Chapitre 9

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Lorsqu’Akos sortit de son bureau, il était vingt heures passées. Le commissariat avait renouvelé son personnel mais son activité était tout de même considérablement diminuée rapport à la journée. Il y avait cinq ans, Akos faisait partie de l’équipe de nuit parce qu’à l’époque, il en préférait l’ambiance et le calme relatif. Le travail d’enquête n’était pas franchement différent mais les lieux sur lesquels il fallait se rendre habituellement avaient des caractéristiques qui collaient à son mode de vie. Il retrouvait une atmosphère et des suspects aux profils plus intéressants. C’était assez difficile de dire pourquoi exactement. Il fallait dire que son approche était depuis toujours moins manichéenne que ses collègues. Il avait très tôt appris que même les pires criminels ne l’étaient pas très souvent vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Ils avaient juste leur propre conception du bien et du mal, aussi éloignée fut-elle de la légalité officielle. Cela lui laissait des marges de manœuvres pour arriver à confondre les coupables. Résoudre les affaires criminelles n’était pas une mission sans nuance. Il fallait laisser la tentation d’agir comme un chevalier blanc de côté, pour atteindre une certaine efficacité. Les légalistes avaient toujours du mal à l’accepter mais la réalité était que pour maintenir la criminalité à un niveau acceptable, il était nécessaire de faire des compromis avec la simple application de la loi.

« Bonne soirée, Inspecteur. » fit l’officier de l’accueil en le regardant passer le seuil.

Akos lui adressa un signe de la main et tout en partant dans la rue qui devait le conduire jusqu’à chez lui, il continua à réfléchir à son enquête. Une question qu’il ne s’était pas posé jusqu’ici lui vint à l’esprit : pourquoi le Druide était-il venu dans sa ville ? Paawis était encore une ville d’importance en termes de population et d’activité mais depuis deux cents ans, à partir du moment où elle avait perdu son statut de capitale, l’immigration s’était drastiquement réduite. Si la motivation du Druide était de préparer une action politique ou même terroriste, cela ne faisait pas trop sens. Akos secoua la tête pour s’enlever l’idée de la tête. Sa réflexion lui posait un autre problème : il était en train de changer le statut du Druide de victime à coupable sans même avoir d’éléments qui lui permette de le penser.

Il releva la tête au moment de tourner dans l’avenue où se trouvait son appartement et voyant le restaurant qui faisait l’angle, il décida d’aller se prendre un repas à emporter. Depuis que l’établissement s’était installé, l’odeur de ses cuisines embaumait le quartier sur plusieurs centaines de mètres. Ce n’était pas très agréable sauf aux moments où la faim poitait son nez.

« Comment allez-vous, Monsieur ? » demanda le gars derrière le comptoir.

Akos répondit d’un signe de tête et il passa sa commande.

« Ce sera prêt d’ici dix à quinze minutes, vous pouvez vous asseoir par là en attendant. »

Akos alla s’asseoir. Il regarda dehors. Il n’y avait plus grand monde à cette heure-ci dans les rues. Ce n’était une chose exceptionnelle car au fil des années, les gens sortaient de moins en moins de chez eux, en soirée. C’était déjà une tendance lourde depuis des décennies, la faute à la situation économique, aux différents confinements et autres couvre-feux que le gouvernement avait instauré pour un prétexte ou un autre. Plus personne ne s’interrogeait sur la légitimité de tout ça, les institutions s’étant réduites à ne plus gérer et n’intervenir que sous le couvert de la légalité. La notion était pratique car elle permet aux systèmes de pouvoir corrompus de perdurer. Le reste n’était que des narratifs orchestrés pour sauver les apparences. Les masses populaires ne s’y intéressaient plus, occupées qu’elles étaient à survivre plus qu’à vivre. Dans l’imaginaire collectif, tout était la conséquence de la guerre dont on ne cherchait plus à savoir la réalité. C’était pour cela que la figure des Druides était connue mais tenait plus de mythes et légendes plutôt que de faits historiques. C’était vrai que pour cette raison, son affaire semblait si extraordinaire. Un Druide assassiné alors qu’on les pensait tous disparus depuis plusieurs centaines d’années.

Akos s’arrêta sur cette pensée. C’était quoi d’ailleurs l’espérance de vie d’un Druide. Quel âge pouvait avoir sa victime ? Il s’étonna de ne pas s’être posé cette question plus tôt.

« Avez-vous une borne d’information ? » demanda Akos au gars du comptoir.

