Chapitre 22

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« Aurions-nous un peu de chance ? fit Ely en considérant le jeune homme avec un sourire.

— Dans quel sens ? » demanda Akos qui, lui, la regardait avec un drôle d’air.

Eliya cligna des yeux quelques instants puis d’un coup, s’empressa de répondre :

« Dans notre enquête, bien sûr ! À quoi pensais-tu ?

— Moi ? À rien du tout. »

Akos invita le jeune homme à s’éloigner de l’entrée de l’immeuble, dans un renfoncement qui jouxtait l’impasse perpendiculaire à l’avenue. L’endroit était plus calme car la ruelle servait principalement à accueillir les bennes à ordure de l’hôtel.

« Ce n’est pas idéal, fit Akos. J’aurais préféré un lieu plus adapté et non à découvert comme ça, mais on va faire avec les moyens du bord. »

L’employé acquiesça.

« Vous pouvez décliner votre identité, nom, prénom et date de naissance ?

— Anis Valmont, treize octobre 3500.

— Tout rond ?

— Oui pourquoi ?

— Non pour rien, c’est pas courant. Pour commencer, comment se fait-il qu’on ne vous ait pas déjà interrogé ? J’ai beau cherché dans ma mémoire, je ne me souviens pas avoir lu votre nom dans la liste des employés. »

Le jeune homme joignit les mains dans son dos et se pinça les lèvres.

« C’est moi qui ai fourni la liste à vos collègues et j’ai retiré mon nom.

— Pourquoi ?

— Disons que je n’avais pas très envie d’être interrogé. Je ne suis pas très à l’aise avec la police et comme je n’étais pas là au moment des faits, j’ai pensé qu’on m’interroge ou pas, cela ne ferait pas une grande différence. »

Akos réfléchit un instant à utiliser cette omission comme angle d’attaque pour son interrogatoire, mais finit par se dire que ce serait sûrement contre-productif. Il était évident que ce gars mentait sur les vraies raisons qui l’avaient poussé à se soustraire à l’enquête. Cependant, la donne avait changé et aujourd’hui, c’est lui qui venait proposer son témoignage. L’incendie pouvait-il avoir joué un rôle dans ce revirement ?

« Ok, on ne va pas épiloguer sur ça. Vous m’avez dit que c’est vous qui aviez réceptionné notre victime quand il a loué la chambre.

— C’est ça.

— Vous pouvez me raconter comment ça s’est passé ? Si j’ai des questions, je vous les poserais ensuite.

— D’accord. Donc, voilà. Il y a trois semaines, c’était lundi en début d’après-midi, je m’en souviens parce que c’était ma reprise après ma semaine de vacances, ce type s’est présenté à l’accueil. Pas facile d’oublier ce genre de client, c’était une montagne, plus de deux mètres, et en plus, il avait un grand manteau avec une capuche vissée sur la tête. Il m’a fait penser à un catcheur. D’ailleurs, je me suis dit tout de suite que c’en était un car quand il a ouvert son manteau, il avait des muscles hyper saillants et les mains qui allaient avec. Il m’a demandé si nous avions des chambres libres et s’il était possible de louer sur plusieurs semaines. Je lui ai dit qu’il n’y avait pas de souci mais que je ne savais pas s’il pourrait conserver la même chambre tout le temps. Là, il m’a répondu que cela l’arrangerait s’il pouvait ne pas changer. Alors j’ai vérifié sur le planning. Ce qui m’a étonné, c’était sa voix.

— C’est-à-dire ?

— Il parlait plus lentement que vous et moi.

— Il avait un accent ?

— Oui. Mais je ne saurais pas dire exactement lequel. Cela ressemblait à celui qu’ont les gens de l’Est.

— Vous pensez qu’il venait de là-bas ?

