et idem pour Licana.

- Ils sont soupçonnés de la Tragédie de Gjavyr, mais cette chère duchesse nous soupçonne nous. C’est pas vraiment étonnant, je ne vois pas pourquoi elle soupçonnerait son propre mari. Qui plus est le fil entre nos deux familles est plutôt usé, il serait peut-être temps de le réparer tu ne crois pas ?
- En effet, mais pourquoi maintenant ? Réunir les deux principaux suspects ne ferait pas encore plus louche aux yeux des autres ?
- Peu importe, justement cela permettrait de trouver les vrais coupables, pourquoi sommes-nous les seuls épargné ? mentit-elle, bien sûr qu’elle savait pourquoi.
- Et si justement Resonius avait raison ? Et si c’étaient ces sales renards ? Tu veux que je te laisse aller chez ceux qui ont massacré des centaines des personnes dans tout le pays, même dans leur propre territoire !

Levira sentit son cœur se serrer à la vision de Gilbert Greyfox s’écroulant sur le sol à cause d’elle…poignardé dans le dos lâchement par un cadavre vivant alors qu’elle perdait la tête sur les dalles de la capitale. Peu importe à quel point il était craint, le duc Greyfox n’était pas assez horrible pour déclencher un bain de sang sans même avoir mis son fils en garde, des mots tirés de son père.

- La duchesse Ackermann est une femme avisée et intelligente, justifia-t-elle. Si vraiment Alphonse Greyfox est le responsable, elle l'aurait su, et quand bien même, elle n’est pas assez stupide pour le couvrir sachant que le coupable serait découvert plus que rapidement. Avec un tel nombre de victime il est évident que le Consistorium ne laissera pas courir les meurtrier très longtemps.
- Ton argument tiens la route, acquiesça Sidoh. Mais aussi avisée et intelligente qu’est la duchesse, elle n’en reste pas moins une idéaliste, une telle intelligence au service d’un idéal peut être capable d’une telle atrocité.
- Et quel est cet idéal ? défia Levira. Elle qui se bat pour que son peuple vive malgré la situation de son territoire quel autre idéal la pousserait à les massacrer ! Exactement c’est une idéaliste, une fanatique idéaliste, et ce genre de personne n’abandonne pas leurs idées pour des nouvelles à la moindre petite graine perdue.

Sidoh se sut trouver quoi répondre. Il était vrai que cet entretien permettrait d’ouvrir un champ propice à une entente entre les deux familles et également pour élucider le mystère de la Tragédie de Gjavyr.

En plus, je ne me rappelle plus le dernière fois que j’ai réussi à l'empêcher de partir où que ce soit, s’inclina le jeune homme.

- Très bien, Maman va donc devoir se charger du manoir à elle seule.
- Justement…quand pars-tu ? demanda Levira d’un air hésitant.
- Un bateau m'attend ce soir.

Sidoh releva la tête et s’aperçut d’une étrange inquiétude chez sa sœur.

- Qu’y a-t-il ?
- Je ne te l’ai pas encore dit mais…Licana n’est pas vraiment une protégée de Lord Landeila…c’est un peu compliqué…

Levira vit son frère relever la tête vers elle. Elle avait piqué sa curiosité rien qu’avec son nom.

- Comment ça ?
- Licana est une étrangère venant de Grinz, son père est passé en cour martiale au terme d’une affaire dans laquelle il a été accusé à tort. Une affaire assez épineuse…
- Quelle affaire ?
- Celle d’avoir verser des pots-de-vin à plusieurs fanatiques hauts placés…Il n’était pas étranger à cette affaire mais n’en avait pas été le coupable, si Licana a été prise sous l’aile de Lord Landeila…
- Parce qu’elle sait des choses qui aurait valu sa mort dans les deux jours dans ce merveilleux pays qu’est Grinz, finit Sidoh.
- Une mort pas si éloignée ici non plus étant donné le nombre de notables Griis dans les murs des manoirs de notre cher pays, ajouta la jeune fille. Comme les gitans de l'autre jour.

Maintenant qu’elle évoquait le sujet, le jeune homme se souvenait avoir entendu par la jeune Lisa que Lady Licana avait fait une drôle de tête pendant la cérémonie et qu’elle s'était entretenue seule avec Lady Levira - chose très rare.

- Ils seraient des espions ?
- Je n’en sais rien…Mais je l'aime bien…et sachant que seule notre ville a été épargnée du massacre d’hier je crains encore plus à la laisser seule au manoir…ne pourrais-tu pas l'emmener à l’Arène avec toi ?
- Le manoir est bien gardé Levira, tu t'inquiètes donc à ce point ?!
- Avec ce qu’il s’est passé la veille il y de quoi être inquiet, et si nous étions les prochain, que l'échéance n’a été que retardée ? J'aurais aimé que tu emmènes Maman mais jamais elle n’acceptera de laisser le manoir sans un seul Baskerville. Je t’en prie accepte !
- Tout ça pour une fille ?! Tu es sûre que tout va bien ?!
- Cette fille est la seule amie que j’ai eu dans toute cette assemblée d'hypocrites ! C’est ma seule amie hormis Kem dans ce foutu monde où je resterai coincée à vie !

Sidoh n'avait jamais vu sa sœur s'inquiéter autant pour qui que ce soit en dehors de sa famille, mais elle lui paraissait beaucoup trop émue pour mentir - grossière erreur de sa part. Mais il se réconforta en pensant que sa sœur avait enfin trouvé à qui se confier. Qui plus est il voulait savoir qui était cette Silverius et accepta en soupirant.

