24. Ailes invisibles

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Vincent Baskerville était assis autour de la Carte Ronde, le visage sévère du duc Théodore Resonius ainsi que celui de la sublime duchesse Ackermann tournés vers lui .

Le duc luttait pour garder son calme devant les deux autres nobles, le duc Lightmoon n'accordait aucune importance au sujet abordé, l'héritier Blumen était trop jeune, Edward Landeila était à l'Inquisition cherchant la raison du massacre dans sa ville quant à Lord Greyfox, Lord Resonius ne tenait pas à ce que le « traître » entendent ce qui se passait dans cette salle.

- Il est plus que l'heure pour lui d'entrer dans notre monde Lord Baskerville, continua Lord Resonius.
- Votre fils n'a même pas encore passé la cérémonie et vous osez me dire ce que je dois faire, rétorqua Lord Baskerville.
- Il la passera, seul lui peut donner la sentence, répondit le duc. Mais nous l'avons décidé il y a bien longtemps, c'est ta lignée qui doit la prononcer.
- Il ignore tout de cela Resonius !
- William n'en sait pas plus que lui Baskerville ! Ce n'est pas une raison ! Il n'y a aucune raison qu'il ne soit choqué !
- Évidemment, s'interposa la duchesse, calme et glacée. Vous n'avez jamais eu a supporter le poids d'une décision.
- Il n'est pas question de décision !
- Lorsqu'un chevalier abat un déserteur ce n'est pas lui qui souffre, c'est le général qui en a prit la décision, argumenta-t-elle impassible. Néanmoins, je suis pour cette motion.
- Il n'en sait rien et vous voulez tout de même le jeter en plein dans les ténèbres ?! s'insurgea le duc de Baskerville. Moi même il m'a fallu du temps avant de l'accepter alors que l'on m'y avait préparé ! Comment croyez-vous que j'aurais réagi si on ne m'en avait touché ne serait-ce qu'un seul mot !
- Ce ne sont que des criminels ! En quoi devrait-on culpabiliser pour les avoir purgé de cette terre !
- On croirait entendre un Salvateur, commenta Lady Ackermann.

Les deux hommes adressèrent un regard scandalisé à la femme alors que le premier devenait rouge de colère et ses traits se tirèrent. Il ravala sa fierté, refusant de montrer son véritable caractère à la duchesse.

- Six villes ont été cible d'un véritable massacre magnifiquement orchestré, à la même heure, le nombre de victime est considérable. Votre délai est bientôt expiré et le peuple perd confiance en nous. Il leur faut du sang neuf.

La duchesse possédait toujours des arguments plaquants, justes et persuasifs. Elle était redoutable, mais agissait toujours pour ceux qui avaient confiance en elle. Vincent savait où elle voulait en venir...

- Je refuse de céder ma place, qui plus est il n'est pas encore temps pour moi de partir. Les familles Resonius et Baskerville sont les deux piliers sur lesquels tient le Pays Perché. Lords Sidoh et William passeront leur cérémonie dans deux nuits, le 13e jour du 9e mois de Demia, ensemble. Du sang neuf et puissant, de jeunes esprit intelligents et puissants, voilà ce qui redonnera espoir. Quant à vous, contentez vous d'achever ce que vous avez commencé et attrapez ces fléaux responsables de cette tragédie.

Vincent Baskerville ne pouvait émettre aucune objection, il savait que c'était la seule chose à faire. La crise s'agravait, cependant il espérait que ce jour n'arriverait jamais...Un souhait impossible...

Il se leva en même temps que les deux autres nobles et acquiesça. La séance était close.

Jamais Levira ne s’était imaginé le manoir Greyfox ainsi. Celui-ci n’était pas si différent du sien.

Les mêmes tapis soyeux, les mêmes tenues de domestiques, les mêmes lustres…

Les seules différences résidaient dans l’atmosphère. Les bonnes marchaient tranquillement, bavardant même. Les domestiques osaient la regarder dans le coin de l’œil, certains fumaient même des cigarettes à la violette.

Un tel laisser-aller mettait Levira dans un malaise sans fin. Les seuls moments où les membres de la classe populaire la regardait ainsi étaient ceux où elle mettait son titre au placard pour celui de Chapardeuse. Ici tout était différent, elle se sentait toute petite, les regards des bonnes chuchotantes, les jugements qui fusaient de toutes parts, silencieux mais que l’on pouvait voir flotter dans l’air.

Ici peu importait son statut elle n’échapperait pas à la fatalité de la nature humaine, elle était jugée de manière franche, pourtant silencieuse. La petite gente s’exprimait librement, elle avait le cran de supporter le regard des nobles, de grimacer en leur présence, de se mettre en valeur, de vivre la tête haute…

- Nos domestiques vous importunent-ils ?

Jack Greyfox souriait exactement comme l’animal roux représenté sur son long manteau. Malicieux et provocateur.