— C’est possible. Je sais que j’ai vu un billet de train qui dépassait de sa poche mais vu qu’il n’avait pas un gros bagage, je ne peux rien vous affirmer. »

En d’autres circonstances, Ely et Akos seraient sûrement partis dans un fou rire mais les deux se contentèrent d’échanger un regard amusé. Akos pour garder son sérieux préféra enchaîner par une question qui suivait le raisonnement de l’employé.

— Aviez-vous vu comment il était arrivé ?

— Non mais probablement à pied. Quand les gens arrivent en taxi, vous voyez comment est faite l’entrée, là, fit le jeune homme en montrant la façade du doigt puis la zone de desserte de taxi. En général, on a le temps de voir arriver les gens puisqu’ils doivent traverser l’avenue. J’ignore pourquoi, c’est fait comme ça d’ailleurs. Il n’y a qu’un salon de coiffure, un tatoueur et une boutique de vêtements en face. Pas très logique d’avoir installé la station de taxi de leur côté. »

Akos hocha la tête, il avait remarqué cette bizarrerie la première fois qu’il était venu.

« Savez-vous quelle est la gare la plus proche de l’hôtel ?

— La Gare Bleue, probablement.

— D’autres détails ?

— Bah en fait, oui. Après que j’ai vérifié le planning, je lui ai confirmé que c’était possible avec la 42 et je lui ai expliqué que c’était une chambre qui donnait sur l’avenue. Je préfère toujours prévenir car même si l’avenue n’est pas très passante, il y a toujours les bruits de rue.

— Du coup, il a accepté, je suppose et après ?

— Je lui ai demandé comment il comptait régler.

— Vous ne lui avez pas demandé son nom ?

— Jamais. Ce n’est pas la politique maison. »

Akos dodelina de la tête et vit par la même occasion qu’Ely levait les yeux au ciel. Certes, la déception était légitime mais dans un établissement de ce genre, l’inverse aurait été surprenant.

« Du coup, comment le règlement s’est-il passé ?

— Sur des durées aussi longues, on demande soit un règlement à l’avance au moins égal au tiers de la totalité, soit on demande une caution dont la valeur doit couvrir la moitié.

— C’est quoi cette caution ? Je suppose que vous n’utilisez pas le système de paiement standard.

— On le propose mais ce sont plutôt les clients qui ne veulent pas l’utiliser.

— Le client est roi, ironisa Akos. Donc, quelle méthode a-t-il choisi ?

— Je pensais qu’il allait régler en cash. Il avait l’allure pour ça. Mais il a pris l’option de la caution.

— Du coup, j’en reviens à ma question précédente : comment fonctionne votre système de caution ? »

L’attitude de l’employé changea sensiblement. Il était toujours aussi avenant mais il commença à surveiller de manière systématique l’entrée de l’hôtel.

« Cela fonctionne sur le même principe qu’un prêteur sur gage. »

Instinctivement Akos se redressa. La nuit d’hôtel ne devait pas être au niveau d’un palace mais si les tarifs étaient alignés sur la moyenne à Paawis, une semaine complète devait représenter une coquette somme. On n’avait pas retrouvé d’argent dans la chambre, le jour du meurtre : qu’avait gagé le Druide pour que l’employé accepte la réservation ?

« À grosses mailles, il devait y en avoir pour mille dols, non ? Que vous a-t-il donné ? »

L’employé regarda une nouvelle fois en direction de l’entrée de l’hôtel puis fouilla dans sa poche et en sortit un petit sac en cuir soigneusement fermé par une lanière.

« Il m’a donné ceci. »

Il tira sur le nœud et pencha légèrement le sac pour qu’Akos et Ely puissent en découvrir le contenu. Il s’agissait d’une vieille pièce de monnaie. Ni Akos, ni Ely étaient numismates mais ils reconnurent tout de suite ce que c’était.

« Un napoléon ?