Celui-ci le regarda avec des yeux ronds, semblant ne pas comprendre l’interrogation dans un premier temps.

« On n’en avait encore l’année dernière mais on les a retirées. Plus personne ne les utilisait ou alors des gens louches. Tout le monde a ça chez lui. En plus, l’abonnement nous coûtait un bras. »

Akos haussa les épaules pour signifier autant sa déception que sa résignation. Il allait lui falloir attendre d’être rentré chez lui.

*

Vingt minutes plus tard, Akos ferma la porte de son appartement et alla poser son sac de nourriture sur la table de la cuisine. Il ne prit même pas la peine d’allumer, l’éclairage des lampadaires et des néons dehors lui suffisait. Il partit dans la chambre pour allumer son ordinateur. Akos imaginait très bien la tête d’Ely si jamais un jour, il lui arrivait de tomber dessus. Peut-être n’était-elle-même pas née quand ce modèle était sorti. Akos l’avait récupéré quand le commissariat avait renouvelé son matériel.

Il lança la recherche sur l’espérance de vie des Druides et alors qu’il s’attendait à trouver une réponse même approximative rapidement, il ne trouva rien. Même pas une publication obscure avec une estimation à la louche. Il fut tenté d’appeler Ely pour lui demander son point de vue scientifique car peut-être y avait-il moyen de déterminer la chose en regardant une métrique quelconque mais en regardant l’heure, il se raisonna. Il retourna à la cuisine pour avaler son repas et après avoir débarrassé la table, il alla se coucher.

*

Le lendemain, il débarqua de bonne heure à son bureau. La question lui avait tourné dans la tête pendant toute la nuit et il n’avait qu’une seule idée : trouver une réponse.

Cependant, il croisa Mason et celui-ci l’invita à le rejoindre prestement dans son bureau. Une personne de la Sécurité Intérieure avait fait le déplacement et était prête à faire un premier débriefing sur l’enquête.

Akos était surpris car il ne pensait pas que Mason obtiendrait gain de cause. Il pensait même que ce dernier n’aurait même pas fait la démarche. Vu qu’il était à l’origine de la sollicitation, il ne pouvait pas refuser.

« Madame Eléonore Walmsley, directrice de la section 23. » annonça Mason en désignant la silhouette de la femme debout devant la grande fenêtre de son bureau.

Akos ne distingua pas tout de suite son visage, gêné par le contre-jour généré par les rayons du soleil qui pointait. Il tendit la main en avant à l’aveugle.

« Enchanté, Inspecteur Akos Daimonokton. » se contenta-t-il de dire pour toute présentation.

Une main fine, très sèche enserra la sienne.

« Un nom pas très courant. » commenta une voix féminine plutôt mature et assurée.

Akos jeta un œil en arrière pour trouver un siège où il pourrait s’asseoir et revenir dans l’ombre pour mieux voir la personne qu’il avait devant lui. Il regrettait de ne pas avoir eu de nouvelles de Lys. Il allait devoir faire avec le peu d’informations qu’il avait et se fier à son intuition.

« Madame Walmsley nous a précédé, commença par dire Mason. Elle s’est dit qu’il serait profitable à nos deux services de se rencontrer et de partager nos informations. »

Akos se retint de lancer un regard au ciel. Il avait été vraiment naïf de croire un instant que son chef puisse avoir été à l’initiative. Walmsley s’assit dans le fauteuil qui lui faisait face et il put alors voir à quoi ressemblait son interlocutrice.

Elle devait avoir une cinquantaine d’années, les cheveux grisonnants attachées. Son visage était plutôt fin mais avait une certaine dureté, très femme d’affaires, habituée à manœuvrer dans un monde encore essentiellement masculin. Sa silhouette indiquait sans ambiguïté qu’elle était une ancienne femme d’action de terrain. Sa tenue vestimentaire quoique stricte et stylée, le confirmait. Akos sentit qu’avec elle, il valait mieux aller à l’essentiel et que le discours cérémonieux de Mason bien que court, l’ennuyait déjà au plus haut point.

« Comment voulez-vous procéder ? » attaqua Akos.

Walmsley sourit.

« Je pense qu’il est bon de commencer par vous dire pourquoi je suis là. Cela vous éclairera sur les missions et les intentions de la section 23. Pour ma part, je n’ai pas trop besoin de cela pour savoir les raisons de votre implication dans l’enquête. Cela coule de source. »

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