- Si ces gens sont assez intelligents pour réaliser que je ne suis qu’une femme ordinaire, je suppose qu’ils le sont aussi pour savoir qu’il vaut mieux ne pas contrarier un noble, répondit Levira glaciale.
- Tant mieux ! se réjouit Lord Jack. Je préférerais ne pas avoir à refuser une mise au cachot ordonnée par une Baskerville.

Levira lui adressa à nouveau un regard impérieux. Si elle devait montrer sa grandeur c’était maintenant.

Jack la conduit à l’aile droite du manoir et interpella une petite bonne trapue qui lui ouvrit la porte d’une pièce où trônait un lit à baldaquin en ébène ainsi qu’un riche mobilier. Levira grinça des dents.

- Peut-être voudriez-vous vous reposer et vous restaurer avant de voir Lord Greyfox ? proposa le jeune renard blond.

La jeune duchesse empoigna sa dague dissimulée et la frotta contre son fourreau. Le glissement du métal n’échappa pas au jeune homme…ni même à la jeune adolescente qui fixait la duchesse avec des yeux globuleux.

- Tu peux partir Guildy, lui dit le duc en souriant, quelques piécettes de cuivre dans la main.
- Bien m’sieur Jack ! répondit la dénommée Guildy en prenant les petites pièces dans un grand sourire.

La jeune adolescente partie en trottinant.

- Avec tout ce que je lui donne pour ses petites pâtisseries, pas étonnant que notre fortune baisse de jour en jour, plaisanta le duc.
- Arrêtez de me faire perdre mon temps, déclara Levira.
- Faire une menace directe devant une domestique qui n’est même pas sortie de l’enfance, vous tenez tant que ça à vous faire une réputation de malfrat ? ironisa Jack.

Cet homme lisait en elle comme dans un livre ouvert et pourtant il n’hésitait pas jouer au petit prince bien élevé, lui faisait perdre son temps et lui montrait cette hypocrisie dont Levira se jouait continuellement…mais cette fois-ci elle ne pouvait pas en rire…car il la connaissait maintenant sous tous ses traits…car elle n'avait plus ce secret dont elle était si fier et sur lequel elle s’élevait, regardant les gens de haut.

- Je suis navré de devoir arriver à cette extrémité, mais il se trouve voyez-vous que vous êtes actuellement le personnage que j'exècre le plus.
- Parce que vous ne pouvez plus vous moquer de moi ? Parce j’ai découvert le subterfuge qui rendait votre piédestal invisible et vous rendait ainsi divine ?
- Et qu’en plus vous me prenez les seuls secrets qu’il me reste, compléta la jeune fille d’un regard féroce.
- Il n’y a rien qui ne me ferait plus plaisir que de tous vous les arracher.

Le jeune homme la regardait de ses petits yeux rouges, ses lèvres s'étiraient dans un sourire vil et malsain.

- Vous êtes superbement intelligente Lady Levira, dit-il avec un enthousiasme aussi malsain que son sourire. Vous l’avez compris n’est-ce pas ? Que la seule façon de vraiment contrôler les autres, de vraiment rester en haut pendant que les plus bas vous agrippent avidement les pieds, c’est de posséder des ailes qui vous porteront toujours plus vers le haut. Loin de cette masse vil qu’est l’humain et qui peu importe comment, s’élève afin de vous attirer vers le bas pour vous transformer en pantin.
- Vous semblez être bien informé Lord Jack.
- Comment croyez-vous que j’ai réussi à soutenir le regard des autres nobles, avec ma narcolepsie et mon statut de Greyfox ? Moi aussi je possède des ailes invisibles, mais contrairement à vous les miennes ne sont pas encore visibles. Personne ne sait d’où me vient le pouvoir de voler et donc personne ne peut me faire tomber.
- Pas tant que je n’aurais pas découvert vos ailes, souris Levira.
- Notre orgueil est du même acabit, alors que moi je vois vos ailes, vous ne pouvez pas voir les miennes. C’est moi qui gagne.
- Je vous l’accorde…pour l’instant. Mais un jour viendra où à force de vous élevez toujours plus haut, vous ne me verrez pas me glisser dans votre dos…

La lame sortit de son fourreau et sans qu’il ne put faire un seul geste, Jack Greyfox se retrouva dos au mur le bras droit immobilisé et la dague sous la gorge.

- Pour vous égorger exactement comme cela.

Lord Jack grimaça, un rictus au coin des lèvres et les dents serrées. Il se tenait la tête collée au mur la pomme d’Adam à seulement un cheveu de la lame de la splendide duchesse.

Le jeune homme au cheveux d’or fixa les prunelles rougeoyantes de la jeune fille, si semblables aux siennes, si sanglantes, si méprisantes, si redoutables…

Il n’aimait pas cette couleur, il n’aimait pas ses yeux, elle lui rappelait le fardeau qui pesait sur ses épaules. Il chassa cette idée sinistre de sa tête et repoussa doucement la lame de Levira en un sourire.

- Ne vous offenser pas Lady Baskerville, rit-il, Lord Alphonse Greyfox vous attendait justement.

Les traits de la jeune fille se tirèrent en une grimace. Combien de temps encore ce manoir la rabaisserait-t-il ?

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