— Je ne sais pas comment ça s’appelle. Ce qui est sûr, c’est que c’est de l’or pur. Il m’en a gagé qu’un seul mais il en avait d’autres. Je ne sais pas d’où il les tenait mais si ça se trouve, l’origine n’est pas clean. Vous voyez ce que je veux dire. Et puis le mec est mort, et aujourd’hui, l’incendie. Ça craint un peu. »

En entendant cette dernière phrase, Akos se dépêcha de chercher le regard d’Ely et d’un geste habile, lui intima l’ordre de se taire. La raison pour laquelle l’employé était venu se confier était évidente. Il fallait le laisser continuer. La peur ferait le reste.

« Bon, c’est vrai qu’au départ, quand le type est mort, je me suis dit que c’était une bonne occasion de se faire de l’argent facile. Suffisait d’attendre un peu. Au pire, le patron en faisant la comptabilité à la fin du mois, va la chercher mais avec une pièce comme ça, c’était facile de la gager une nouvelle fois avec quoi ? Le cinquième de ce qu’elle vaut, racheter un truc équivalent, modifier la ligne dans le cahier de la consigne et se faire une bonne plus-value au passage. Mais aujourd’hui, c’est pas la même chose. Je ne sais pas si vous savez qui sont les mecs à qui ça appartient, mais ce sont des fous furieux. »

Akos n’avait aucune idée de la logique qui pouvait sous-tendre le raisonnement de l’employé. Qui étaient ces « mecs » ? L’employé s’était a priori construit son petit scénario tout seul et partant de là, déroulait ses conclusions sans autre forme de procès. Cela dit, il n’y avait aucune raison d’essayer de le contredire. La seule chose importante était qu’en suivant sa propre logique, il était désormais impatient de se débarrasser du napoléon.

« Vous pouvez nous le confier. Vous ne serez plus une cible potentielle après ça. »

Le jeune Anis sembla rassuré et tendit le sac à Akos.

*

« Incroyable ! » fit Ely appuyant chaque syllabe.

Elle était assise aux côtés d’Akos dans le tramway qui les ramenait au commissariat et ne se remettait pas de ce qu’il venait de se passer.

Après leur avoir confié le sac, le jeune Anis leur avait fourni encore quelques informations concernant le Druide. Entre autres, il avait été assez pléthorique sur la description de sa garde-robe. Si sa vertu laissait à désirer, son sens de l’observation et du détail était d’une précision assez extraordinaire. Certes connaître le catalogue des tenues vestimentaires du Druide pouvait paraître secondaire mais vu qu’il n’y en était resté aucune trace dans la chambre d’hôtel le jour de sa mort, cela suggérait que le meurtrier était parti avec. Ensuite, contrairement à ce que suggéraient les témoignages des autres employés, selon Anis, le Druide n’était pas resté terré dans sa chambre la majorité du temps. L’employé avait remarqué un certain nombre d’allers-retours mais ne l’avait jamais vu en compagnie de quelqu’un. En outre, Le Druide avait plusieurs fois fait appel à la réception pour des services divers et variés. Sûrement parce que ce dernier devait être très généreux dans ses pourboires, le jeune Anis avait capté la quasi-totalité de ses appels.

Parmi ceux-ci, seuls deux présentaient vraiment un intérêt pour l’enquête. Le premier avait permis d’identifier une nouvelle adresse. Le Druide s’y était rendu à plusieurs reprises et celle-ci correspondait à une petite librairie d’achat-vente de livres anciens. Le second était une liste de courses écrite de la main même du Druide. Le contenu de cette liste en lui-même ne présentait pas un grand intérêt. En revanche, le verso oui. Sur celui-ci figurait ce qui semblait être la fin d’une lettre que le Druide avait signée avec les initiales AM.

Ceci dit, le napoléon qu’ils avaient récupéré d’une façon totalement improbable restait à cet instant, la plus belle prise de la journée et en avait même éclipsé l’incendie qui avait ravagé le premier étage du Paradisio.

« Heureusement que tu m’as dit de me taire ! Je crois que j’aurais pu faire une gaffe et je l’aurais sûrement arrêté dans sa réflexion pour tenter de redresser son raisonnement. Comment tu as eu la foi d’y croire ?

