Chapitre 26

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Lorsqu’Akos arriva à son bureau, sa gueule de bois ne s’était pas vraiment dissipée et Freya qui s’était déjà installée, fraîche et disponible pour l’enquête, vint rajouter un peu d’eau au moulin d’une mauvaise humeur naissante. Cependant, il fallait très vite rectifier cela s’il voulait définir les objectifs de la journée.

« Mon rapport vous a-t-il été utile ? s’empressa de demander Freya.

— Instructif, répondit Akos. Mais je reste assez surpris que les informations qu’il contient ne soient pas directement accessibles. Je n’en ai vu aucune qui m’ait semblé sensible au point qu’il faille qu’elle soit classée. Sauriez-vous m’éclairer ? »

Freya sembla gênée par la question et avant même qu’elle ne formule une réponse, Akos poursuivit :

« Je vais être honnête avec vous, comme je l’ai été avec votre supérieure. Il y a un seul objectif à notre collaboration. Résoudre l’enquête. Si celle-ci se contente d’être un accompagnement de forme, ce ne sera pas la peine de continuer. »

Akos s’en voulait un peu de se servir de Freya comme d’une messagère mais il voulait mettre un petit coup de pression à destination de Walmsley. Depuis le début, la présence de la section 23 posait plus de questions qu’elle n’apportait de réponses et il ne pouvait pas frontalement aborder les soupçons qu’il nourrissait à son sujet. Pour l’instant, de la manière dont il analysait les choses, Freya avait joué le rôle que Walmsley avait prévue. Elle fournissait des informations sur les Druides sans vraiment de valeur ajoutée. Sur la forme, la section 23 collaborait et c’était sûrement à cela que Walmsley voulait se cantonner. Il ne fallait pas en rester là. Il lui fallait tordre le bras de la directrice pour qu’elle dévoile une partie des cartes qu’elle avait dans son jeu. Car il en était convaincu, Walmsley savait pourquoi elle s’intéressait à l’enquête et l’excuse de l’évaluation du risque Druide n’était qu’une devanture. Tout aussi extraordinaires les capacités de la victime soient-elles, un seul individu ne pouvait mobiliser l’attention d’une institution sans qu’elle-même ait de bonnes raisons de le faire.

Cela dit, pour l’instant, c’était Freya qui lui faisait face et celle-ci, prenant sûrement la remarque un peu pour elle, répliqua d’un ton ferme mais toujours aussi neutre :

« Dans ce cas, serait-il possible que vous me donniez les accréditations nécessaires pour que je puisse accéder à l’ensemble des données de l’enquête ? Depuis le début, je suis cantonnée aux informations que vous me fournissez, vous et votre collègue. Je vous en suis reconnaissante mais sauf votre respect, vous pourriez très bien avoir oublié un détail qui pourrait faire la différence. Pour ce qui procède de ma contribution. »

Akos sourit intérieurement. Il s’en voulait un peu d’avoir pensé un instant que Freya ne soit qu’une débutante avec pour seul atout, un accès privilégié à des données classées. Elle savait manœuvrer en terrain hostile. Cela dit, pour répondre à la requête de Freya, il n’avait qu’une vague idée des démarches administratives à engager. Comme toute institution régie par un tas de textes législatifs et réglementaires, obtenir des autorisations d’accès était un métier en soi.

« Je vais voir ce que je peux faire, promit-il, mais avant cela, pourriez-vous m’expliquer exactement ce que pouvait retirer en pratique les Druides de leur capacité. J’ai beau faire de gros efforts d’imagination, voir l’avenir avec une minute d’avance ne me semble pas être un élément propre à déstabiliser le monde. Et votre rapport fait l’impasse sur la question. Serait-ce que la réponse est si évidente qu’elle ne méritait pas d’être abordée ? »

Freya resta impassible.

« Avez-vous lu la dernière partie de mon rapport ? »

Akos se pinça les lèvres.

« Je l’ai peut-être parcouru un peu trop en diagonale. Vous pouvez me faire un résumé ? »

La jeune femme le toisa du regard et s’astreint à donner la réponse.

« La totalité des exemples que j’ai présentés dans le document sont issus de témoignages, d’articles et de rapports de police. J’ai expressément évité d’entrer sur le terrain de la spéculation car une fois qu’on a compris l’intérêt essentiel de la capacité des Druides, il est facile d’extrapoler et la seule limite à l’exercice est l’imagination. Les premiers secteurs qui l’ont compris sont ceux où la prise de décision était au centre de leur métier. Je citerai en premier le secteur financier. Quoi de plus intéressant que ces individus qui étaient naturellement capables de remplacer des algorithmes de prédiction de cotation de titres sur les marchés. Je vous laisse imaginer le gain que pouvait présenter de salarier ces personnes en lieu et place de chercheurs en mathématiques dont le résultat n’était régi que par les probabilités aussi avancées puissent-elles être. Par extension, je pourrais citer toutes les activités liées aux paris légaux ou non. La protection civile et les militaires se sont aussi penchés sur le sujet. La principale difficulté pour eux était qu’en pratique, ils se heurtaient à une limite dont on parle moins à propos de la vision druidique.