Après un soulagement aussi faux que ses sourires, Levira prit congé de son frère pour la chambre de Licana.

Elle entra sans frapper et trouva la fille-dragon en compagnie de son Mirage ainsi que deux grosses malles par terre pleine à craquer.

- Tes malles sont prêtes ? demanda Levira.
- Pleine à craquer comme tu me l’as dit, répondit Metalicana, je pars quand ?
- Ce soir en bateau. Notre entretien à été plus court que prévu, s’étonna la jeune fille, je pensais avoir recours à plus d’arguments.
- Et toi, demanda Kem, t’as reçu la confirmation de Lord Jack pour ta venue au manoir ?
- Elle devrait m'attendre sur mon perchoir à oiseaux.
- À t’entendre on dirait que c’est une évidence qu’il accepte de te recevoir, commenta Licana.
- C’est évident ! rectifia Levy en se servant un verre de liqueur, qu’elle recracha aussitôt. C’est quoi ce truc ?!
- J’ai demandé à Lisa de m'apporter quelque chose de fort, dit Licana, vos liqueurs sont bonnes mais pas vraiment fortes. Par contre je sais pas le nom.

Levira ne s’attarda pas dessus - ne préférant pas savoir ce qu’elle avait failli ingurgiter - et repassa tout son plan en boucle dans sa tête.

Elle était plus sûre que jamais.

Elle avait passé l'heure précédente à préparer leur séparation, raconter la vérité sur elle-même, sur la fête ayant tourné au cauchemar, à écouter le souvenir de Licana, à émettre des hypothèses. À peine avaient-ils terminer qu’il fallut qu’elle aille « convaincre » son frère.

Le plan était achevé, une séparation stratégique.

- Il faut que je sache certaines choses, des choses que même moi ne peux obtenir. Si nous ne pouvons pas les obtenir légalement, il va falloir les soutirer.

Licana eut un éclair de génie.

- Les soutirer à la famille ayant le moins de puissance de frappe contre toi.
- Excellente réponse, déclara Kem. Puis à nous de combler les trous dans les réponses des Greyfox avec les infos du Consistorium.
- Toi, reste caché Kem, indiqua Levira, tu seras notre fil de communication et un excellent guide. Au fait j'aimerais que tu fouilles également le dossier José Calvin, quelque chose me dit que le silence préservateur de mon frère ne présage pas que de l'accident concernant ce charmant personnage.

Levira ouvrit la gigantesque fenêtre et siffla dans un petit tube, l’instant d'après un magnifique faucon s’accrocha au bord, une petite montre à gousset à la patte ainsi qu’un petit morceau de papier. Elle déplia le papier jeta un bref coup d’œil et le jeta à Kem qui le brula.

- La réponse de l’homme qui dort ?
- Exact.

Licana n’eut pas besoin d’en savoir plus, en revanche la montre accrochée à la patte de l'oiseau la laissa perplexe.

- C’est un Gousset d’Une Demie, expliqua Kem, cela permet à n'importe quel être vivant de parcourir une distance aussi énorme soit-elle en seulement une demi-heure à condition qu’il soit assez résistant pour supporter la vitesse et l'effort ainsi produit. Les pigeons ou les corbeaux n’y résistent pas, ils sont trop faibles et le plus souvent leur cœur éclate.

Le petit groupe quitta la chambre en fin d'après-midi juste le temps à Levira de sortir sa malle de voyage remplie au préalable, et de faire descendre leur bagages.

La calèche attendait déjà la jeune duchesse tandis qu’une autre chargeait les bagages de Lord Sidoh et de Licana. Kem, métamorphosé en souris était caché sous la robe de voyage légère de la fille-dragon qui mourrait d’envie de lui crier d’arrêter de lui chatouiller la jambe.

Les deux filles s'arrêtèrent devant les deux calèches et Levira donna ses derniers conseils à Licana.

- Ne t'approche jamais des Cachots, les criminels qui y sont enfermés ne sont pas vraiment sympathiques, observe le regard des autres, essaies de te lier à un marchand c’est la meilleure des protections en cas de problèmes avec les nobles et surtout ne te bats jamais avec un Gladre.
- Et toi prends garde à ne pas laisser ce Jack s'endormir par accident dans ton lit ça pourrait prêter à confusion, répliqua Licana.
- Tu emploies des mots bien savant dis donc ! ria Levira.
- Je sais pas du tout ce que ça veut dire c’est Kem qui me l’a dit ! déclara la jeune fille visiblement fière d’elle.

Levira éclata de rire et regarda la fille-dragon.

Au moins je n’ai pas totalement menti à Sidoh concernant Licana.

- Licana…dit-elle en cherchant ses mots, si la cour est le plus gros nid au mensonge qui soit alors…le Consistorium en est une véritable ruche…alors…prends garde !

Licana fut surprise de cette phrase.

- Promis !

La fille-dragon se adressa un dernier sourire à Levira et partit vers la calèche devant laquelle attendait Sidoh qui ne pouvait s'empêcher de trouver cette scène adorable. Il prit la main gantée que Licana lui tendit et l’aida à monter galamment comme une parfaite demoiselle de haut rang.

Quand il vit son visage de petite fille à peine sortit de l’enfance il fut surpris de constater le teint rouge de la jeune fille.

Licana s’assit et regarda par la fenêtre, le visage en feu…

Plus jamais elle ne serait seule désormais…

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