— Rien à voir avec la foi. J’ai juste compris que le gars avait peur. Même s’il le cachait bien. La peur est d’une efficacité que tu sous-estimes. Le petit Anis est un bel exemple mais tu peux avoir des phénomènes identiques à grande échelle. Regarde les mesures de couvre-feu récentes : je te mets au défi d’y trouver une once de rationalité.

— T’exagères !

— C’est le même choix binaire, tu changes juste la description des options. Quand les gens ont peur, ils sont concentrés pour prendre l’option qui leur dit qu’ils vont s’en sortir. Le comment est secondaire, peu vont le réinterroger.

— Ouais, fit Ely visiblement encore sceptique. N’empêche que là, nous avons trouvé un sacré champion du monde ! »

Elle heurta légèrement l’épaule d’Akos puis poursuivit :

« La pièce-là. C’est une pièce numérotée ? Tu peux me la remontrer ? »

Akos sortit la petite bourse en cuir et la déposa dans la main d’Ely. Cette dernière s’empressa de défaire la lanière et entrouvrit le sac pour détailler discrètement les deux faces de la pièce.

« Tu sais. Elle me met mal à l’aise, cette pièce.

— Pourquoi donc ? demanda Akos.

— Je ne l’ai pas détaillée, tout à l’heure. J’ai juste vu, la même chose que toi : un napoléon. Mais regarde l’emblème là. »

Comme Ely n’inclinait que très légèrement l’ouverture de la bourse, Akos dut se coller à elle et approcher son visage à quelques centimètres du sien, au point de sentir son souffle contre sa joue. Il regarda l’emblème.

« Il ne te rappelle rien ? »

Akos fouilla dans ses souvenirs. La remarque d’Ely était bonne, ce symbole correspondait à quelque chose qu’il avait déjà croisée. Quant à se rappeler exactement quoi, c’était une autre paire de manches.

« C’est vieux, se contenta-t-il de dire. On a dû voir cela dans un manuel d’Histoire ou quelque chose dans le même genre. »

Il se redressa laissant Ely marmonner toute seule.

« Je suis sûre que t’as raison en plus. Vu que c’était en possession du Druide, ça peut remonter à quelques siècles. D’ailleurs, le mec de l’hôtel, il a bien dit qu’il n’en avait pas qu’un ou j’ai rêvé ?

— Tu n’as pas rêvé.

— Tu penses qu’on pourrait tenir notre mobile avec ça ?

— On ne peut pas l’exclure mais si c’est le cas, l’incendie de l’hôtel n’a aucun sens.

— Bah dans tous les cas, il ne fait pas sens, cet incendie. A moins que quelque chose nous ait échappé, je ne vois pas trop quels indices, il doit faire disparaître. Je tablerais davantage sur une arnaque à l’assurance de la part du proprio de l’hôtel.

— Tu penses ?

— Tu penses à quoi, toi ?

— Je trouve que l’incendie qui se déclenche juste avant que nous arrivions sur place, a un timing plutôt suspect. »

Akos se tut et mit de côté cette troublante coïncidence pour revenir ses notes de l’après-midi. Le Druide commençait à sortir peu à peu de l’ombre. Plus il avançait dans cette enquête, plus celui-ci lui donnait l’impression d’avoir été un électron libre ou du moins mu par des intentions qui s’accordaient mal avec la perception des déductions qu’il pouvait faire. Comme l’avait suggéré Ely, la mort de ce Druide ne semblait pas être l’élément essentiel et pourtant, son enquête ne pouvait pas faire autrement que de le prendre comme élément central.

« Je vais demander à Freya de rentrer chez elle pour la fin de la journée quand elle m’aura donné son rapport. Je vais avoir besoin de mon bureau pour réfléchir. »

Ely écarquilla les yeux car elle ne comprenait pas du tout le lien entre ce qu’elle venait de dire et la réflexion de son partenaire. Mais elle préféra garder pour elle, ses interrogations.

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