— Que voulez-vous dire ?

— Si la vision est limitée dans le temps, elle l’est aussi dans l’espace. Donc dans le cas théorique, la distance que peut parcourir l’individu en une minute. Si l’on prend le cas de la protection civile où il s’agit d’anticiper des phénomènes naturels ou bien de secourir des personnes, utiliser les Druides implique de les envoyer sur le terrain avec l’effet contre-productif de les exposer au risque qu’ils sont sensés aider à prévenir.

— Effectivement. D’autres exemples ?

— Bien sûr comme je vous ai dit, il y en a pléthore mais un autre qui me vient à l’esprit, ce sont les relations diplomatiques. J’ai même trouvé dans ce domaine des initiatives qui visaient à se prémunir contre ce type de manœuvres. »

Akos hocha la tête pour signifier qu’il avait compris. Il rebondit cependant sur la dernière phrase de Freya :

« Savez-vous si l’une ou l’autre de ses initiatives a abouti ?

— Pas à ma connaissance. Pourquoi ?

— Parce que j’essaie toujours de comprendre comment un Druide peut se retrouver victime d’un meurtre. Si j’ai bien lu le reste de votre rapport, sa vision est permanente et à moins qu’on lui ait enlever l’appendice de sa nuque, cela veut dire qu’il a vu sa mort une minute avant, quelque soit la façon dont c’est arrivé. »

Akos regarda Freya. Celle-ci ne semblait pas vouloir s’exprimer sur le sujet.

« Pouvez-vous aller voir Eliya ? Demandez-lui de vous donner le dossier qui contient les constatations faites sur la scène de crime. J’aimerais vous voir travailler sur un élément sur lequel nous n’avons pas la moindre piste.

— Quoi donc ?

— Les marques dans les murs. »

Freya fronça les sourcils.

« C’est dans le dossier, je vous laisse découvrir ce point-là vous-même. Vous me donnerez vos conclusions dans l’après-midi. Là, j’ai quelques appels à passer et il faut que je m’occupe de vos habilitations. »

Freya hocha la tête et se retira. Akos attendit quelques minutes avant de sortir à son tour de son bureau. Il fallait qu’il se rende une nouvelle fois chez le buraliste pour appeler son salon de massage préféré.

*

Sur le chemin du retour, Akos repensa à la soirée de la veille mais aussi à ce qui s’était passé ce matin. S’il pensait avoir bien agi globalement, il estimait avoir un peu fui lorsqu’il était parti se réfugier dans la salle de bain en laissant Ely boire son café et partir toute seule. Il fallait dire que cela faisait quelques années désormais que personne n’avait jamais franchi le seuil de son appartement. De plus, le fait qu’il s’agisse d’Eliya rendait l’événement particulièrement exceptionnel et délicat. Avait-elle mal reçu son comportement ? Il aurait probablement la réponse de l’intéressée elle-même dans la journée. En attendant, il en était rendu à des spéculations inutiles mais qui allaient tout de même lui tourner dans la tête jusque-là.

Pour éviter cela et en attendant que Lys reprenne contact, il repensa à l’étrange expérience qu’il avait eue la veille avec les fioles du Druide. Même si les sensations qu’il avait éprouvées avaient été furtives, l’idée qu’il était arrivé à reproduire artificiellement la fameuse substance qu’on nommait Astripine lui semblait plausible. Comment fallait-il faire pour valider cette hypothèse ? A moins d’avoir un Druide vivant sous la main, la seule option qu’il voyait était de retrouver l’endroit où les fioles et le bâton avaient été produits ou récupérés. Peut-être retrouverait-on des documents parlant du procédé par la suite. Pour ce qui était du bâton, cela semblait d’ores-et-déjà impossible puisque l’essence avait bien été identifiée mais disparue depuis plusieurs millénaires. En revanche, sauf si sa mémoire lui faisait défaut, si le contenu des fioles avait été analysé, le contenant non. Peut-être cela pourrait être utile de le faire. L’aspect du verre dans son souvenir pouvait laisser à penser qu’il n’était pas issu d’une production industrielle. Si cela était confirmé, peut-être que sa composition, son soufflage pourraient donner une indication. Il lui fallait donc faire un tour dans la salle des scellés et aller dans l’aile du commissariat où se trouvait le labo pour ordonner cette analyse. Peut-être y croiserait-il Ely. Malgré une légère hésitation, il se lança. Il fallait qu’il arrête avec son comportement de petit garçon effrayé par le jugement des autres.

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